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mardi 23 octobre 2012

LA STRATÉGIE DU QATAR AU PROCHE-ORIENT



LA STRATÉGIE DU QATAR AU PROCHE-ORIENT

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
L'émir du Qatar

     L'émir du Qatar a été le premier chef d'État à se rendre le 23 octobre 2012 dans la bande de Gaza depuis que les islamistes du Hamas ont pris le contrôle de la bande en 2007. Il avait été aussi, en août 1999, le premier chef d’État du Golfe à se rendre en visite officielle à Gaza, dirigé alors par Yasser Arafat. La visite du cheikh Hamad ben Khalifa al Thani est officiellement destinée à lancer des projets de reconstruction pour plus de 250 millions de dollars (192 millions d'euros).



Symbole

     Cette visite comporte toutefois une dimension politique et symbolique puisque Gaza est sous le coup d’un blocus imposé par Israël. Elle symbolise la rupture actée entre le Hamas et Fatah et donne un coup de canif au consensus entre l’Arabie saoudite et le Qatar. Cette visite va accroitre le contentieux entre les factions palestiniennes puisque le Fatah n’a pas été invité à rencontrer l’émir du Qatar et que le président de l’Autorité n’a pas été informé de la finalité de cette visite.
Les princes du Qatar et d'Arabie saoudite
     Cette visite se fait au détriment de Mahmoud Abbas mais cela s’explique par l’amitié qui lie l’émir avec Khaled Mechaal, qui est logé à l’Hôtel Four Sassons de Doha aux frais de l’émirat. Le Qatar ne finance plus l’Autorité palestinienne, pourtant au bord de la faillite. Depuis le mois de juin, l'émirat a fait don de 30 millions de litres de carburant pour alimenter l'unique centrale électrique de la bande de Gaza parce qu’il estime que le vent est favorable aux islamistes.  
Le Qatar, qui constitue l’un des pôles du salafisme mondial avec l’Arabie Saoudite, utilise ses moyens financiers importants pour développer sa lecture de l’islam qui prône une lecture littérale des versets coraniques. Il s’appuie sur la chaine Al-Jazzera pour diffuser, en plus des informations politiques, les préceptes issus de la tradition prophétique. La plupart des livres qui sont diffusés en France sont des ouvrages de tradition salafiste édités sous le patronage de l’émirat. 
     Le choix de Gaza, qui bénéficie d’une situation politique originale, est volontaire car l'émir du Qatar veut s’appuyer sur ce territoire pour développer son implantation au Proche-Orient. Mais la nouvelle donne illustre l’évolution politique de la bande de Gaza. Les islamistes du Hamas s’étaient rapprochés des chiites iraniens mais se sont ensuite retournés vers les Frères musulmans d’Égypte après l’arrivée de Morsi au pouvoir avec qui ils partagent la même doctrine. Le Qatar cherche à courtiser le Hamas, qui lui est dogmatiquement éloigné, à coup de pétrodollars tandis que le Hamas y voit un moyen de rompre l’isolement auquel l’ont contraint les occidentaux.


Alliance occidentale
Base américaine El-Udei au Qatar



     En raison de sa vulnérabilité, par son manque de capacités militaires et sa faiblesse démographique, le Qatar a choisi une alliance solide avec les États-Unis qui ont installé une grande base militaire. En contrepartie, le Qatar s’est engagé à soutenir le processus de paix israélo-arabe, pierre angulaire de la diplomatie américaine au Proche-Orient. 
     C’est ainsi qu’un bureau commercial israélien s’est ouvert à Doha en septembre 1996 et qu’Israël a participé aux sommets économiques. Mais les relations diplomatiques officielles avec la Qatar ont été rompues à la suite de l’opération «plomb durci» de décembre 2008. Depuis Israël a refusé par deux fois le rétablissement de ces relations car les conditions étaient jugées excessives. Le Qatar exigeait l’entrée à Gaza de grandes quantités de ciment et de matériaux de construction que le Hamas pouvait utiliser à des fins militaires. De nombreuses tentatives de reprise ont été engagées par le Qatar. Elles se sont exprimées par la visite secrète en Israël de l’émir qui a rencontré Tsipi Livni en présence de l’ambassadeur israélien à l’ONU Dan Guillerman.
Cliquer sur le triangle noir pour voir la visite secrète

     Depuis le «printemps arabe», l’émirat cherche à jouer dans la cour des grands, tant sur le plan économique que politique. Il a décidé de s’impliquer dans le conflit palestinien en tentant d’arbitrer le débat. Mahmoud Abbas a fait le déplacement à Doha à deux reprises pour signer un accord de gouvernement, sans lendemain, avec Khaled Mechaal, chef du Hamas. Le Qatar veut s'intéresser à tous les conflits qui touchent le monde arabe : le Darfour, la rébellion chiite au Yémen et les tensions politiques au Liban.  Il a utilisé les révolutions arabes comme caisse de résonance en tentant de supplanter l’Égypte en pleine révolution et l’Arabie saoudite, affaiblie par les guerres de succession au sein de la famille royale. Par opportunisme, il a renié certains de ses alliés en engageant ses forces aux côtés des occidentaux en Libye contre le colonel Kadhafi.


