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dimanche 10 novembre 2013

LES RELATIONS CONFLICTUELLES FRANCO-ISRAELIENNES 1/3 - 1967-2007


LES RELATIONS CONFLICTUELLES FRANCO-ISRAELIENNES  

1967-2007

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps




A l'occasion de la visite de François Hollande en Israël, nous reproduisons nos trois articles sur les relations conflictuelles entre la France et Israël après les articles sur la période idyllique.

PARTIE 1/3

   
Rupture de l’idylle
Général de Gaulle

    L’idylle franco-israélienne avait duré de 1948 à 1967. Cette relation inédite, qui a eu l’inconvénient de ne pas être inscrite dans un traité ou dans des textes, ne survivra pas à l’arrivée au pouvoir du Général de Gaulle. Son ministre des affaires étrangères, Maurice Couve de Murville, décida dans son souci d’éliminer les partisans de l’Algérie Française, de vider le Quai d'Orsay des amis d’Israël. 



Fin de la coopération nucléaire

          Il donna l’ordre de recruter des fonctionnaires à particule, idéologiquement pro-arabes, issus souvent de la bourgeoisie antisémite. Le Quai d’Orsay était repris en mains par les Gaullistes. Cette nouvelle vague de diplomates s’acharna à défaire en quelques mois les liens amicaux tissés avec l’Etat juif pendant 10 ans. Le moment était certes propice puisque, avec la fin de la guerre d’Algérie, ils reçurent la mission de reconquérir le monde de l’islam, abandonné à la seule Grande-Bretagne. Mais, en contrepartie, la nouvelle politique ouvrit la voie à une vassalisation de la France face aux suzerains arabes.
      Pour la petite histoire, Ben Gourion avait eu raison de réclamer, lors de la réunion secrète de Sèvres, un document écrit car il voulait garantir l’avenir. Shimon Pérès se servira des trois feuillets du «protocole de Sèvres», sans réelle valeur juridique officielle, auprès du premier gouvernement de la V° république. Dès son intronisation, Maurice Couve de Murville, chercha à mettre un terme à la coopération nucléaire franco-israélienne qui freinait ses velléités de développement des relations avec les pays arabes. Pour parvenir à ses fins, il était prêt à indemniser totalement Israël pour les sommes dépensées en achats de marchandises françaises dans le cadre du projet nucléaire. Il le fit savoir aux diplomates israéliens.
          Shimon Pérès a alors été envoyé d’urgence à Paris après la réception d’une note du ministère. Le ministre français des affaires étrangères lui assura que «la France ne divulguerait rien, ni les grands traits ni les détails de l’arrangement de Sèvres». Dans un entretien où «Couve» fit preuve de son dédain habituel vis-à-vis d’Israël, Shimon Pérès, humilié mais réactif, lui répondit «que si la France en dénonçait unilatéralement l’essence même, nous ne serions pas en mesure de sauvegarder ce qu’il souhaitait sauvegarder, c’est-à-dire la clause de non-publication». Autrement dit en termes moins diplomatiques, si la France arrête la coopération avec Dimona, alors nous, Israéliens, nous «crachons le morceau». «Vous marquez un point» dut reconnaître le ministre du général de Gaulle et la collaboration franco-israélienne à Dimona se poursuivit malgré la mauvaise humeur française.

Revanche du Quai

    Mais la revanche était inscrite dans l’Histoire. Le Quai d’Orsay, qui avait été mis à l’écart de la préparation de la Campagne de Suez, multiplia dans une sorte de lâcheté feutrée les mesures coercitives ou les conseils négatifs visant directement Israël. Il s’opposa ainsi à la création d’une usine Renault à Haïfa en 1959, prôna sans cesse l’arrêt de la coopération nucléaire en 1963 et conseilla l’interdiction des livraisons d’armes à partir de 1965. Cela prouve que cette idée germait déjà, bien avant la Guerre des Six jours. 
          Dès 1963, les diplomates français inondèrent le bureau du général de Gaulle de notes explicites niant tout intérêt dans la poursuite des relations avec Israël et leur ministre de tutelle n’aura de cesse que de mettre fin aux relations privilégiées entre les deux pays. Arrogant, Couve de Murville ira jusqu’à apostropher Aba Eban en 1966 par des termes révélateurs du changement de la  stratégie française : « le caractère des liens entre Israël et la France ne justifient pas que le Général de Gaulle vous tape sans cesse sur l’épaule pour vous rassurer ».
Abba Eban


