Chacun la sienne. En Israël comme ailleurs. Sa
visiteuse rejeta en arrière une mèche éternellement rebelle. Que ses mouvements
de tête, ponctuant son discours, ramenaient éternellement sur ses yeux. A son
arrivée à Tel Aviv, elle lui avait annoncé la couleur. Sociologue de
profession, elle allait consacrer ses quatre semaines de séjour à débusquer la
vérité. La vérité vraie sur la relation Arabes/Israël. Faisant de la durée
courte une arme de concentration sur l’essentiel. Faisant de sa revendication à
l’ignorance, une ouverture à l’impartialité. Faisant de sa belgitude, une
garantie d’objectivité. Lui précisant maintenant, à l’issue de son enquête,
qu’elle avait complété ses lectures tous azimuts, par un rythme infernal de
rencontres. Rencontres de femmes et d’hommes publiques, de terrain, dans les
milieux politiques, économiques, culturels, religieux, dans la majorité juive
et les minorités arabes. Et, coup de mèche à l’appui, elle revenait, prenant
tous les risques, lui dévoiler la sienne, sa vérité.
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Carte communautés arabes |
Pour commencer, les vérités du temps passé. Avec, dans l’ordre, pour
sérier les choses, celles des récits millénaires historico-religieux et des
présences géo-démographiques, celles de la guerre d’indépendance, celles de
l’interminable après-guerre. Les premières, sanctuarisées, imposent
encore l’antagonisme de leur rigidité respective. Appuyées sur des récits en
toile de fond permanente. Qui mobilisent des troupes de fidèles, figés dans des
crédos et des comportements d’antiquité. Vérités idéalisées, immobilistes, d’adoration
de soi et de haine des autres. Enfermant les générations de vivants dans le
cercle infernal de leur confrontation hiératique.
Vérités de guerre ensuite. Contradictoires par définition. Partielles
pour justification. Nakba contre victoire. Honte, désespoir et frustration,
contre fierté, confiance et certitude. Chacune tricotant son histoire en emmêlant
le vrai et le faux. L’expulsion des Arabes de leurs maisons, villages et villes
par les forces armées israéliennes. Mêlée avec leurs abandons volontaires,
répondant aux appels de sirènes des pays arabes envahisseurs, promettant
l’écrasement d’Israël, ce pays impie illégitime. La relation par les Israéliens,
de l’occupation de maisons, villages et villes abandonnées par leurs
propriétaires arabes. A côté de la réalité, peu à peu dévoilée, de la politique
de délogement musclé des habitants et de rasement de villages arabes.
«Quarteron» de vérités d’après-guerre enfin,
comme aurait pu dire Le Général. Celles, décalées, des Arabes israéliens et des
Juifs israéliens. Divergentes sur une égalité de citoyenneté, contestée d’une
part, affirmée d’autre part. Celles,
également ambigües, des Arabes Palestiniens, réfugiés occupés, et des
Israéliens, implantés occupants. Pour faire simple, risqua Jonathan, Pour
faire clair, répondit l’exploratrice de vérités.
Ce qui m’importe plus, poursuivit-elle, ce sont les
vérités des temps présents. Notant, en introduction, l’approfondissement de
divergences au premier niveau de ce fameux quarteron. Entre les citoyens arabes
israéliens et les autorités de l’État. À des degrés variables selon les diverses
minorités arabes, druze, musulmane, chrétienne, bédouine. Mais toutes se
rejoignant dans le rejet de la loi récente dégradant leur citoyenneté et leur
langue au second rang. Une critique renforçant le sentiment d’injustice de
traitement économique et social. Et entachant la réalité de leur attachement national.
Vérité à laquelle s’oppose celle d’un effort continu de l’État pour élever le
statut de ces minorités au niveau moyen de la nation. Et d’une lutte permanente
pour les libérer de certaines de leurs contraintes culturelles, incompatibles
avec une démocratie moderne : patriarcat, cellules claniques, lois
d’honneur criminogène….
Divergence de vérités qui se perpétue, contre vents et marées, dans
une apparence d’éternité, entre Palestiniens et Israéliens. Envahissement en
expansion, occupation militaire renforcée, contrainte et privation,
illégitimité, d’un côté. Nécessité sécuritaire, protection des citoyens, légitimité
de développement, affirmation et défense de valeurs, d’autre part. Divergence
donc, qui peut s’effriter devant les nombreux partenariats de terrain, certains
efforts institutionnels. Mais dont l’enracinement profond résiste obstinément aux
bonnes volontés se manifestant aux deux bords.
Curieux de connaître le résultat final de cette exploration
commando, impatient de rompre le suspens, Jonathan tapota impérativement sur le
bord de la tasse de café qui fumait devant lui. Alors, Alors…. ? Le
verdict tomba, clairement. Vérités du temps passé, vérités du temps présent, vérités
bloquées. Il apparaissait nettement à la sociologue expérimentée, parfaitement
illusoire d’imaginer interrompre, ou simplement atténuer ce match des vérités. Inutile
de partir à la recherche du temps perdu. Lointain comme récent.
La seule vérité qui puisse sortir du puit profond où elle est
enfouie, émerger, étendre ses ailes, dit-elle tout en lyrisme, est la
vérité des temps futurs. Et le chemin de cette vérité commence par se
connaître. Il n’y aura pas de vérité sans connaissance réciproque. Gommant les
préjugés. Atténuant les rancunes. D’homme à homme. Il se prolonge par la
compréhension de l’autre. Comprendre, ses peurs, ses espoirs, ses convictions. Alors
le partenariat, l’égalité, l’échange, constitueront la vérité future.
Tasse contre tasse, sa visiteuse et Jonathan trinquèrent à cette promesse
de vérité.
2 commentaires:
…« Il fût très vite frappé de voir que les gens avaient peur de l’ennemi parce qu’ils étaient terrifiés à l’idée que leur vie se dilue, qu’ils ne se perdent eux-mêmes dans la jungle de la connaissance mutuelle. » Apeirogon , Colum McCann.
Merci pour cet article très juste.
Samedi dernier 18 Septembre 2021, se tena a Oum el Fahem ville musulmane sur l'ancienne frontiere dite Ligne Verte et une equipe de Nazareth, ville a majorite musulmane et minorite chretienne un match de foot qui degenera tres vite en une immense bagarre ou les habitants d'Oum El Fahem accuserent les habitamts de Nazareth d'avoir denonce les fuyards arabes de la prison israelienne! Votre sociologue a peche par defaut. Il n'y a pas de quarteron, mais des divisions encore plus nombreuses entre Arabes et eux -memes, entre Juifs et eux-memes, entre ceux qui vont a l'armee et ceux qui n'y vont pas, aux religieux de ous bords et aux laics de tous bords.
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