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lundi 21 novembre 2022

Israël-Arabie saoudite, état des lieux par Francis MORITZ


ISRAËL-ARABIE SAOUDITE, ÉTAT DES LIEUX

 

Par Francis MORITZ

 

Sommet de Djeddah juillet 2022, MBS et le président Biden

De nombreux experts et exégètes prédisaient que le royaume wahabite serait le prochain sur la liste après les accords d’Abraham. L’autorisation de survol accordée après la visite du président Biden, laissait planer cet espoir qui n’a pas été concrétisé. C’était un geste envers le président américain qui pensait probablement créer l’évènement, sans y parvenir. Au Moyen Orient rien n’est simple, le poids de l’Histoire pèse. Il faut donc toujours revenir aux fondamentaux. A défaut, on se fourvoie en spéculations et hypothèses. Sous l’autorité de MbS devenu le dirigeant du royaume avant d’en être couronné le roi, trois piliers figurent au cœur du régime actuel et ne peuvent être écartés sans conséquence.


Photo à venir ou passée ?


Projection islamique universelle

Depuis des générations, dans le narratif saoudien, tous les dirigeants et l’élite ont fondé leur légitimité sur l’islam et l’établissement d’un pacte politico-religieux, et, sans aucune exception s’identifient comme serviteurs de la Oumma musulmane. En clair, le royaume et ses dirigeants successifs se sont toujours proclamés serviteurs de la nation musulmane dans sa dimension universelle de l’identité islamique. Dans ses communications vers l’extérieur, l’Arabie saoudite proclame qu’elle abrite deux sanctuaires sacrés de l’islam : la Mecque la bienheureuse et Médine la radieuse d’une part et la mosquée al Aqsa à Jérusalem de l’autre. Le titre du roi est explicite : Gardien des deux saintes mosquées.  A noter que la Jordanie joue également un rôle sur le Dôme du Rocher.

Depuis des décennies, la prééminence saoudienne au sein du monde arabe n’a pas été mise en cause, quand bien même des dissensions dans la politique extérieure existent voire persistent avec des monarchies du Golfe. Le blocus du Qatar en a été un exemple. Actuellement ce leadership sunnite lui est disputé par l’Iran et sa politique expansionniste déjà omniprésente au sein du monde chiite, jusqu’aux frontières d’Israël.

La cause palestinienne partie intégrante du narratif saoudien

Elle est partie intégrante du narratif qui se traduit par l’initiative de paix de MbS alors prince héritier, de mars 2002. En l’état, Israël l’avait rejeté. Pour autant, on note que dans ses récentes interventions (septembre 2022) MbS a remis ce projet sur la table en termes vagues sous entendant qu’il implique une négociation entre les parties. On doit également avoir conscience que la rue arabe conserve elle aussi la cause palestinienne au cœur, comme partie intégrante de son identité en tant que musulmane. On pourrait presque paraphraser l’invitation qui se lit lors de la célébration de pâques dans le monde juif, l’année prochaine à Jérusalem - mais à la mosquée al Aqsa.

La cause palestinienne est enracinée dans l’identité saoudienne. L’Arabie, comme gardienne des lieux saints de l’islam, revendique depuis sa création sous le roi Ibn Saoud, son rôle de phare et leader du monde arabe. C’est un aspect identitaire majeur qui explique l’actualisation du narratif. L’élite séoudienne ne peut sauter à pieds joints dans une relation avec Israël, sauf à voir se dresser contre elle la majorité de la population et le clergé qui restent plutôt hostile à des liens avec Israël.

La politique interne, les priorités

MbS se veut réformateur en vue de l’après-pétrole, mais il doit composer avec le clergé sunnite et ses prérogatives. Il aura sans doute en mémoire la révolution iranienne, qui avait vu le Shah avancer à marche forcée vers la modernité mais en mettant de côté les mollahs. On se souvient aussi des émeutes qui ont eu lieu dans le passé et dont on a minimisé l’importance. Il ne peut donc sauter le pas brutalement et renoncer à tous ces aspects identitaires qui sont autant d’éléments de stabilité du régime et de sa place dans le monde arabo-musulman. Encore très récemment l’agence de presse séoudienne rapportait que le Prince héritier MbS a eu l’honneur de laver la Sainte Kaaba.

