Sommet de Djeddah juillet 2022, MBS et le président Biden |
De nombreux experts et exégètes
prédisaient que le royaume wahabite serait le prochain sur la liste après les
accords d’Abraham. L’autorisation de survol accordée après la visite du président
Biden, laissait planer cet espoir qui n’a pas été concrétisé. C’était un geste
envers le président américain qui pensait probablement créer l’évènement, sans
y parvenir. Au Moyen Orient rien n’est simple, le poids de l’Histoire pèse. Il
faut donc toujours revenir aux fondamentaux. A défaut, on se fourvoie en spéculations
et hypothèses. Sous l’autorité de MbS devenu le dirigeant du royaume avant d’en
être couronné le roi, trois piliers figurent au cœur du régime actuel et ne
peuvent être écartés sans conséquence.
Photo à venir ou passée ? |
Projection
islamique universelle
Depuis des générations, dans le
narratif saoudien, tous les dirigeants et l’élite ont fondé leur légitimité sur
l’islam et l’établissement d’un pacte politico-religieux, et, sans aucune
exception s’identifient comme serviteurs de la Oumma musulmane. En clair, le
royaume et ses dirigeants successifs se sont toujours proclamés serviteurs de
la nation musulmane dans sa dimension universelle de l’identité islamique. Dans
ses communications vers l’extérieur, l’Arabie saoudite proclame qu’elle abrite
deux sanctuaires sacrés de l’islam : la Mecque la bienheureuse et Médine
la radieuse d’une part et la mosquée al Aqsa à Jérusalem de l’autre. Le titre
du roi est explicite : Gardien des deux saintes mosquées. A noter que la Jordanie joue également un
rôle sur le Dôme du Rocher.
Depuis des décennies, la
prééminence saoudienne au sein du monde arabe n’a pas été mise en cause, quand
bien même des dissensions dans la politique extérieure existent voire
persistent avec des monarchies du Golfe. Le blocus du Qatar en a été un
exemple. Actuellement ce leadership sunnite lui est disputé par l’Iran et sa
politique expansionniste déjà omniprésente au sein du monde chiite, jusqu’aux
frontières d’Israël.
La
cause palestinienne partie intégrante du narratif saoudien
Elle est partie intégrante du
narratif qui se traduit par l’initiative de paix de MbS alors prince héritier,
de mars 2002. En l’état, Israël l’avait rejeté. Pour autant, on note que dans
ses récentes interventions (septembre 2022) MbS a remis ce projet sur la table en
termes vagues sous entendant qu’il implique une négociation entre les parties.
On doit également avoir conscience que la rue arabe conserve elle aussi la
cause palestinienne au cœur, comme partie intégrante de son identité en tant
que musulmane. On pourrait presque paraphraser l’invitation qui se lit lors de
la célébration de pâques dans le monde juif, l’année prochaine à Jérusalem -
mais à la mosquée al Aqsa.
La cause palestinienne est
enracinée dans l’identité saoudienne. L’Arabie, comme gardienne des lieux
saints de l’islam, revendique depuis sa création sous le roi Ibn Saoud, son
rôle de phare et leader du monde arabe. C’est un aspect identitaire majeur qui
explique l’actualisation du narratif. L’élite séoudienne ne peut sauter à pieds
joints dans une relation avec Israël, sauf à voir se dresser contre elle la
majorité de la population et le clergé qui restent plutôt hostile à des liens
avec Israël.
La
politique interne, les priorités
MbS se veut réformateur en vue de
l’après-pétrole, mais il doit composer avec le clergé sunnite et ses
prérogatives. Il aura sans doute en mémoire la révolution iranienne, qui avait
vu le Shah avancer à marche forcée vers la modernité mais en mettant de côté les
mollahs. On se souvient aussi des émeutes qui ont eu lieu dans le passé et dont
on a minimisé l’importance. Il ne peut donc sauter le pas brutalement et
renoncer à tous ces aspects identitaires qui sont autant d’éléments de
stabilité du régime et de sa place dans le monde arabo-musulman. Encore très
récemment l’agence de presse séoudienne rapportait que le Prince héritier MbS
a eu l’honneur de laver la Sainte Kaaba.
