SLATE : ISRAËL-TURQUIE: CONDAMNÉS À
S'ENTENDRE
Par Jacques BENILLOUCHE
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Cet article
a été publié sur Slate le 14 septembre 2011. Il redevient d’actualité à la suite de la
décision de Benjamin Netanyahou du 22 mars 2013 d’accéder à la demande de Barack Obama, avant
son départ d’Israël. Il a présenté ses excuses à la Turquie à l'occasion d'un entretien téléphoné avec Tayyip Erdogan. Le premier ministre
israélien vient d’annoncer la normalisation des relations diplomatiques avec la
Turquie. L'impasse syrienne a permis aux turcs de revenir à de meilleurs sentiments.
Erdogan et Netanyahou |
Entre la Turquie qui estime son
honneur bafoué et Israël qui a pour principe intangible de ne jamais s'excuser
quand sa sécurité est en jeu, l'impasse semble totale. Mais quand la raison
finira par reprendre le dessus, les deux pays ne pourront que s'entendre.
La brouille entre Israël et la
Turquie semble avoir atteint un point de non-retour. Pour autant, le conflit
entre les deux pays ne devrait pas s’éterniser. Les intérêts communs
stratégiques et économiques sont trop grands. Au-delà des invectives, des
menaces populistes et des mouvements d’humeur, les protagonistes reviendront à
de meilleurs sentiments, poussés en cela par leurs armées respectives. Israël
et la Turquie ont besoin l’un de l’autre et ils n’ont pas de politique de
rechange à court terme.
L’honneur perdu
Lorsque les hommes trinquent en portant un toast, ils formulent
un vœu ou un souhait. En France, on souhaite la «bonne santé», en
Israël, la vie, «lehaïm» et en Turquie on entrechoque son
verre «à ton honneur». Le conflit avec Israël est d’abord pour les
turcs une affaire d’honneur et leur mauvaise humeur n’est ni stratégique, ni
politique. Elle est plus futile... et plus profonde. Les turcs n’ont pas
apprécié que le rapport de l’ONU n’ait pas cru devoir condamner le blocus de
Gaza par Israël, rendant ainsi légale l’interception de la flottille turc en
2010.
Certes la force excessive des commandos, qui ont fait
neuf morts, a été condamnée. Mais les turcs ont estimé leur honneur atteint
parce que l’ONU a souligné qu’ils n’avaient rien fait pour empêcher la violence
sur le navire Mavi Marmara. Les israéliens avaient donc eu raison d’intervenir.
Tayyip Erdogan a justifié sa décision d’expulser l’ambassadeur israélien pour
venger son honneur. L’incident aurait pu être clos si le premier ministre
israélien Benjamin Netanyahou avait laissé les diplomates trouver une formule
capable de sauver l’honneur des deux parties.
Mais les israéliens ont toujours peur d’un précédent
qui les entrainerait à être contraints à des excuses à chacune de leurs
opérations. En revanche, le ministre de la défense Ehud Barak, qui est très
proche des militaires turcs, était partisan d’adresser ses regrets à la
Turquie. Les nationalistes de la coalition s’étaient opposés à toute action qui
aurait pu être considérée comme un aveu de faiblesse. Ils ne souhaitaient pas
désavouer une armée qui avait agi aux ordres du pouvoir politique.
Coopération militaire
Les industries militaires israéliennes ont tout à
perdre de suspendre les fournitures d’armes à un gros client. En 2009, Israël
talonnait la France comme cinquième exportateur d’armes du monde à une différence de quelques millions de
dollars. Le ministre Hervé Morin s’était inquiété de perdre cette place au
profit d’Israël. Mais en 2010, Israël a été rétrogradé à la septième place en
raison de ses mauvais résultats dus en grande partie à la diminution des ventes
à la Turquie.
Les dirigeants industriels, qui ont les yeux fixés sur
le carnet de commande, n’ont pas autant de susceptibilité que les diplomates.
Ils étaient prêts à envoyer sur place une délégation qui aurait transmis une
formule d’excuses agréés par les deux parties. Mais c’était sans compter sur
l’intransigeance israélienne qui a fait dire à un dirigeant: «Ils peuvent
aller en enfer. Ils comprendront ainsi ce que signifie le respect du droit
maritime international quand notre Marine navigue dans les eaux internationales
de la Méditerranée.»
Le drone Heron |
Les militaires israéliens ont gardé d’excellents liens avec l’armée turque qui
souffre de ne pas disposer de matériel suffisant. Ils sont intervenus auprès
d’eux pour qu’ils arbitrent la situation mais, en attendant, ils refusent de
signer de nouvelles commandes, de drones en particulier dont la première
tranche de livraison a été livrée. Le gouvernement israélien a voulu montrer sa
capacité de nuisance en encourageant les kurdes, armés, financés et entrainés
par des officiers de Tsahal, à réchauffer la frontière avec l’Irak.
Matériel militaire israélien
Israël a diffusé sa haute technologie dans le cadre
des liens étroits entre les deux armées. L’armée turque est entièrement équipée
de matériel israélo-américain et il est inconcevable de changer de fournisseur
à court terme. Elle peut encore tenir quelques mois mais les pièces de rechange
viendront à manquer et affaibliront une armée puissante. La baisse de qualité
de l’armée turque pourrait alors se retourner contre les politiques qui seront
accusés d’avoir affaibli l’ossature du régime.
