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mardi 2 avril 2013

ÉGYPTE : LA RÉVOLUTION A ÉCHOUÉ



      

LE REGARD DE JACQUES BENILLOUCHE POUR TRIBUNEJUIVE.INFO

ÉGYPTE : LA RÉVOLUTION A ÉCHOUÉ


Par Jacques BENILLOUCHE
 copyright © Temps et Contretemps

         
 
Manifestants contre Morsi à des funérailles d'un émeutier

       La révolution égyptienne a échoué. Les jeunes révolutionnaires qui ont participé à la chute du régime de Hosni Moubarak, il y a deux ans, sont déçus car ils retrouvent le même  régime répressif qui veut étouffer tout espoir de démocratie. Ils sont condamnés aux méthodes violentes pour se faire entendre, en descendant dans la rue afin de s’opposer aux Frères musulmans, responsables selon eux de la mauvaise gestion du pays.




Déception des révolutionnaires
Incendie du local des frères à Ismailia



Ils n’hésitent plus à affronter les forces de l’ordre pour attaquer le siège de la Confrérie dans le quartier de Moqattam, dans la banlieue du Caire. Ils n’ont pas choisi les bâtiments officiels mais, justement, le symbole du pouvoir suprême dans le pays. Ils regrettent à présent de s’être liés en 2011 avec le mouvement islamiste en pensant qu’ils bénéficieraient d’une structure organisée efficace pour faire avancer leurs idées innovantes mais, c’était sans compter sur les méthodes anti démocratiques des islamistes qui tentent aujourd’hui de les faire taire, sinon de les tuer. Ils portent à leur égard des jugements très durs et sans concession : «Les Frères sont des menteurs, ils trompent sous couvert de religion et ils sont le nouveau PND, l’ancien parti de Moubarak».

Le président Morsi, complètement débordé, ne semble plus à la hauteur de ses responsabilités. L’anarchie s’installe dans le pays qui s’éloigne d’un État de droit, à mesure que l’ordre passe aux mains de milices islamistes liées aux Frères. Pourtant, les jeunes révolutionnaires avaient misé sur le nouveau régime, personnifié par un président issu lui-même des Frères musulmans. Mais Morsi avait fait illusion en s’appuyant sournoisement sur un scrutin démocratique qui lui a donné le pouvoir. 

Dans une course insatiable, il a cherché à accaparer en totalité les rênes du pays en s’attribuant les pleins pouvoirs à la fin 2012. Mais la réaction des libéraux a été ferme. L’adoption d’une constitution taillée aux mesures islamistes a définitivement convaincu l’opposition que l’ère démocratique était révolue. Alors, les opposants se sont lancés dans des manifestations meurtrières pour tenter de réduire la mainmise des Frères sur le pays entrainé, malgré lui, dans une dérive qui fait perdre tout contrôle aux dirigeants de l’État.



Une police désemparée




            Le régime et sa police sont débordés. Les heurts près du siège de la Confrérie ont fait plus de 120 blessés le 23 mars. Les manifestants s’en sont pris aux Frères musulmans en lynchant trois de leurs, après les avoir dévêtus. Les islamistes du siège de la confrérie n’ont dû leur salut qu’à l’arrivée massive de la police antiémeute qui a répliqué par des tirs de gaz lacrymogène. Au même moment un local des Frères, situé dans le quartier Manial, a été attaqué alors que des femmes y célébraient la fête des mères. La sécurité du local a été assurée par de nombreux militants appelés en renfort tandis que la police dans ce cas était absente. De même, le siège de Mahalla, dans le delta du Nil, a été incendié à coups de cocktails Molotov. En fait plus d’une trentaine de locaux de la Confrérie ont été incendiés depuis juin 2012.

