Devoir de vérité : un roman de Bluma FINKELSTEIN

DEVOIR DE VÉRITÉ

Un Roman de Bluma FINKELSTEIN

Recension de Jacques BENILLOUCHE

           

       On pourrait à priori se dire que c’est encore et encore un ouvrage sur la Shoah mais en fait il s’agit d’un roman original, d’une part parce qu’il est bilingue français-allemand et que la Shoah est racontée par un non-juif, l’autre bord pourrait-on dire, d’autre part parce que l’histoire ne se veut pas pesante. Écrit dans un style alerte, en français littéraire, le texte recèle un certain suspense qui pousse le lecteur à en savoir plus et plus vite sur le héros mais surtout sur ce qui s’est passé réellement pendant la guerre. Le roman est facile à lire et pourtant le thème est chargé d’Histoire, et surtout de non-dits.

Nick Graetz, universitaire linguiste, est retourné à Berlin en 1996 après trois années d’études à New York. Il a découvert sous une latte de plancher de son appartement un billet caché, mentionnant que «nous, Hanan et Eva Pritzker, nous avons vécu dans cet appartement. C’est Frau Helga qui nous a dénoncés». Frau Helga était la gardienne de l’immeuble pendant la guerre et l’est encore plusieurs années après. C’est un peu la mémoire de l’immeuble, voire du quartier. Ce petit mot l’a poussé à approfondir la situation des Juifs pendant l’époque d’Hitler et le comportement des habitants non-juifs de son village dont son père, témoins de l’horreur. Malgré sa ferme décision d'éluder l’histoire de l’Allemagne nazie, l’Histoire elle-même s’impose à lui, brutalement, dans l’inconcevable nudité de l’horreur.

            À partir de ce moment, il cherche à comprendre ce qui s’est réellement passé. Vue à travers les yeux d’un Allemand non juif, l’horreur de cette période dramatique est traduite par l'auteur sous une forme délicate pour ne pas décourager ni choquer le lecteur. S’ouvre à lui le problème de la responsabilité collective ou personnelle des habitants de son village où vivait une active communauté juive. 

       Le thème fondamental du roman est le silence face à la Shoah : «et cependant, pourquoi ne pas en parler ? Combien de temps peut-on vivre dans le non-dit par rapport à tout un passé, rien que pour ne pas devoir se confronter à sa propre conscience ?» Nick, qui n’est pas juif, veut tout savoir sur l’indicible. Sa mère lui a tout caché alors qu’elle a été témoin des victimes de la Shoah. Elle a fini par lui raconter le sort des Juifs de son village d’Alspach et l’horreur de ce qu’ils avaient enduré en s'excusant : «on ne peut pas comprendre ce monde-là, cette époque-là, c’est la poubelle de notre Histoire !».

C’est alors la quête progressive de la vérité qui ne s’exprimera pas sans douleur. Présenter la Shoah par l’autre bout du spectre, par ceux qui l'ont soutenue, voire pratiquée, est une démarche originale qui certes, ne cherche pas à absoudre les responsabilités, mais à faire comprendre l’étendue de la collaboration d’une population intoxiquée par son leader. Un livre sur la Shoah comme on n’en a pas encore lu.   

 

Bluma Finkelstein

       L’auteur, Bluma Finkelstein, née en Roumanie en 1942, est une poétesse et essayiste roumano-israélienne. Elle vit en Israël depuis 1963. Elle est professeur émérite de littérature française et comparée à l’Université de Haïfa où elle vit. Voix majeure dans la littérature israélienne francophone contemporaine, elle a reçu en 2002 le Prix du Président de l’État d’Israël pour son œuvre en langue française (prix attribué pour la première fois à un écrivain francophone israélien). En 2019, Lauréate du Prix international de Littérature Francophone Benjamin Fondane. En 2008, elle a été nommée Chevalier de l'Ordre National du Mérite par le Président Jacques Chirac.

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