LE
REGARD DE JACQUES BENILLOUCHE POUR TRIBUNEJUIVE.INFO
ÉGYPTE : LA RÉVOLUTION A
ÉCHOUÉ
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
Manifestants contre Morsi à des funérailles d'un émeutier |
La révolution égyptienne a échoué. Les jeunes révolutionnaires qui ont participé à la chute du régime de Hosni Moubarak, il y a deux ans, sont déçus car ils retrouvent le même régime répressif qui veut étouffer tout espoir de démocratie. Ils sont condamnés aux méthodes violentes pour se faire entendre, en descendant dans la rue afin de s’opposer aux Frères musulmans, responsables selon eux de la mauvaise gestion du pays.
Ils
n’hésitent plus à affronter les forces de l’ordre pour attaquer le siège de la
Confrérie dans le quartier de Moqattam, dans la banlieue du Caire. Ils n’ont
pas choisi les bâtiments officiels mais, justement, le symbole du pouvoir suprême
dans le pays. Ils regrettent à présent de s’être liés en 2011 avec le mouvement
islamiste en pensant qu’ils bénéficieraient d’une structure organisée efficace pour faire avancer leurs idées innovantes
mais, c’était sans compter sur les méthodes anti démocratiques des islamistes
qui tentent aujourd’hui de les faire taire, sinon de les tuer. Ils portent à leur
égard des jugements très durs et sans concession : «Les Frères
sont des menteurs, ils trompent sous couvert de religion et ils sont le nouveau
PND, l’ancien parti de Moubarak».
Le
président Morsi, complètement débordé, ne semble plus à la hauteur de ses responsabilités. L’anarchie s’installe dans le pays qui s’éloigne d’un État de droit, à
mesure que l’ordre passe aux mains de milices islamistes liées aux Frères. Pourtant,
les jeunes révolutionnaires avaient misé sur le nouveau régime,
personnifié par un président issu lui-même des Frères musulmans. Mais Morsi avait
fait illusion en s’appuyant sournoisement sur un scrutin démocratique qui lui a
donné le pouvoir.
Dans une course insatiable, il a cherché à accaparer en totalité les rênes du pays en s’attribuant les pleins pouvoirs à la fin 2012. Mais la réaction des libéraux a été ferme. L’adoption d’une constitution taillée aux mesures islamistes a définitivement convaincu l’opposition que l’ère démocratique était révolue. Alors, les opposants se sont lancés dans des manifestations meurtrières pour tenter de réduire la mainmise des Frères sur le pays entrainé, malgré lui, dans une dérive qui fait perdre tout contrôle aux dirigeants de l’État.
Dans une course insatiable, il a cherché à accaparer en totalité les rênes du pays en s’attribuant les pleins pouvoirs à la fin 2012. Mais la réaction des libéraux a été ferme. L’adoption d’une constitution taillée aux mesures islamistes a définitivement convaincu l’opposition que l’ère démocratique était révolue. Alors, les opposants se sont lancés dans des manifestations meurtrières pour tenter de réduire la mainmise des Frères sur le pays entrainé, malgré lui, dans une dérive qui fait perdre tout contrôle aux dirigeants de l’État.
Une police désemparée
Le régime et sa police sont
débordés. Les heurts près du siège de la Confrérie ont fait plus de 120 blessés
le 23 mars. Les manifestants s’en sont pris aux Frères musulmans en lynchant
trois de leurs, après les avoir dévêtus. Les islamistes du siège de la
confrérie n’ont dû leur salut qu’à l’arrivée massive de la police antiémeute qui a répliqué par
des tirs de gaz lacrymogène. Au même moment un local des Frères, situé dans le
quartier Manial, a été attaqué alors que des femmes y célébraient la fête
des mères. La sécurité du local a été assurée par de nombreux militants appelés
en renfort tandis que la police dans ce cas était absente. De même, le siège de Mahalla,
dans le delta du Nil, a été incendié à coups de cocktails Molotov. En fait plus
d’une trentaine de locaux de la Confrérie ont été incendiés depuis juin 2012.
La
répression s’est accentuée et les manifestations se sont intensifiées le 29
mars dans deux villes du nord de l'Egypte, à Alexandrie en particulier où des centaines
d'assaillants ont jeté des bombes incendiaires contre les bureaux des Frères
aux cris de «nous sommes ici pour dire que nous n’avons pas peur et que nous ne
cachons pas. La révolution doit se poursuivre». Les manifestants accusent le président Morsi de n'avoir pas été à la hauteur de ses promesses en ne
constituant pas un gouvernement incluant
des libéraux. Ils ont par ailleurs peu apprécié les récents discours du président critiquant
sévèrement ses adversaires en leur attribuant le qualificatif de voyous.
