BIRMANIE : LE PAYS OUBLIÉ
Par Jacques
BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
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La Birmanie a des frontières communes avec l’Inde,
le Bengladesh, le Laos, la Chine
et la Thaïlande. Le
silence qui entourait ce pays était dû à la mainmise du régime autarcique,
autoritaire et dictatorial du général Ne Win qui a régné avec férocité de 1962
à 1988. Pour asseoir son pourvoir, il avait utilisé toutes sortes de manœuvres au
détriment de son peuple affamé et opprimé. Pour déstabiliser et détruire la
trésorerie de ses opposants, le despote décida en septembre 2007 de retirer de
la circulation toutes les petites coupures qui représentaient 70% de la monnaie
birmane. Cette mesure ruina brutalement la population et entraina, malgré les
risques encourus, un mouvement général de désobéissance civile animé par les
étudiants, les professeurs, puis les fonctionnaires pour gagner enfin l’ensemble
du pays.
Dictature sanguinaire
Des proches du dictateur, soucieux de
sauvegarder leurs privilèges, décidèrent alors de renverser Ne Win pour
rétablir l’ordre. Des généraux s’installèrent au pouvoir au début de 1988 et,
en s’appuyant sur des prisonniers de droit commun libérés sur leur ordre, ils
ont institutionnalisé l’insécurité dans toutes les régions. L’opposition était
réprimée sans ménagement tandis que la junte organisait le pillage en règle de
toutes les ressources du pays à son propre profit, faisant ainsi de la Birmanie le septième pays
le plus pauvre du monde. La population ne pouvait que subir la terreur sans
broncher.
Alors, le 8 août 1988, près de
500.000 manifestants, soutenus par la guérilla Karens, défilèrent dans la capitale
Rangoon. L’armée reçut l’ordre de tirer à vue et assassina des milliers de
personnes sans compter ceux qui, pourchassés à travers le pays, périrent de
faim, de froid ou de malaria dans leur fuite. Aucun gouvernement occidental
n’avait alors été suffisamment ému pour songer à prendre, pour le moins, des
mesures de sauvegarde de la population.
Aung San Suu Kyi |
La junte, soumise à la pression
internationale, organisa alors en 1990 des élections libres qui furent
remportées à 80% par le parti du prix Nobel Aung San Suu Kyi, la Ligue Nationale pour la Démocratie. Cette
victoire n’eut aucun effet sur la naissance d’une démocratie réelle puisque les
militaires confisquèrent le pouvoir et interdirent l’installation de l’opposition
aux commandes du pays. Trois généraux dont le Président, le Chef des Armées et
le Chef des Renseignements des Armées, en perpétuelle lutte interne, se mirent depuis
cette date aux commandes du pays, semant la terreur dans le silence complice et
coupable de l’Occident.
La population est complètement tétanisée
par la misère et la menace tandis que plus de 30% des enfants birmans n’ont
rien à se mettre sous la dent. Dans ce contexte, le gouvernement décida
d’augmenter les prix des carburants de plus de 60%, de doubler celui du diesel
et de multiplier par cinq le prix du gaz naturel. Ces hausses ont entraîné
inévitablement une augmentation générale de tous les autres produits en pénalisant
une population affamée. Le prix des transports était devenu tellement excessif
que les salariés ne pouvaient plus se rendre à leur usine car le coût du
déplacement était supérieur à leur salaire.
Aidés par des vétérans des troubles de
1988, une centaine de courageux Birmans organisa alors une marche pacifique de
protestation le 19 août 2007. Les manifestants étaient loin d’atteindre le nombre de 1988 mais leur courage fut applaudi
par une foule conquise et compréhensive. Les responsables de la junte se
déchaînèrent alors sur les pacifiques qui furent arrêtés, torturés et massacrés.
A Pakkoku, la ville célèbre pour ses monastères, plusieurs centaines de moines
descendirent dans la rue tandis que le pouvoir les qualifiait de vulgaires
manifestants sans soutien populaire. L’armée les ligota à des réverbères, les
défroqua et les matraqua à coups de bambous sans se rendre compte que la
médiatisation de l’incident allait avoir un effet déplorable auprès de l’étranger.
