LES RISQUES D’UNE GUERRE DES DRONES ENTRE ISRAËL ET L’IRAN
Par Francis MORITZ
La multiplications des actes de violences dans les
territoires sous la responsabilité de l’Autorité Palestinienne n’a échappé à
personne et certainement pas au Hamas. Devant l’effondrement de cette autorité
qui n’en a plus que le nom, le Hamas a saisi l’occasion de lancer une action de
grande envergure pour y prendre un pouvoir sinon formel, mais de fait, en vue
de l’avenir. Dans le même temps, on constate une intensification des raids
aériens israéliens en Syrie, contre des cibles iraniennes directement ou celles
de ses milices, voire sur des objectifs syriens. Parallèlement les États-Unis
ont procédé à plusieurs opérations de représailles pour donner suite à une
attaque manifestement iranienne sur une de leurs bases qui a fait une victime.
débris de drone envoyé sur l’Iran, présumé d’origine israélienne |
La complexité de la situation croit chaque jour, alors
que la Russie laisse faire, que le ministre de la Défense Yoav Gallant est
renvoyé du gouvernement avec sursis et que le premier ministre réfléchi à le
réintégrer, peut-être, comme l’y invite le presque-ministre de l’intérieur Arie
Dehry (qui avait pris l’engagement de quitter la politique, dans un accord avec
la justice qui l’avait condamné) mais qu’il essaye de réintégrer tout en
détournant la loi. Même Hollywood ne pourrait imaginer un scénario plus
compliqué et pourtant réel et oh combien dangereux.
Le contexte
Dans un passé récent des membres des Gardiens de la Révolution,
les véritables maîtres de la république des Mollahs, ont été éliminés dans des
circonstances diverses qu’on attribue, le plus souvent, à Israël ou aux États-Unis.
On peut donc s’attendre à ce que le régime veuille prendre sa revanche, ne
serait-ce que pour ne pas perdre la face, au regard de la situation intérieure
pour le moins inquiétante. Le 31 mars, deux officiers supérieurs du corps de
cyberguerre membres des Gardiens, de la Force Al Qods (celle de Soleimani
éliminé par Washington) ont été à leur tour éliminés. L’Iran a promis des représailles.
Le premier avril, Israël a attaqué plusieurs bases en
Syrie, à Al Dabaa proche de Homs, al Shrat et Tiyas, dont tout indique qu’il
s’agissait de bases de lancement de drones. Le Hezbollah y entreposait des systèmes
électroniques de brouillage et des armes. Les images satellites recueillies
après la frappe montrent avec précision que les cibles visées ont bien été
atteintes, dont divers équipements d’origine iranienne, radar mobile de
surveillance, lanceur mobile de drones notamment. Les informations connues
indiquent qu’il s’agit de systèmes développés par la firme Shiraz electronics, contrôlée
par les Gardiens, avec une portée présumée de 500 kms. Les systèmes en place qui étaient stationnés à
Al Dabaa depuis 2016 n’avaient jamais été ciblés. envoi de drones
C’est donc bien la traduction d’une augmentation
notable de la tension et une escalade dans la cyberguerre entre Israël, l’Iran,
le Hezbollah et le Hamas à un degrés moindre. Il semble que l’intensification
majeure des opérations par Israël avait pour but de bloquer une attaque
d’envergure prévue avec un envoi massif de drones, dans la période où Israël
célèbre la Pâque. Le drone inconnu qui a pénétré dans l’espace aérien
israélien le 2 avril aurait été envoyé en éclaireur pour évaluer les
moyens d’interception de Tsahal. A partir de vidéos connues, il semble qu’il
s’agissait d’un drone Shahab qui serait une version réduite du drone-suicide
Qasef qu’utilisent les Houthis soutenus par l’Iran au Yémen.
La
suite, les risques
L’Iran ne voudra pas ou ne pourra pas se limiter à des
déclarations de propagande annonçant qu’elle a déjoué une attaque de drones sur
ses installations. La propagande se nourrit d’images. On se rappelle que
Téhéran s’en était pris à un navire lié à Israël dans le golfe d’Oman au moyen
de drones suicides, On ne peut donc exclure une future tentative, aussi loin
que possible de l’Arabie son voisin car un tel incident viendrait perturber leurs
nouvelles relations diplomatiques. Le risque pour une telle opération, pourrait
être une réaction des forces navales américaines très présentes dans ce
secteur. Pour les mêmes raisons, des attaques ou l’enlèvement de touristes
israéliens à l’étranger serait une autre façon de se venger. Les Gardiens ont
démontré que rien ne les arrête dès qu’il s’agit de défendre leurs intérêts.
Leur crédibilité est mise en question, tant en Syrie qu’en Iran même où de
nombreux incidents sont manifestement le résultat de cyber attaques. Ce qui
amène à se poser la question actuelle sur l’asymétrie de la guerre des drones.