    Il est certain que le général n’était pas dirigeant à être sous influence jusqu’à  être inféodé aux thèses du Quai mais il allait subir inconsciemment le travail de sape des diplomates qui tenaient à leur vengeance. Il avait gardé ses amitiés israéliennes intactes et maintenu sa correspondance régulière avec Ben Gourion. Mais malgré ses engagements, il ferma les yeux en 1967 sur le blocage du détroit de Tiran par Nasser et étrangla l’armée israélienne en décrétant un embargo sur les exportations d’armes au moment le plus crucial où Israël devait défendre son existence. On reconnaît d’ailleurs la main, sinon l’esprit, du Quai d'Orsay dans le discours du 28 novembre 1967 quand le Général définit Israël comme «un Etat guerrier résolu à s’agrandir» et s’en prit aux juifs comme «peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur».

Le choc des juifs français


        Ces propos susciteront une vive polémique au point où Raymond Aron, écrivain juif assimilé et éditorialiste au Figaro, s’indigna de l’ambiguïté contenue dans ce discours. Comme la plupart des intellectuels d’origine juive, Aron n’était pas intégré à la communauté et n’avait, jusqu’en 1967, que des rapports distants avec le monde juif. Son premier voyage en Israël remontait à 1956. Il avait été enthousiasmé par les réalisations du nouvel État mais il n’avait jamais modifié pour autant sa position d’observateur impartial. Le sociologue avait eu très tôt le flair de comprendre combien Israël pouvait compliquer ses rapports avec la France : «Je risque de me conduire en mauvais français si j’use de mon influence pour convaincre mes compatriotes d’accorder à Israël un préjugé favorable». Raymond Aron exposait ainsi le problème des dirigeants juifs français qui craignent d’être accusés de favoritisme à l’égard d’Israël s’ils prenaient ouvertement son parti.
Caricature de Tim
          Mais l’indignation de la déclaration gaulliste fit sortir Raymond Aron de sa réserve. Il écrivit le 4 juin, quelques jours avant le déclenchement de la guerre de Six Jours, un éditorial dans le Figaro qui déclencha une prise de conscience générale: «Les Juifs français qui ont donné leur âme à tous les révolutionnaires noirs, bruns ou jaunes hurlent maintenant de douleur pendant que leurs amis hurlent à la mort. Je souffre comme eux, avec eux, quoi qu’ils aient dit ou fait, non parce que nous sommes devenus sionistes ou israéliens, mais parce que monte en nous un mouvement irrésistible de solidarité. Peu importe d'où il vient. Si les grandes puissances, selon le calcul froid de leurs intérêts, laissent détruire le petit État qui n'est pas le mien, ce crime, modeste à l’échelle du nombre, m’enlèverait la force de vivre et je crois que des millions et des millions d'hommes auraient honte de l’humanité.» 
Le diplomate Armand Bérard à l'ONU

          Israël savait exploiter les moments difficiles de son existence et choisissait de se nourrir des drames pour qu’ils lui deviennent bénéfiques. Les Juifs de France avaient qualifié les propos du général de Gaulle d’antisémites car ils y voyaient une incitation à leurs ennemis à donner de la voix. Ce fut un déclic salutaire pour tous ceux qui, assimilés et totalement coupés de la communauté, décidèrent de retrouver soudain le chemin d’un judaïsme volontairement déserté. Mais le réveil juif se nourrit toujours de l’antisémitisme et les faits devenaient têtus. Certains diplomates français n’ont jamais caché leurs sentiments à cet égard. Ainsi, quand le général de Gaulle perdit son référendum, le délégué français à l’ONU, Armand Bérard, ne trouva rien de mieux pour exprimer son émotion que de s’exclamer : «C'est l'or juif qui en est la cause!». Le Quai d’Orsay avait encore frappé.

Fin de la partie 1/3

1 commentaire:

  1. J'attends la suite moi aussi et merci pour nos enfants et petits-enfants !

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