La junte devenait consciente que la
Sangha, communauté religieuse de moines, risquait d’amplifier la contestation à l’ensemble du pays. Cette agitation incita la figure de
l'opposition birmane Aung San Suu Kyi, assignée à résidence depuis plusieurs
années, à sortir de sa maison à Rangoun pour saluer et soutenir les moines. Deux
mille bonzes et civils s’étaient présentés devant son domicile où elle était
confinée depuis dix huit ans.
Il est indéniable que la junte
birmane n’aurait jamais pu se maintenir sans le soutien aveugle et massif de
Pékin qui fait preuve dans cette affaire d’égoïsme et de cynisme. Son expansion
industrielle prime sur la morale et incite les chinois à privilégier en
priorité leur approvisionnement en gaz et pétrole birmans. Même s’ils laissent
les multinationales américaines envahir
des pans entiers de leur tissu industriel et économique, ils voient toujours
d’un mauvais œil l’installation d’une démocratie à leurs frontières. Les
nouvelles «mesures
ciblées» de l'Union européenne contre la junte sont restées
sans effet. Le groupe français Total, présent sur le sol birman depuis 1992,
exploite en toute transparence le champ gazier de Yadana offrant ainsi au
régime corrompu près de cent millions d’euros de royalties.
Par
ailleurs la Chine
ne peut pas se permettre de freiner ses exportations d’armes dont l’usage qui
est fait contre les droits humains les indiffère. Elle continue à fournir depuis
1988 les véhicules militaires, les munitions et les pièces de rechange à la
junte birmane sans se préoccuper de l’usage fait pour réprimer les
manifestations. Le volume des échanges militaires s’est accru depuis 1995 avec
l’arrivée en Birmanie de matériel lourd
constitué de chars d’assaut et de véhicules blindés dans le cadre d’un
contrat de plus d’un milliard de dollars. La population meurt de faim mais en
revanche l’armée birmane frise l’indigestion de matériel militaire.
La Russie n’est pas en reste
et rechigne à se comporter en spectatrice. Elle
tient à concurrencer la Chine
là où elle opère. L’agence russe à l’énergie atomique a annoncé qu’un réacteur
nucléaire allait être construit en Birmanie en précisant que la puissance du réacteur
utilisera de l’uranium-235 enrichi à 20 pour cent. On ne comprend pas cette
priorité dans un pays qui regorge de carburant, qui a besoin d’infrastructures
et qui manque surtout de vivres.
Les Birmans souffrent et crèvent de
faim en silence tandis que la junte continue de matraquer et d’assassiner. L’occident
observe, passif, en versant des larmes de crocodile et en se bornant, pour se
dédouaner, à faire voter des résolutions à l’ONU ou des «mesures ciblées» qui,
jamais appliquées, resteront des vœux pieux. La clé du problème est actuellement
détenue par les chinois qui font preuve, comme hier au Darfour, d’un cynisme et
d’un aveuglement pressant dès qu’il s’agit de garantir leur approvisionnement
pétrolier indispensable à leur croissance. Les dictatures dans les zones à
influence chinoise ont ainsi un grand avenir et les birmans beaucoup de soucis à
se faire sur leur futur misérable.
L’année 2012 a fait surgir tous
les espoirs pour la population de Birmanie. L’élection de Daw Aug San Suu Kyi au Parlement a
constitué un moment historique pour
toutes les personnes qui ont lutté pour promouvoir la démocratie et les
droits de l’homme en Birmanie. Aujourd’hui,
si la situation évolue dans le bon sens, le processus de transition en cours
dans le pays demeure fragile et incertain. Alors que la population de Birmanie
teste les limites de ses nouvelles libertés, il devient évident que les
réformes en cours ne sont encore que superficielles.
Depuis 2011, les autorités
birmanes mènent en effet un programme de réformes mais celles-ci restent
largement insuffisantes. Le gouvernement est toujours contrôlé par les
militaires et la majorité des lois répressives mises en place par la junte ces
dernières années n’a pas été abrogée. Pire encore, les représentants du
gouvernement et les forces de sécurité continuent de participer directement à
de graves violations des droits humains.