Bassem Youssef |
Un début de
panique s’empare d’ailleurs des autorités qui sont contraintes de sévir contre un
présentateur de télévision populaire, Bassem Youssef, en l'accusant d'avoir
insulté l'islam et le président du pays. Ce signe ne trompe pas. Le procureur de la République d'Égypte
a émis un mandat d'arrêt à son encontre le 30 mars 2013. Quand un régime s’attaque
aux journalistes ou aux saltimbanques parce qu'il n'accepte pas la dérision ou la
critique, c’est qu’il est aux abois. Il cherche en fait à travers la justice un moyen de museler l’opposition
ou de l’intimider.
Black Bloc |
Mais les jeunes révolutionnaires ont
été rejoints par d’autres militants de l’opposition, les Black Blocs, qui
manifestent le visage cagoulé contre le président Morsi et ses alliés incapables
de juguler la vague de mécontentement qui déferle sur le pays. Les black blocs égyptiens prétendent être des anarchistes, nouveaux gardiens de la révolution et défenseurs des protestataires opposés au président Morsi. Ils s'affichent ouvertement dans les rues du Caire et publient des vidéos explicatives.
Cliquer sur le triangle noir pour voir la vidéo
Alors
que la police était autrefois omniprésente et crainte, elle semble aujourd’hui
désabusée et peu encline à accepter la contestation, d’où la brutalité avec
laquelle elle réprime parfois les manifestants, allant jusqu’à viser à la tête
ceux qui s’opposent à eux. Les policiers se plaignent de la contradiction du régime qui
les force à réprimer les violences mais avec obligation d’une grande retenue
alors qu’eux-mêmes subissent des attaques violentes.
C’est pourquoi ils ont fait grève dans 27 provinces et ont refusé de protéger les bureaux de la Confrérie. La police avait été naguère blâmée pour avoir soutenu le régime de Moubarak et, ne tenant pas aujourd’hui à subir la même accusation, elle préfère s’éloigner de la politique ce qui fragilise le régime et laisse les rues aux plus actifs. L’opposition craint alors que, devant cette passivité de la police, les islamistes en viennent à créer leurs propres milices dans le cadre d’une libanisation du pays.
C’est pourquoi ils ont fait grève dans 27 provinces et ont refusé de protéger les bureaux de la Confrérie. La police avait été naguère blâmée pour avoir soutenu le régime de Moubarak et, ne tenant pas aujourd’hui à subir la même accusation, elle préfère s’éloigner de la politique ce qui fragilise le régime et laisse les rues aux plus actifs. L’opposition craint alors que, devant cette passivité de la police, les islamistes en viennent à créer leurs propres milices dans le cadre d’une libanisation du pays.
Revers judiciaire
La faiblesse de Morsi devient publique. La magistrature n'hésite plus à contrer les décisions du régime. Les
tribunaux s’opposent ouvertement au président Morsi tandis
que la magistrature accepte de moins en moins les diktats des politiques. L’ancien
procureur général Abdel Meguid Mahmoud avait été destitué par le président
égyptien à la demande des Frères qui lui reprochaient d’avoir été nommé par
Moubarak et qui le suspectaient de tolérance dans les procès des anciens
responsables du régime. Mais la décision de Morsi a été jugée, par les
experts juridiques, non conforme à la Constitution qui stipule qu’un procureur
général ne peut être renvoyé.
La Cour a donc invalidé le 27 mars le décret présidentiel. Le nouveau procureur général Talaat Abdallah, à la solde des Frères musulmans, devra donc abandonner son poste ce qui constitue un revers pour Morsi, à moins qu’il ne conteste le jugement devant la Cour de cassation. Mais il n’est pas sûr que l’ancien procureur accepte à présent de reprendre son poste car il souhaiterait rester loin des joutes partisanes. Pour éviter une confrontation entre la justice et les Frères musulmans, il conseille au pouvoir une solution intermédiaire consistant à nommer une troisième personne neutre à ce poste.
