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jeudi 7 novembre 2013

L’IDYLLE FRANCO-ISRAELIENNE de 1948 à 1958 Partie-3

L’IDYLLE FRANCO-ISRAELIENNE de 1948 A 1958

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps

Partie 3/3

Lien pour la première partie :

Lien pour la seconde partie :
http://benillouche.blogspot.co.il/2012/01/lidylle-franco-israelienne-de-1957_27.html

Les trois parties de l'article ont été relayées par le site de l'Ambassade d'Israël en France :
http://nosnondits.wordpress.com/2013/11/07/lidylle-franco-israelienne/





Entente Amicale
David Ben Gourion
     
          Alors que la France et la Grande-Bretagne s’organisaient pour contrer Nasser, Israël préparait de son côté différents plans d’offensive pour mettre fin aux attaques des fédayins venus d'Egypte et de Gaza. Cependant Ben Gourion, contrairement à une réputation erronée de guerrier, n’était pas partisan de la guerre mais, s’il devait la subir, il s’y engageait à fond comme il l’a démontré durant la guerre d’indépendance. Malgré les insistances de son chef d’État-Major, il hésita à donner le feu vert à Moshé Dayan pour attaquer l'Egypte qui laissait passer les terroristes, sauf s'il trouvait un arrangement avec les Français. 



Ben Gourion-Dayan et Pérès
          Le 28 septembre 1956 un bombardier français conduisit en France une délégation secrète composée de Moshé Dayan, Shimon Pérès, Golda Meir et Moshe Carmel, le ministre des transports, après une halte technique dans la base de Bizerte. La gravité de la situation ne donna lieu, dans les souvenirs du chef de Tsahal, qu’à un compte-rendu original de cette escale. Il s’était surtout souvenu d’avoir reçu, «une bouteille de rouge, des fromages, un pain et un mètre de saucisse» laissant ainsi accréditer que ses souvenirs culinaires restaient les plus marquants. Il est vrai qu'il avait la réputation d'être un bon vivant.
    Cette visite brève eut une conséquence heureuse et fructueuse pour Israël puisqu’elle permit à Moshé Dayan et Shimon Pérès d’obtenir toutes les livraisons d’armes, de chars AMX et d’avions Mystère IV, tardant à se débloquer malgré la signature des contrats. Le 1er octobre 1956, ils furent reçus dans l’appartement de Louis Mangin, conseiller de Bourgès-Maunoury, parce que le chef d’État-major français craignait que le secret soit éventé : «je ne peux pas recevoir dans mon bureau le général Dayan, grand mutilé de guerre; il porte un bandeau noir sur l’œil gauche et il n’est pas facile à camoufler». Tandis que Pérès, Dayan et même Begin de passage «par hasard» à Paris, s’affichaient inconsciemment dans les cafés de Saint-Germain-des-Prés, le Général Beauffre, aidé de l’amiral Barjot, planifiait la campagne de Suez de 1956 qui prit le nom de code «Kadesh». Le général Challe, qui se distingua plus tard en Algérie, raccompagna Dayan en Israël ce qui leur permit de tisser, durant le voyage de retour, des liens étroits de professionnels. 

Général Maurice Challe

Équipe de « jeunots »

           Mais aucune décision ne fut arrêtée lors de cette rencontre car les dirigeants à Paris étaient décontenancés par l’équipe de «jeunots» israéliens conduite par Moshé Dayan, 41 ans, et le gamin Shimon Pérès, 33 ans alors que l’État-Major français comptait des vieux militaires illustres, bardés de médailles, qui s’étaient distingués durant la Seconde Guerre Mondiale. Les Français exigèrent donc d’avoir la caution personnelle du premier ministre israélien. 
Christian Pineau et Ben Gourion
         Le 21 octobre 1956, en fin d’après midi, Christian Pineau, ministre français des affaires étrangères, reçut un coup de téléphone du cabinet du chef du gouvernement lui enjoignant de se rendre seul, avec sa voiture personnelle banalisée et sans chauffeur, à Sèvres, près de l’aérodrome militaire de Vilacoublay, proche de Paris, dans le pavillon d'un couple de Juifs français, les Elgozy. A son arrivée, il est introduit dans la salle à manger bourgeoise où un repas simple sans protocole lui était servi par la maitresse de maison. Il trouva attablés autour d’un potage, non seulement son collègue Maurice Bourgès-Maunoury, ministre de la Défense, mais aussi quatre israéliens de premier plan, David Ben Gourion, Moshe Dayan, «le borgne qui fait peur aux arabes», comme on disait à l’époque, Golda Meir et Shimon Pérès. Le premier ministre israélien venait d’atterrir secrètement à quelques kilomètres du pavillon tandis que Guy Mollet, le chef du gouvernement les rejoignit un peu plus tard.
       Une atmosphère pesante régnait parmi les convives. Le potage avalé, Ben Gourion dévoila, devant ses interlocuteurs français médusés, sa vision de l’avenir. Ils attendaient de lui sa caution pour l’expédition militaire de Suez mais ils assistèrent à un véritable cours de sciences politiques où il excellait d'ailleurs. Il leur dessina, pendant plus de vingt minutes précieuses, le Grand Israël, Eretz Israël, taillé dans un Proche-Orient remodelé à sa convenance. Le résumé de ses propos a été divulgué bien plus tard par Moshe Dayan lui-même. Il révèle un aspect essentiel du personnage qui contredit la mythologie bâtie autour de lui. 
         Au lieu de prendre une posture de va-t-en-guerre, qui lui collait abusivement à la peau, Ben Gourion se montra à Paris circonspect quant à une action militaire immédiate. Il s’agissait soit d’une stratégie justifiée par la position de force où il se trouvait ou bien alors, d’une réelle retenue devant les risques qu’il faisait courir à son peuple. Il estimait à juste titre que le conflit avec Nasser concernait d'abord la France et la Grande-Bretagne qui avaient été spoliées par des nationalisations. Israël n'était pas concerné par le Canal de Suez. Par ailleurs, il avait déjà obtenu toutes les armes qu’il avait réclamées. Il avait donc annoncé à ses interlocuteurs médusés qu’il n’était pas prêt à faire la guerre à l’Égypte. Ce n'était pas un caprice de sa part mais, en tant que visionnaire pragmatique,  il avait conscience des limites de son armée et des intérêts immédiats d’Israël.