Au moment où le gouvernement d’Erdogan cherche à
éliminer progressivement les militaires qui lui font de l’ombre, il peut difficilement
affaiblir les capacités d'une armée qui a déjà été décapitée puisqu’une grande
partie des officiers a été placée d’office à la retraite. L’ancien chef de la
police militaire, Necdet Özel, a été nommé au poste de chef de l’état-major.
Les officiers du commandement supérieur des forces armées voient d’un mauvais
œil la promotion de nombreux officiers proches du courant islamique. Il doit
donc composer.
Les israéliens comptent sur la vieille garde militaire
pour modérer les politiques. Erdogan a voulu prendre le leadership des pays
arabes mais il a été contré par l’Arabie saoudite. Il a cherché à offrir aux
révolutions arabes son modèle fondé sur un régime démocratique contrôlé par une
armée forte mais sa seule réussite a été de consolider la lutte contre l’ennemi
sioniste.
Les américains qui tiennent à la réconciliation entre
Israël et la Turquie refusent de se substituer au fournisseur défaillant dans
une volonté de pression sur les turcs. La suspension des contrats de défense
pénalise aussi l’aviation israélienne qui entrainait ses pilotes dans le ciel
turc, à la frontière avec la Syrie et l’Iran. Elle ne dispose plus du droit
d’espionnage des frontières de l’Iran et des moyens de communications qui
permettaient d’avoir l’œil et l’oreille sur toutes les usines nucléaires
iraniennes.
Printemps arabe
Les menaces du ministre turc des Affaires étrangères,
Davutoglu, d’étendre le printemps arabe contre Israël a inquiété les autorités
américaines qui considèrent que le ministre est allé trop loin : «On dirait
que Ankara menace d'attiser les populations palestiniennes et arabes israéliens
contre le gouvernement israélien et l'armée. Si c'est ce que M. Davutoglu a
voulu dire, la Turquie prend le risque que le président Obama et les
gouvernements européens interdisent sa participation dans les opérations de
l'Otan au Moyen-Orient.» Les puissances occidentales ont même menacé de
voter une résolution de condamnation contre la Turquie si elle persistait à
organiser la révolte arabe aux portes d’Israël. Elles conseillent en revanche
de mieux canaliser l'insurrection syrienne qui
déborde sur la Turquie.
Sous-marin Dolphin |
Les américains sont convaincus que la Turquie «bluffe»
car elle n’a pas les moyens économiques pour s’attaquer à Israël. Elle exporte
vers Israël du matériel ménager qui fait tourner ses usines de montage et de
l’eau de moins en moins nécessaire depuis la mise en place d’usines de
dessalement d’eau de mer. Elle a vu le tourisme israélien se réduire à 10% de
son volume habituel. Elle donne l’impression d’user de rhétorique anti-israélienne pour masquer ses difficultés économiques internes. Les États-Unis
font pression sur la Turquie pour rétablir les liens privilégiés qui
garantissaient l’hégémonie de ses deux alliés dans la région et ils ne sont pas
prêts à se substituer à Israël pour la fourniture d’armes.
Antalya ¨Plage |
Économie en berne
Les analystes économiques occidentaux ont démonté la
fausse croissance du PIB turc à 11% qui a été gonflée artificiellement par la
politique de crédit à bas taux de sa Banque Centrale, au point de risquer à
court terme de créer une bulle. La Turquie subit en fait une crise profonde qui
la fait rejoindre la Grèce et le Portugal avec une balance commerciale qui
s’effondre et une monnaie dévaluée. Le premier ministre Erdogan doit faire face
à une crise économique en plus de la crise interne liée à la démission en masse
des dizaines de généraux qui ont protesté contre l’emprisonnement de leurs
collègues accusés de complot.
Les occidentaux s'interrogent sur la capacité
d’Erdogan à gouverner et se demandent si son temps à la tête du gouvernement
n’est pas compté. Ils craignent qu’il suscite une aventure militaire entre les
forces navales turques et Israël pour
détourner l’attention sur les difficultés économiques du pays. La volonté des
turcs de réchauffer le front maritime avec les israéliens est un jeu
dangereux car la marine turque ne peut
pas rivaliser avec la technologie de pointe des missiles et du brouillage
électronique israéliens. Par ailleurs les sous-marins Dolfin, en provenance
d’Allemagne, donnent à Israël la suprématie maritime.
Le premier ministre israélien est convaincu qu’il
devra réviser sa position vis-à-vis des turcs dans l’intérêt de son propre pays
tandis que la Turquie attend le geste qui débloquera la situation et qui lui
confèrera à nouveau son honneur. Benjamin Netanyahou vient d’affirmer vouloir
une amélioration des relations avec la Turquie: «Nous respectons le peuple
turc et ses traditions, et nous voulons vraiment une amélioration de nos
relations». Cette déclaration a été faite symboliquement devant des
militaires de la marine israélienne à Haïfa. Il a fait l'éloge des membres du
commando qui a participé à l'arraisonnement du Mavi Marmara, le 31 mai dernier:
«La notion de justice est le plus important atout stratégique d'Israël et
c'est en son nom que je vous dis que le peuple d'Israël, qui vous a envoyés
pour cette mission, est fier de vous, nous sommes fiers de vous». Le
premier ministre semble préparer l’opinion publique à une réconciliation qui ne
porterait pas atteinte au moral de l’armée et qui ne discréditerait pas la
Marine. Tsahal n’attend que cette décision.
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