         La répression s’est accentuée et les manifestations se sont intensifiées le 29 mars dans deux villes du nord de l'Egypte,  à Alexandrie en particulier où des centaines d'assaillants ont jeté des bombes incendiaires contre les bureaux des Frères aux cris de «nous sommes ici pour dire que nous n’avons pas peur et que nous ne cachons pas. La révolution doit se poursuivre». Les manifestants accusent le président Morsi de n'avoir pas été à la hauteur de ses promesses en ne constituant pas un gouvernement incluant des libéraux. Ils ont par ailleurs peu apprécié les récents discours du président critiquant sévèrement ses adversaires en leur attribuant le qualificatif de voyous.
Bassem Youssef


          Un début de panique s’empare d’ailleurs des autorités qui sont contraintes de sévir contre un présentateur de télévision populaire, Bassem Youssef, en l'accusant d'avoir insulté l'islam et le président du pays. Ce signe ne trompe pas. Le procureur de la République d'Égypte a émis un mandat d'arrêt à son encontre le 30 mars 2013. Quand un régime s’attaque aux journalistes ou aux saltimbanques parce qu'il n'accepte pas la dérision ou la critique, c’est qu’il est aux abois. Il cherche en fait à travers la justice un moyen de museler l’opposition ou de l’intimider.

Black Bloc

       Mais les jeunes révolutionnaires ont été rejoints par d’autres militants de l’opposition, les Black Blocs, qui manifestent le visage cagoulé contre le président Morsi et ses alliés incapables de juguler la vague de mécontentement qui déferle sur le pays. Les black blocs égyptiens prétendent être des anarchistes, nouveaux gardiens de la révolution et défenseurs des protestataires opposés au président Morsi. Ils s'affichent ouvertement dans les rues du Caire et publient des vidéos explicatives.


Cliquer sur le triangle noir pour voir la vidéo


Alors que la police était autrefois omniprésente et crainte, elle semble aujourd’hui désabusée et peu encline à accepter la contestation, d’où la brutalité avec laquelle elle réprime parfois les manifestants, allant jusqu’à viser à la tête ceux qui s’opposent à eux. Les policiers se plaignent de la contradiction du régime qui les force à réprimer les violences mais avec obligation d’une grande retenue alors qu’eux-mêmes subissent des attaques violentes. 
C’est pourquoi ils ont fait grève dans 27 provinces et ont refusé de protéger les bureaux de la Confrérie. La police avait été naguère blâmée pour avoir soutenu le régime de Moubarak et, ne tenant pas aujourd’hui à subir la même accusation, elle préfère s’éloigner de la politique ce qui fragilise le régime et laisse les rues aux plus actifs. L’opposition craint alors que, devant cette passivité de la police, les islamistes en viennent à créer leurs propres milices dans le cadre d’une libanisation du pays. 



Revers judiciaire


L'ancien procureur Abdel Meguid Mahmoud


La faiblesse de Morsi devient publique. La magistrature n'hésite plus à contrer les décisions du régime. Les tribunaux s’opposent ouvertement au président Morsi tandis que la magistrature accepte de moins en moins les diktats des politiques. L’ancien procureur général Abdel Meguid Mahmoud avait été destitué par le président égyptien à la demande des Frères qui lui reprochaient d’avoir été nommé par Moubarak et qui le suspectaient de tolérance dans les procès des anciens responsables du régime. Mais la décision de Morsi a été jugée, par les experts juridiques, non conforme à la Constitution qui stipule qu’un procureur général ne peut être renvoyé. 
La Cour a donc invalidé le 27 mars le décret présidentiel. Le nouveau procureur général Talaat Abdallah, à la solde des Frères musulmans, devra donc abandonner son poste ce qui constitue un revers pour Morsi, à moins qu’il ne conteste le jugement devant la Cour de cassation. Mais il n’est pas sûr que l’ancien procureur accepte à présent de reprendre son poste car il souhaiterait rester loin des joutes partisanes. Pour éviter une confrontation entre la justice et les Frères musulmans, il conseille au pouvoir une solution intermédiaire consistant à nommer une troisième personne neutre à ce poste.