Contrepartie française

Centrale nucléaire Dimona

      Mais il avait finalement cédé et les observateurs politiques se sont perdus en conjectures. Rien n’avait transpiré à l’époque du débat secret qui s'était engagé entre la France et Israël. Le journaliste de la presse française qui faisait autorité à l’époque et qui était très introduit dans les milieux politiques, Hubert Beuve-Méry, avait laissé filtrer quelques interrogations explicites : «Quels sont les mobiles du revirement israélien ? Quand on connaît la détermination du cabinet israélien, on peut penser que de sérieuses assurances ont été données au chef du gouvernement de Jérusalem.» Le directeur du journal «Le Monde» détenait certainement la clef de la question mais, en grand professionnel, il savait garder les secrets d’État.
        Il ressort des mémoires des différents acteurs que Christian Pineau, dès la fin de l’intervention de Ben Gourion, avait été volontairement écarté de la réunion et envoyé à Londres pour informer les Anglais que les Israéliens hésitaient ou refusaient de donner leur accord à une intervention militaire. En fait, le président du Conseil français voulait éloigner le représentant du Quai d’Orsay pour entreprendre une autre négociation, encore plus secrète que la première. Il s’agissait d’un secret dans le secret, si secret que le ministre des affaires étrangères, pourtant réputé ami d’Israël, en avait été exclu. A vrai dire, le Quai d’Orsay, de réputation pro-arabe, était plus visé que lui car le ministère risquait de s'opposer à ce que le gouvernement était prêt à concéder.
          Dans le dos du chef de la diplomatie française, occupé à Londres à persuader Anthony Eden d’agir sans l’aide d’Israël, les dirigeants israéliens David Ben Gourion, Moshe Dayan, Golda Meir et Shimon Pérès discutaient avec Guy Mollet, président du Conseil, Maurice Bourgès-Maunoury, ministre de la Défense et Maurice Challe, chef d'État-major des armées, de coopération nucléaire mais aussi de stratégie militaire. Ben Gourion connaissait la faille de la couverture aérienne de son pays et il fit part à ses interlocuteurs de ses inquiétudes sur la protection des villes israéliennes.
Moshe Dayan durant la campagne de Suez
          Lors de la réunion de Sèvres, Ben Gourion s’était laissé persuader, le 21 octobre, de lancer les paras de Dayan dans le Sinaï en échange d’un engagement de la France de donner la bombe nucléaire à Israël. Mais sachant que les gouvernements français de la IV° république étaient instables, Ben Gourion avait exigé des français un document car il tenait à garder une trace écrite. C’est donc sur des simples feuilles fournies par l’hôtesse que le «protocole de Sèvres» a été ratifié. On croyait ces feuillets perdus à jamais mais il est confirmé que les Israéliens avaient gardé un exemplaire ainsi que Christian Pineau. Il n’est pas établi que ce protocole ait eu une valeur juridique puisqu’il n’avait pas reçu les sceaux du ministère mais il représentait un document symbolique qui a d’ailleurs été exploité plusieurs années plus tard, lors d'une situation dramatique, face à Couve de Murville au Quai d'Orsay.