MbS alors prince héritier,
déclarait déjà à un quotidien américain : Si je veux faire baisser le taux
d’emplois et que le tourisme pourrait créer un million d’emplois en Arabie
saoudite cela signifie que si je peux empêcher trente milliards de dollars de
quitter l’Arabie et que le plus gros reste en Arabie, les Saoudiens voyageront
moins, cela signifie que je dois assouplir les restrictions actuelles en
matière de divertissement, notamment.
MBS accueilli par le président français. On efface l'affaire Kashoogi |
MbS veut manifestement se
concentrer sur sa priorité immédiate que sont les réformes intérieures sur le
plan socio-économique, tout particulièrement maintenir le pouvoir d’achat de
ses concitoyens. Il doit cependant faire face à une bureaucratie extrêmement
conservatrice, soucieuse de maintenir ses privilèges. C’est pourquoi, introduire
la nouvelle économie post pétrole et modifier les mentalités actuelles, fruits
de la rente pétrolière - constituent ses plus grands défis. Cette étape se
conjugue également avec la nécessité de consolider la légitimité de MbS en interne,
au sein du monde arabe et sur le plan international. On n’a pas tout à fait
effacé les péripéties de l’affaire Khashoggi. Pour ce faire MbS fait aussi appel
au nationalisme saoudien, il ne peut donc faire l’impasse sur la causer
palestinienne qui revient régulièrement dans sa communication.
Instrumentalisation
de l’initiative de paix de mars 2002
Lors du sommet de Djeddah de
juillet qui réunissait le président Biden et neuf dirigeants arabes, MbS a de nouveau
instrumentalisé son initiative de paix en affirmant que la normalisation avec
Israël restait subordonnée au bien-être et à la prospérité dans la région,
nécessitant l’accélération d’une solution juste à la cause palestinienne
conformément à l’initiative de paix, en écho à la déclaration de Joe Biden
annonçant qu’il allait apporter la paix entre le royaume et Israël. De
façon pragmatique MbS annonce sa volonté de coopérer ouvertement avec Jérusalem
tout en recourant à son projet et la nécessité de parvenir à un accord avec les
Palestiniens.
MbS rencontre Poutine |
Les
changements possibles
Seul un changement de paradigmes
peut accélérer l’évolution des relations entre Israël et le royauma
wahabite. Les conditions existent pour
que cela se produise. MbS a bien compris et inclus dans les paramètres qui
changent que son initiative de paix ne pourrait être une base de discussion (sans
préjuger de l’issue) et ne serait viable uniquement dans la perspective où
règnerait la prospérité dans la région. Il comprend bien qu’en son absence c’est
l’insécurité actuelle qui interdit tout progrès, car on continuera à être dans
une zone de conflits : Yémen, Irak, Soudan, Somalie, Érythrée, Liban où la
situation est d’autant plus désespérée que de fait, c’est le Hezbollah qui est
aux manettes. Le conflit en Ukraine
rebat également les cartes dans une certaine mesure, surtout concernant la
position des pays arabes envers la Russie, tentent de rester à l’écart malgré
les pressions américaines.
La position antagoniste et
belliqueuse de l’Iran peut devenir un facteur déterminant sur le plan
sécuritaire, qui constituerait un argument de nature à amplifier le
nationalisme saoudien et permettre un rapprochement à petits pas vers Israël.
Par ailleurs, le développement des relations avec les émirats est un signal
positif. L’Arabie est à l’écoute et pourrait à son tour en tirer les bénéfices.
Si l’Iran – comme elle sait le faire - décide de fomenter des troubles chez ses
voisins pour essayer d’imputer la responsabilité de ses troubles intérieurs à des
forces extérieures, Israël, les États Unis et d’autres, pour ne pas les nommer.
Paradoxalement plus l’Iran fait preuve d’hostilité envers ses voisins, plus un
renversement des paradigmes pourraient intervenir.
On peut imaginer qu’avec la
suspension, sinon même la fin des négociations sur le nucléaire, les nouvelles
sanctions contre l’Iran ; les manifestations qui durent et dont nul ne
peut prévoir l’issue, que l’Iran veuille créer le conflit avec ses voisins dont
le royaume saoudien. Ce procédé est a largement été utilisé au cours de l’Histoire
et les Gardiens de la révolution feront tout, même l’inimaginable pour
conserver le contrôle du pays et leurs privilèges. À ce prix, l’Arabie saoudite
pourrait changer ses priorités et se rapprocher plus franchement et rapidement
d’Israël, les dispositifs sont prêts. La résolution de la cause palestinienne
passerait au second plan.
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