Effondrement de l’économie


Misère en Egypte


            Mais ces problèmes sécuritaires sont doublés d’un effondrement de l’économie qui fait entrer le pays dans une crise durable. Tous les indicateurs sont au rouge. La monnaie s’est dévaluée de 10% tandis que le chômage atteint des sommets élevés avec un taux de 20%. La Bourse a perdu 10% dans un fort marasme dans le domaine du tourisme qui comptait pour 12% dans le PIB. Les réserves de change se sont effondrées. De nombreux hommes d’affaires influents et dynamiques, inquiets de la tournure des évènements, s’expatrient. Le prix des aliments a explosé alors que chaque famille consacre la moitié de ses revenus pour se nourrir. Un quart de la population de 86 millions d'âmes vit au-dessous du seuil de pauvreté.

L’espoir économique réside dans l’aide de 4,8 milliards de dollars du FMI qui est conditionnée à des réformes drastiques comme la suppression des subventions de 20 milliards de dollars par an sur les produis alimentaires et le carburant, de quoi conduire toute la population dans la rue. Il est vrai que les égyptiens paient leur essence à 0,16 dollar alors que les prix en Europe frôlent les 2 dollars. Et pendant ce temps, le gouvernement Morsi reste passif. Il envisage à peine des mesures symboliques de saupoudrage en instituant la taxation des produits de luxe importés et des grosses cylindrées mais cela ne suffit pas à booster l'économie.

En revanche, la solidarité arabe ne fonctionne pas ; elle n’a d’ailleurs jamais fonctionné face à des potentats arabes égoïstes qui exigent des contreparties politiques en échange de leur aide éventuelle. C’est le cas notamment de l’Arabie saoudite et du Qatar au point que Mohamed Morsi est contraint de se tourner vers la Libye et l’Irak qui ne sont pas réputés pour être larges dans leur soutien financier aux pays arabes «frères» et même vers l'ennemi d'hier, l'Iran, puisque le premier vol commercial depuis 34 ans a décollé du Caire vers Téhéran, en signe d'amélioration des relations entre les deux pays.

Des élections auraient pu débloquer la situation. Prévues en avril, elles ont été repoussées au mois d’août avec aucune certitude qu’elles se tiendront à cette date. Ainsi, en l’absence d’un éventuel gouvernement d’alternance constitué soit de technocrates soit d’une large union nationale impliquant l’entrée de personnalités laïques, l’Égypte continuera à dériver jusqu’au point de non-retour avec des risques accrus sécuritaires pour toute la région.



Leadership vacant



Mais cette situation d’instabilité inquiète les américains qui ont besoin d’une Égypte forte capable de s’imposer auprès des autres pays arabes pour contrer un Iran conquérant et pour faire face à la menace chimique syrienne. L’absence de leadership dans le monde arabe entraine l’éclatement des pays musulmans en deux blocs rivaux, le premier avec l'Arabie Saoudite, la Jordanie et Abu Dhabi, et le second avec la Turquie et le Qatar. Les troubles discréditent l’Égypte pour occuper le siège vacant, anciennement occupé par Hosni Moubarak, et sur lequel lorgne la Turquie. C’est ce qui a d'ailleurs poussé le turc Tayyip Erdogan à composer avec les israéliens sachant qu’il pourrait être aidé par les américains à prendre la tête du monde musulman. Effectivement, Barack Obama a besoin d’une unification du monde arabe face à la Syrie d’une part et à l’Iran d’autre part. 
Réunion de la Ligue arabe à Doha

Or le leader charismatique arabe capable de faire cette fusion n’existe pas. Le sommet arabe de Doha des 26 et 27 mars a mis en évidence la division qui existe entre les clans arabes et l’impossibilité de trouver un consensus sur un dirigeant capable de réunir le monde arabe. Mohamed Morsi avait donné l’impression que son pragmatisme du début de mandat le désignait pour remplacer Hosni Moubarak mais son pays à la dérive lui ôte à présent toute chance d’occuper le siège arabe vacant.

http://www.tribunejuive.info/politique/egypte-la-revolution-a-echoue 

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