La Cour a donc invalidé le 27 mars le décret présidentiel. Le nouveau procureur général Talaat Abdallah, à la solde des Frères musulmans, devra donc abandonner son poste ce qui constitue un revers pour Morsi, à moins qu’il ne conteste le jugement devant la Cour de cassation. Mais il n’est pas sûr que l’ancien procureur accepte à présent de reprendre son poste car il souhaiterait rester loin des joutes partisanes. Pour éviter une confrontation entre la justice et les Frères musulmans, il conseille au pouvoir une solution intermédiaire consistant à nommer une troisième personne neutre à ce poste.
Effondrement de l’économie
Mais ces problèmes sécuritaires sont
doublés d’un effondrement de l’économie qui fait entrer le pays dans une crise
durable. Tous les indicateurs sont au rouge. La monnaie s’est dévaluée de 10%
tandis que le chômage atteint des sommets élevés avec un taux de 20%. La Bourse
a perdu 10% dans un fort marasme dans le domaine du tourisme qui comptait pour 12% dans le PIB. Les réserves de change se sont effondrées. De nombreux hommes d’affaires
influents et dynamiques, inquiets de la tournure des évènements, s’expatrient.
Le prix des aliments a explosé alors que chaque famille consacre la moitié de
ses revenus pour se nourrir. Un quart de la population de 86 millions d'âmes vit
au-dessous du seuil de pauvreté.
L’espoir
économique réside dans l’aide de 4,8 milliards de dollars du FMI qui est
conditionnée à des réformes drastiques comme la suppression des subventions de
20 milliards de dollars par an sur les produis alimentaires et le carburant, de
quoi conduire toute la population dans la rue. Il est vrai que les égyptiens
paient leur essence à 0,16 dollar alors que les prix en Europe frôlent les 2
dollars. Et pendant ce temps, le gouvernement Morsi reste passif. Il envisage à peine des mesures symboliques de saupoudrage en instituant la
taxation des produits de luxe importés et des grosses cylindrées mais cela ne suffit pas à booster l'économie.
En
revanche, la solidarité arabe ne fonctionne pas ; elle n’a d’ailleurs jamais
fonctionné face à des potentats arabes égoïstes qui exigent des contreparties
politiques en échange de leur aide éventuelle. C’est le cas notamment de
l’Arabie saoudite et du Qatar au point que Mohamed Morsi est contraint de se
tourner vers la Libye et l’Irak qui ne sont pas réputés pour être larges dans
leur soutien financier aux pays arabes «frères» et même vers l'ennemi d'hier, l'Iran, puisque le premier vol commercial depuis 34 ans a décollé du Caire vers Téhéran, en signe d'amélioration des relations entre les deux pays.
Des
élections auraient pu débloquer la situation. Prévues en avril, elles ont été
repoussées au mois d’août avec aucune certitude qu’elles se tiendront à cette
date. Ainsi, en l’absence d’un éventuel gouvernement d’alternance constitué soit de
technocrates soit d’une large union nationale impliquant l’entrée de
personnalités laïques, l’Égypte continuera à dériver jusqu’au point de
non-retour avec des risques accrus sécuritaires pour toute la région.
Leadership vacant
Mais
cette situation d’instabilité inquiète les américains qui ont besoin d’une
Égypte forte capable de s’imposer auprès des autres pays arabes pour contrer un
Iran conquérant et pour faire face à la menace chimique syrienne. L’absence de
leadership dans le monde arabe entraine l’éclatement des pays musulmans en deux blocs
rivaux, le premier avec l'Arabie Saoudite, la Jordanie et Abu Dhabi, et le
second avec la Turquie et le Qatar. Les troubles discréditent l’Égypte pour
occuper le siège vacant, anciennement occupé par Hosni Moubarak, et sur lequel
lorgne la Turquie. C’est ce qui a d'ailleurs poussé le turc Tayyip Erdogan à composer avec les
israéliens sachant qu’il pourrait être aidé par les américains à prendre la
tête du monde musulman. Effectivement, Barack Obama a besoin d’une unification
du monde arabe face à la Syrie d’une part et à l’Iran d’autre part.
Réunion de la Ligue arabe à Doha |
Or
le leader charismatique arabe capable de faire cette fusion n’existe pas. Le
sommet arabe de Doha des 26 et 27 mars a mis en évidence la division qui existe
entre les clans arabes et l’impossibilité de trouver un consensus sur un
dirigeant capable de réunir le monde arabe. Mohamed Morsi avait donné
l’impression que son pragmatisme du début de mandat le désignait pour remplacer
Hosni Moubarak mais son pays à la dérive lui ôte à présent toute chance d’occuper le
siège arabe vacant.
http://www.tribunejuive.info/politique/egypte-la-revolution-a-echoue
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