SAMIR GEAGEA SUR LES TRACES DE BACHIR GEMAYEL
Par Jacques BENILLOUCHE
Bachir Gemayel et Samir Geagea |
Samir Geagea, né le 25 octobre 1952, à Ain-el-Remmaneh (banlieue de
Beyrouth), est un ancien chef de milice et homme politique libanais. Pendant la
guerre civile libanaise, il était le compagnon de Bachir Gemayel, chef des
Forces libanaises, les Kataëb, et lui a succédé quand Bachir a été assassiné en
1982. Il s'était imposé comme son successeur incontesté. Son rôle pendant le
conflit est très controversé : accusé et jugé pour de nombreux crimes, dont les
assassinats du premier ministre Rachid Karamé, du chef de milice chrétien Tony
Frangié, de Dany Chamoun (fils de l'ex-président Camille Chamoun), avec sa
femme et ses deux enfants, il a été jugé après la guerre. Il a passé 11 ans en
prison entre 1994 et 2005, date à laquelle il a été gracié par le président
Émile Lahoud ce qui lui a permis de reprendre place dans la vie politique
libanaise.
Gemayel à gauche et Geagea à droite |
Figure historique des chrétiens du Liban, il a symbolisé dans les années
d'après-guerre l'injustice faite à cette communauté par la puissance tutélaire
syrienne. L'homme fascine par sa détermination et une tendance au mysticisme
qui le font parfois passer pour un illuminé surnommé le «hakim»
(docteur) en souvenir des études de médecine qu'il fut contraint d'abandonner
pour s'enrôler dans les phalanges chrétiennes, au début de la guerre
(1975-1990),
Depuis des décennies, les Chrétiens libanais sont hors-jeu. On s’est
toujours posé la question sur les raisons de leur passivité face au
développement du Hezbollah. Longtemps majoritaires, ils étaient les maitres du
Liban, contrôlait l’armée et disposait d’une puissance économique inégalée Mais
au fil de la guerre civile et de la libanisation du Liban, plutôt que le
combat, ils ont choisi l’exil en France et aux États-Unis, dans une sorte de
désertion forcée. La communauté chrétienne s’est vite réduite en peau de
chagrin quand le général Aoun s’est offert pieds et poings liés à Hassan
Nasrallah. Le dernier véritable chef à oser défier la Syrie et les islamistes fut
Bachir Gemayel, assassiné pour avoir choisi l’alliance avec Israël.
Des combattants chiites du Hezbollah et d'Amal le 14 octobre 2021 |
Aujourd’hui Samir Geagea s’est réveillé de sa torpeur et revient sur le
devant de la scène face au développement de la nuisance du Hezbollah. Nasrallah
a menacé : «Notre corps militaire compte à lui seul 100.000 combattants
entraînés, armés, qui ont de l’expérience». Geagea a répondu en lui
faisant comprendre qu’il veut rependre le combat, au moins politique, pour
contrer la milice islamiste. Il s’est adressé aux sunnites : «Celui qui vous menace n’est même pas né, s’il a 100.000
combattants, il devra faire face à 100.000 sunnites». Effectivement les
sunnites, soutenus par des éléments armés des Forces libanaises, semblent
vouloir relever la tête et ils l’ont montré le 14 octobre 2021 au cours des
affrontements dans le quartier de Tayyouneh qui ont fait 7 morts et plus de 32
blessés. La manifestation
organisée par le tandem islamiste Hezbollah-Amal contre le juge Tarek Bitar,
chargé de l'enquête sur l'explosion du port de Beyrouth (le 4 août 2020), a
dégénéré en affrontements armés entre ces groupes chiites et les miliciens des
quartiers chrétiens de Ain el Remmaneh.
Les sunnites voient
en Samir Geagea un leader charismatique : «Quelqu’un a enfin eu le
courage de donner une leçon au Hezbollah! Geagea est un homme, un vrai,
qui a su protéger sa communauté des voyous et des casseurs ! Pas comme Hariri
qui est tombé dans les bras du Hezb et de ses alliés».