MbS alors prince héritier, déclarait déjà à un quotidien américain : Si je veux faire baisser le taux d’emplois et que le tourisme pourrait créer un million d’emplois en Arabie saoudite cela signifie que si je peux empêcher trente milliards de dollars de quitter l’Arabie et que le plus gros reste en Arabie, les Saoudiens voyageront moins, cela signifie que je dois assouplir les restrictions actuelles en matière de divertissement, notamment.

MBS accueilli par le président français. On efface l'affaire Kashoogi


MbS veut manifestement se concentrer sur sa priorité immédiate que sont les réformes intérieures sur le plan socio-économique, tout particulièrement maintenir le pouvoir d’achat de ses concitoyens. Il doit cependant faire face à une bureaucratie extrêmement conservatrice, soucieuse de maintenir ses privilèges. C’est pourquoi, introduire la nouvelle économie post pétrole et modifier les mentalités actuelles, fruits de la rente pétrolière - constituent ses plus grands défis. Cette étape se conjugue également avec la nécessité de consolider la légitimité de MbS en interne, au sein du monde arabe et sur le plan international. On n’a pas tout à fait effacé les péripéties de l’affaire Khashoggi. Pour ce faire MbS fait aussi appel au nationalisme saoudien, il ne peut donc faire l’impasse sur la causer palestinienne qui revient régulièrement dans sa communication.

Instrumentalisation de l’initiative de paix de mars 2002

Lors du sommet de Djeddah de juillet qui réunissait le président Biden et neuf dirigeants arabes, MbS a de nouveau instrumentalisé son initiative de paix en affirmant que la normalisation avec Israël restait subordonnée au bien-être et à la prospérité dans la région, nécessitant l’accélération d’une solution juste à la cause palestinienne conformément à l’initiative de paix, en écho à la déclaration de Joe Biden annonçant qu’il allait apporter la paix entre le royaume et Israël. De façon pragmatique MbS annonce sa volonté de coopérer ouvertement avec Jérusalem tout en recourant à son projet et la nécessité de parvenir à un accord avec les Palestiniens.

MbS rencontre Poutine


Les changements possibles

Seul un changement de paradigmes peut accélérer l’évolution des relations entre Israël et le royauma wahabite.  Les conditions existent pour que cela se produise. MbS a bien compris et inclus dans les paramètres qui changent que son initiative de paix ne pourrait être une base de discussion (sans préjuger de l’issue) et ne serait viable uniquement dans la perspective où règnerait la prospérité dans la région. Il comprend bien qu’en son absence c’est l’insécurité actuelle qui interdit tout progrès, car on continuera à être dans une zone de conflits : Yémen, Irak, Soudan, Somalie, Érythrée, Liban où la situation est d’autant plus désespérée que de fait, c’est le Hezbollah qui est aux manettes.  Le conflit en Ukraine rebat également les cartes dans une certaine mesure, surtout concernant la position des pays arabes envers la Russie, tentent de rester à l’écart malgré les pressions américaines.

La position antagoniste et belliqueuse de l’Iran peut devenir un facteur déterminant sur le plan sécuritaire, qui constituerait un argument de nature à amplifier le nationalisme saoudien et permettre un rapprochement à petits pas vers Israël. Par ailleurs, le développement des relations avec les émirats est un signal positif. L’Arabie est à l’écoute et pourrait à son tour en tirer les bénéfices. Si l’Iran – comme elle sait le faire - décide de fomenter des troubles chez ses voisins pour essayer d’imputer la responsabilité de ses troubles intérieurs à des forces extérieures, Israël, les États Unis et d’autres, pour ne pas les nommer. Paradoxalement plus l’Iran fait preuve d’hostilité envers ses voisins, plus un renversement des paradigmes pourraient intervenir.

On peut imaginer qu’avec la suspension, sinon même la fin des négociations sur le nucléaire, les nouvelles sanctions contre l’Iran ; les manifestations qui durent et dont nul ne peut prévoir l’issue, que l’Iran veuille créer le conflit avec ses voisins dont le royaume saoudien. Ce procédé est a largement été utilisé au cours de l’Histoire et les Gardiens de la révolution feront tout, même l’inimaginable pour conserver le contrôle du pays et leurs privilèges. À ce prix, l’Arabie saoudite pourrait changer ses priorités et se rapprocher plus franchement et rapidement d’Israël, les dispositifs sont prêts. La résolution de la cause palestinienne passerait au second plan.

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