Ambiguïté

L'émir à Gaza

     Mais sa diplomatie tout azimut n’est guère appréciée par certains pays arabes et elle inquiète même car son salafisme lié aux réseaux islamistes mondiaux suscite des craintes au point où les diplomates qataris ont été rabroués en Algérie, en Tunisie et en Mauritanie. Par ailleurs la compétition engagée avec l’Arabie saoudite a conduit à des relations exécrables qui se sont certes  améliorées depuis 2008, à la suite des troubles au Bahreïn qu’ils ont cherché tous deux à contenir. Les deux pays se sont ensuite retrouvés sur une position commune sur le conflit syrien en militant pour une grande fermeté. Face au danger de nuisance de l’Iran, ils ont cherché à créer un front anti-chiite. Mais la situation reste ambiguë car, si en Égypte les saoudiens soutiennent les salafistes du parti Al Nour et restent hostiles au Hamas, le Qatar s’est rapproché des Frères musulmans égyptiens et de leurs alliés de Gaza.
     L’ambiguïté est forte car, proche du Hamas palestinien et en contact avec la plupart des mouvements armés de la région, le Qatar est aussi un allié des pays occidentaux. L'émirat s'efforce de maintenir le lien avec toutes les parties et il arrive à recevoir officiellement à Doha les responsables de mouvements considérés comme terroristes par Washington. La DGSE, les services de renseignements français ont informé le gouvernement  que les islamistes d'AQMI au nord Mali sont soutenu financièrement par le Qatar ainsi que ceux de Tunisie et de Libye. Les armes et le dollars  sont par ailleurs offerts à profusion aux insurgés  djihadistes syriens par le Qatar.
Les européens et les américains sont également sensibles à l'argument économique. L'émirat avait payé les indemnités au régime libyen dans l'affaire de la libération des infirmières bulgares. Aujourd'hui la France accepte les 50 millions d'euros promis pour aménager les banlieues françaises sans s'inquiéter de la mainmise salafiste auprès des jeunes maghrébins en difficulté. La crise économique pousse les occidentaux à rechercher l'alliance, dans une nouvelle stratégie, avec l'un des pays les plus riches sans se soucier des thèses dangereuses qu'il diffuse dans le monde.
       Mais le Qatar reste pragmatique vis-à-vis d’Israël. WikiLeaks avait révélé que l’Emir du Qatar avait un langage réaliste lorsqu’il s’adressa au sénateur John Kerry en février 2010 : «Les dirigeants israéliens doivent représenter le peuple d’Israël, qui lui-même ne peut pas faire confiance aux arabes. C’est compréhensible explique l’Émir puisque les israéliens ont été menacés depuis très longtemps».
     Certains observateurs s’inquiètent du double langage du Qatar. Il est difficile d’appréhender les relations précises entre les factions radicales et les milices sous le patronage du Qatar et l’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) dont les ramifications sont nombreuses à travers l'Afrique du Nord. La visite du Qatar à Gaza repose d’ailleurs le problème des groupes salafistes qui agissent ouvertement au Sinaï et qui pour certains s’infiltrent depuis Gaza tandis que des quantités d’armes de contrebande en provenance de Libye inondent la région. 
L'émir reçu par Ismaël Haniyeh

L’émir veut marquer le territoire de Gaza comme sa zone d’influence en consolidant le régime du Hamas mais certains craignent qu’il ne favorise l’émergence d’une force de combat érigée sur le modèle des Brigades Al-Qods pour servir de bras armé du Qatar à Gaza, et par conséquent dans la péninsule du Sinaï.

Frénésie d'achats
 
     En plus d'user de ses pétrodollars pour une conquête politique de certains territoires, le Qatar est pris d'une frénésie d'achats. Des oeuvres d'art aux entreprises, en passant par les équipes de football ou les hôtels prestigieux, le Qatar achète tout sans éclairer l'opinion occidentale sur sa véritable stratégie. territoire désertique de la taille de la Corse, habité par 1,7 million d'habitants, il est catalogué comme le pays le plus riche avec la troisième réserve de gaz du monde.  
Centre de conférences avenue Kléber

Ses milliards sont investis dans les plus beaux fleurons français : le palace parisien Royal Monceau, l'ancien centre de conférences internationales de l'avenue Kléber,le Carlton de Cannes et l'hôtel Majestic. A Londres, il a racheté le prestigieux magasin de luxe Harrods. Le fonds souverain qu’il a créé a racheté 10% du capital du groupe Lagardère et est entré au capital de Veolia Environnment et de Vinci en préparant l’acquisition du le constructeur aéronautique EADS. 
Ces quelques exemples montrent que l’infiltration sournoise du Qatar est inquiétante surtout lorsqu’un fonds de 50 millions servira à financer les projets des jeunes maghrébins de banlieue en échange du développement du salafisme en Europe. La diplomatie du portefeuille agit en pleine conscience des occidentaux qui ferment les yeux en période de crise. Israël critique du bout des lèvres la visite de l'émir dans la bande de Gaza car il est persuadé que les palestiniens cesseront l'usage de la violence, non pas par conviction, mais par intérêt. L'émir a posé comme condition de son aide l'arrêt des hostilités. Il ne tient pas à financer en pure perte des ensembles voués à la destruction en cas de représailles à l'envoi de roquettes au sud du pays : «On ose espérer que l'émir va encourager les palestiniens qui ne prônent pas la violence. En attendant, nous trouvons bizarre que l'émir ne soutienne pas les palestiniens dans leur ensemble, mais qu'il prenne parti pour le Hamas contre l'Autorité palestinienne, à qui il n'a jamais rendu visite en Cisjordanie. L'émir a choisi son camp et ce n'est pas bon» a déclaré le porte-parole du ministère des affaires étrangères Ygal Palmor.
Mais Israël voit d'un bon oeil les investissements civils d'un montant de 254 millions de dollars consacrés aux infrastructures routières et à la construction de logements dans le nord de la bande de Gaza. Les matériaux destinés à ces projets entreront bientôt par le terminal de Rafah. Il espère que la leçon sera donnée au Hamas pour qu'il cesse définitivement se attaques. Mais la question reste de savoir si le Hamas pourra contrôler les débordements de ses factions extrémistes du Djihad islamique qui veulent toujours en découdre avec Israël.




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