Samir Geagea |
Le leader chrétien
des Forces libanaises, qui fut la bête noire des musulmans pendant la guerre
civile, semble être le seul capable de tenir tête au Hezbollah au moment
où le leadership de Saad Hariri est fortement contesté. En effet Hariri est
critiqué pour avoir, depuis 2014, fait le choix d’une collaboration avec le
Hezbollah. Nombreux sont les sunnites qui lui reprochent son manque de
combativité contre la milice de Hassan Nasrallah. Ces derniers combats ont
rappelé la date du 7 mai 2008 quand des miliciens du Hezbollah avaient pris
d’assaut les quartiers de Beyrouth-Ouest à la suite de la décision du
gouvernement de Fouad Siniora d’amputer le mouvement chiite de son réseau de
télécommunications parallèle. La communauté sunnite avait été particulièrement
traumatisée car les Chrétiens ne se sont pas laissé faire et ont riposté.
Samir Geagea a clairement annoncé son intention de prendre la tête de l’opposition au Hezbollah et de pousser les sunnites à le rallier. Il est ambitieux car il veut constituer un front avec les Forces Libanaises, le Parti national libéral de Camille Chamoun et le Rassemblement de Saydet el-Jabal dirigé par Farès Souhaid. Il prépare en fait les prochaines élections législatives du 27 mars 2022.
Une affiche à Tripoli représentant Samir Geagea reçu par le roi Salmane d’Arabie saoudite |
Le chef chrétien a un autre atout non négligeable dans sa manche : le soutien affirmé de l’Arabie saoudite, longtemps considérée comme le parrain de la communauté sunnite au Liban. Riyad veut promouvoir la percée des Forces Libanaises dans les milieux sunnites, ce qui explique les affiches accrochées à Tripoli à la suite des événements de Tayyouneh montrant Geagea assis aux côtés du souverain saoudien avec l’inscription : «Si le Hezbollah a 100.000 soldats, nous sommes également 100.000 sunnites pour vous défendre». D’ailleurs il ne fait pas mystère du soutien financier qu’il reçoit de l’Arabie saoudite.
Anciennement allié
de Saad Hariri, Samir Geagea en est devenu le principal rival. Il est de plus
en plus populaire dans la rue sunnite et semble bénéficier d’une dynamique
généralisée. Il veut ressusciter le temps où la Phalange de Pierre Gemayel
s'allia avec des milices sunnites pour s'émanciper de la France, qui avait créé
un Liban heureux et prospère. Mais les milices sunnites ont toujours joué un
rôle ambigu. En effet, ils se sont alliés avec l'envahisseur palestinien, tout
en louchant tantôt vers les Ottomans et tantôt vers les Arabes saoudiens, les
deux grands envahisseurs du Liban Chrétien.
L'invasion
palestinienne dans le sud du pays avait accru la profonde misère et la détresse des
chiites dans l'indifférence générale. Mais grâce au Hezbollah, les chiites sont
devenus les plus forts au point d'être à eux-seul, et sans les chiites d’Amal,
aussi puissants que toutes les autres communautés réunies. Mais ce mouvement est à
l’origine de la destruction du Liban. C’est pourquoi l’espoir réside dans le
ralliement de tous les clans à Samir Geagea dont l’activisme commence à inquiéter.
D’ailleurs pour le contrer, le tribunal militaire a demandé au dirigeant des Forces Libanaises,
Samir Geagea, de témoigner dans le cadre de l’incident dans une volonté de
l’impliquer dans les troubles. Le Hezbollah et le
mouvement Amal l’accusent d’avoir dirigé des «groupes armés» affiliés au
parti Forces libanaises, qui ont tué leurs partisans.
Le projet de Geagea
suscite un certain espoir au Liban mais les accidents mortels sont courants dans ce
pays et le leader chrétien a intérêt à être bien protégé s’il ne veut pas
tomber comme ses prédécesseurs. Israël rêve d'un Liban libéré des islamistes mais il faut que les Chrétiens montrent une volonté de s'émanciper.
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