Guerre des drones
Le conflit en Ukraine a brutalement mise en lumière la
capacité de l’Iran à produire et à fournir à la Russie des centaines de drones
capables de provoquer des dommages très importants aux infrastructures et à la
population civile. On doit rappeler
l’attaque en 2019 déjà, des installations pétrolières saoudiennes par des
drones «inconnus» pas pour tout le monde. L’absence de réaction
américaine peut être considérée comme la remise en cause de l’accord historique
du 14 février 1945 conclu entre le président Américain Franklin Roosevelt et le
roi Ibn Saoud : l’accès ad vitam aeternam au pétrole saoudien en
échange d’une protection sécuritaire américaine, quoi qu’il arrive.
Les Saoudiens, depuis lors, ont compris qu’il fallait
désormais revoir leurs liens avec Washington qui, à leurs yeux, a failli à les
défendre. Cette passivité des États-Unis,
a permis à la Chine de poursuivre sa politique d’implantation au Moyen Orient.
L’accord patronné entre Téhéran et Ryad en est la dernière démonstration. On
passe allégrement d’une relation bipolaire à une politique multipolaire, dans
laquelle le double standard a sa place. La Turquie avait déjà ouvert la voie,
membre de l’Otan mais acheteur et utilisateur d’un système de défense aérienne
russe et en bonne relation avec Moscou.
Il apparaît que l’apparition des drones a largement
modifié les conditions des conflits. Leur sophistication, combinée avec les
moyens toujours plus performants de la cyberguerre, constituent un danger
nouveau et qui remet en question les grands équilibres traditionnels. On doit
prendre en compte que même des petites unités très mobiles peuvent désormais
lancer des attaques et se déplacer. Nul doute qu’Israël, producteur des drones Heron
est parfaitement conscient de cette nouvelle donne. Cependant le risque de voir
des attaques simultanées sur ses frontières nord et sud, ainsi que de la Syrie,
ont pris une ampleur qui pose un problème, notamment en raison des faibles
distances et de la rapidité des interventions.
Enfin à la suite de la déclaration du ministre de la Défense
(limogé mais en période de sursis) Yoav Gallant nous ne permettrons pas à
l’Iran et au Hezbollah de nous faire du mal, semble indiquer qu’Israël est
déjà prêt à lancer une ou plusieurs actions préventives, d’autant que la
question nucléaire sous-tend ce climat de haute tension, qui est alimenté par
le caractère fanatique des réactions dans cette période du Ramadan. Le grave
incident dans la mosquée Al Aqsa en est un exemple de plus, dans une série déjà
longue. Israël ne peut pas continuer à fonctionner avec un gouvernement qui
tire à hue et à dia, selon les priorités des partis qui composent la coalition.
L’intérêt supérieur du pays doit être la seule priorité au vu des
circonstances.
Premiere reaction sans aucun rapport avec les drones: Bibi cherche un moyen de se demettre de ses fonctions.
RépondreSupprimerIl faut ajouter, M.Moritz, que les derniers drones lances par la Syrie/Hezbollah/Iran n'ont ete interceptes qu'a l'interieur des frontieres aeriennes d'Israel au dessus de la haute Galilee, mais aussi, au dessus du lac de Tiberiade (il y a 2 ou 3 jours).
Et ce n'est pas un hasard qu'une mobilisation des reserves dans l'Armee de l'Air et dans la DCA a ete lancee hier soir. Il faut aussi imaginer que dans un avenir assez proche le Hamas de Gaza soit pourvu, lui aussi, de drones.
Encore un excellent article de Francis Moritz, et qui m'a appris beaucoup de choses !
RépondreSupprimerOui, il y a tout un arrière plan technologique et d'Histoire proche, dans cette guerre à distance que ne cessent pas de se mener Israël et l'Iran depuis une vingtaine années.
Quelques remarques personnelles :
- merci d'avoir rappelé la lâcheté insigne de Trump, au pouvoir en 2019, quand il y a eu l'attaque massive de drones sur les installations pétrolières saoudiennes. On l'a oublié, centrés comme nous le sommes tous sur Israël et l'espoir déçu d'une paix avec l'Arabie.
- cette lâcheté l'a conduit aussi à signer un accord livrant l'Afghanistan clés en main aux Talibans. "Fort en gueule", dur avec les faibles et faible envers les forts, ce type s'il revenait au pouvoir d'ici deux ans vendra l'Ukraine à Poutine, je n'en doute pas.
- enfin, pour en revenir au fond de l'article, il y a un niveau scientifique inquiétant chez les Iraniens, et qui - sans vouloir être méprisant - n'était pas du tout celui des Arabes en guerre avec Israël dans les années 40 à 80. Mais il y a aussi un nationalisme qui nous déconcerte : ces mêmes ingénieurs vivent dans un pays où les femmes sont traitées comme on le sait ; qui mitraille les manifestants, et pend en public des centaines de malheureux chaque année ; et ils continuent de servir le régime, détesté par une majorité de la population ? Pourquoi le font-ils ? Sont-ils des fanatiques ? Sont-ils particulièrement choyés par les mollahs ? Mystère.