L’accord secret nucléaire

Forces franco-britanniques à Suez

         L'accord secret, en sept points tenant sur trois feuillets manuscrits, précisait que les Israéliens prendraient l'initiative du déclenchement de la guerre dans le Sinaï puis que les Français et les Britanniques interviendraient quelques jours après. En échange, les Israéliens avaient obtenu des Français une couverture navale et aérienne de leur territoire. Plusieurs avions français, peints aux couleurs israéliennes, mais pilotés par des aviateurs français, ont été envoyés en Israël avec pour mission de n’intervenir que pour défendre le territoire, sans engager de missions d’attaques. Le gouvernement français acceptait par ailleurs de livrer des avions à réaction à Tsahal (Mystère II, Mystère IV, Vautour) et des chars légers AMX-13 et de développer une coopération nucléaire. 
          C'est à cette occasion qu'une étroite coopération franco-israélienne s'amorça grâce aux efforts de Shimon Pérès qui réussit à acquérir, auprès de la France, le premier réacteur nucléaire de Dimona et, auprès de l'avionneur français Dassault, le Mirage III, un avion de combat à réaction le plus évolué de l'époque.
Ariel Sharon durant la campagne de Suez
          Ben Gourion avait accepté de donner sa caution personnelle à l’expédition éclair qui devait mener les troupes israéliennes, le 29 octobre, sous la conduite du général Dayan et d’un jeune colonel de 28 ans, Ariel Sharon, jusqu’au Canal de Suez avec la protection aérienne franco-anglaise. L’opération n’ira pas à son terme car le président Eisenhower, à peine élu et soumis à la menace nucléaire russe, préféra faire plier les Alliés en les obligeant à évacuer l’Egypte. Cet incident confortera les Français dans la décision de fabriquer leur propre bombe atomique en y associant leur nouvel allié Israël.
         L’expédition de Suez n’a jamais eu l’aval du ministère français des affaires étrangères qui avait été mis en dehors des secrets des préparatifs. «Surtout pas un mot au Quai d’Orsay» avait imposé le ministre de la défense. En revanche les industries militaires des deux pays avaient trouvé une source de coopération par la volonté d’hommes français et israéliens qui partageaient la même affinité politique socialiste, à fortiori lorsque le souvenir de la Résistance restait encore vivace dans les esprits. 
        L'idylle franco-israélienne dura plus de dix ans dans l'intérêt des deux pays, alors dirigés par des socialistes, à la fois pour le développement des échanges commerciaux et pour la collaboration des industries de haute technologie. Cette proximité avec la France donna à Israël une grande assurance face aux injonctions russo-américaines de l'époque. L'entente se poursuivit pour atteindre son apogée à l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle qui décida d'y mettre fin.

1 commentaire:

  1. Félicitations pour cet excellent rappel détaillé dans ses perspectives historiques.
    Il est à noter une curiosité semble t'il -sauf erreur- propre à la France.
    Qui décide de la politique étrangère du pays, l'éxecutif elu ou un bastion de fonctionnaires rattachés à une institution dont la fonction est d'être aux ordres de cet éxecutif.
    Cette peur qu'inspire le Quai d'Orsay a l'éxecutif est assez stupéfiante.
    Finalement c'est le Quai d'Orsay qui prend les commandes, et cela peut s'avérer nuisible à un pays quand ses hommes politiques sauf s'ils ont une certaine envergure sont empechés d'agir ou n'agissent que conformément aux deside rata d'une élite non élue.
    On en voit les résultats dramatiques actuels, la politique arabe tous azimuts de la France ayant conduit logiquement -tout est lié- à un excès d'immigration mal contrôlée sans gain particulier que quelques contrats dont bcp payés à crédit avec de l'argent des contribuables.
    D'autres pays occidentaux-dont l'Allemagne ont continué de commercer avec profit avec les pays arabes sans etre obligés d'en faire'trop' sur le plan de l'asservissement politique.
    PLus tard les historiens discuteront du bien fondé de cette politique voulue par De Gaulle dans le but louable en ses prémices de faire de la France et de l'Europe une puissance capable de s'opposer aux Anglo-Saxons qu'il détestait pour lui avoir laissé un strapontin dans le cadre des accords de Yalta.
    Mais l'Histoire montre que cette initiative a dérapé et tourné au désastre sans qu'aucun gouvernement successif n'ait tenté d'y mettre un bémol.
    De ce fait la France porte une lourde responsabilité n'ayant pris en compte dans l'immigration que l'avantage d'une main d'oeuvre à bas prix.
    La vanne immigrative d'origine ouverte par De Gaulle est devenue un tsunami à l'échelle européenne mal pensée par ses successeurs.
    On posera donc la question de la responsabilité du désastre qui risque d'enterrer l'Europe : De Gaulle son initiateur-qui ne pouvait pas imaginer à quel point il allait être servi- ou ses successeurs totalement aveugles.
    Toujours est-il que la France a perdu une continuité commerciale stable, techonologique de haut niveau et une vitrine internationale comme le disait Tim Larribau justement pour écoouler ses avions Dassault,sans oublier le parc automobile et toute l'empreinte de l'influence culturelle francaise qui régnait en Israel jusqu'en 1967.

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