Thein Sein |
La Birmanie connaît l’un des pires
bilans au monde en matière de Droits de l’Homme. Chaque transition est
difficile et les réformes prennent du temps. Cependant, depuis que Thein Sein
est Président, le pays a connu une très forte aggravation de la situation des
droits humains ainsi qu’une escalade de la violence à l’égard des minorités
musulmanes, avec l’implication du gouvernement birman. En particulier les
Rohingyas, sont la cible d’une campagne de nettoyage ethnique et de crimes
contre l’humanité.
Dans l’État Kachin, bien qu’il y
ait eu des négociations de paix, il y a eu peu de progrès de la part du
gouvernement pour s’engager vers un véritable cessez-le-feu. Au mois de
décembre 2012, l’État Kachin a même connu la plus grave intensification du
conflit depuis le début de la guerre en
juin 2011, l’armée birmane utilisant des avions de combat, des hélicoptères et
de l’artillerie lourde pendant ses opérations militaires contre l’Armée
d’indépendance Kachin.
Le gouvernement continue
d’utiliser la torture, le harcèlement et les détentions arbitraires contre les populations civiles.
La plupart des lois répressives sont
toujours en place. Si de nombreux prisonniers politiques ont été
libérés, des centaines n’ont toujours pas été libérés. Emprisonnés dans les
conditions les plus abominables, les prisonniers ont subi des actes de torture
physique et psychologique. Parmi ceux qui ont été libérés, beaucoup l’ont été
sous conditions : leur peine est suspendue jusqu’à ce qu’ils soient à nouveau
arrêtés. Ceux qui sont encore en prison, servent au gouvernement birman de
monnaie d’échange pour revaloriser son image lorsqu’il en a besoin.
Les lois répressives sont
toujours en place et donnent au gouvernement un cadre juridique lui permettant
de mettre sous silence les voix dissidentes. Sans une réforme législative de
grande ampleur, tous les citoyens birmans restent susceptibles d’être
injustement arrêtés et incarcérés
Mais la donne pourrait changer avec les dernières élections si aucun obstacle ne vient freiner la marche vers la démocratie.
Cher Jacques,
RépondreSupprimerJe rentre de Birmanie où j'ai passé 10 jours, allant de pagode en pagode certes, mais aussi, de marché en marché à la rencontre de minorités ethniques. Le voyage a été organisé avec soin, en faisant attention de ne pas descendre dans des hôtels appartenant à des généraux et affidés dans la mesure des connaissances possibles. Des constatations sur le terrain : la majeure partie des habitants de la Birmanie (70% de Birmans, 30% de minorités ethniques plus une foultitude de sous-groupes) vit d'une agriculture de subsistance. Fruits, légumes et riz ne manquent pas si le ciel est clément. Mais c'est une agriculture de subsistance. Dans les marchés, les différentes ethnies se rencontrent pour vendre ce qu'elles produisent et acheter ce qu'elles n'ont pas, proche du troc si prisé par les Birmans. L'armée était quasiment invisible. Sans doute, c'est plutôt la police secrète qui tient le pays. La campagne électorale battait son plein, et les partisans de la Dame de Yangoon ne craignaient pas d'afficher leur opinion à Yangoon, dans les autres villes ou même dans les campagnes.Ils semblaient sûrs de leur victoire. Les touristes chinois étaient partout. Il y a un vrai développement touristique, parfois difficile, car les Birmans ne parlent quasiment que le birman ou leurs dialectes. De grands défis attendent la Dame de Yangoon si les généraux ne lui confisquent pas sa victoire car, sans même parler de la Constitution ou des Droits de l'Homme, 20% de la population vit sous le seuil de pauvreté (comme en Israël) et l'éducation n'est pas gratuite. C'est avec beaucoup d'espoir que j'a sillonné la Birmanie en cette période électorale et je salue la victoire d'Aung San Suu Khi.
Cordialement,