NAFTALI BENNETT SE FORGE UNE
STATURE D’HOMME D’ÉTAT
Par Jacques BENILLOUCHE
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Conseil des ministres |
Avant cette réunion, le 8 juillet, Naftali Bennett avait secrètement
rencontré le roi Abdallah II dans son palais d'Amman pour assainir les
relations tendues entre la Jordanie et Israël. À cette occasion, Bennett avait
donné son accord pour la vente de 50 millions de mètres cubes d'eau supplémentaires
à la Jordanie. Il s’agit de la plus grande vente d'eau d'Israël à la Jordanie
depuis le traité de paix, qui prévoit une allocation automatique de 55 millions
de mètres cubes d'eau sur une base annuelle.
Aussitôt après, la visite
en Égypte le 13 septembre s’imposait auprès du président égyptien Abdel Fattah
al-Sissi tandis que l’opposition fustigeait cette rencontre qui intervenait en
plein trouble avec Gaza et sur fond d’attentat au couteau à la gare routière
centrale de Jérusalem. Bennett a eu droit au tapis rouge dans l'enceinte
présidentielle de la station balnéaire de Sharm al-Sheikh, dans le Sinaï, pour
une réunion chaleureuse et amicale. Les symboles étant importants avec les pays
arabes, le drapeau israélien flottait juste à côté du drapeau égyptien d’une
part et la réunion a duré plus de trois heures d’autre part pour permettre aux
deux dirigeants de se connaitre. L’ancien premier ministre Netanyahou n’a
jamais connu de tels égards de la part des Égyptiens. Certes, les deux
dirigeants s’étaient rencontrés publiquement pour la première fois lors du
sommet de l'Assemblée générale des Nations Unies à New York en septembre 2017,
et en mai 2018 ils auraient eu des entretiens secrets en Égypte pour discuter
de la situation à Gaza. Mais il n’y a jamais eu de relation profonde entre eux.
Le bilan de ces deux
visites est impressionnant pour un dirigeant novice devenu premier ministre il
y a à peine trois mois. Il s’est rapidement forgé une réputation d'homme d'État. On se demande la raison de
l’empressement d’Al Sissi à inviter Bennett si chaleureusement et publiquement
sachant que les réunions avec Netanyahou avaient eu lieu à l'abri des regards
bien que les deux pays aient maintenu une coopération de sécurité et de renseignement
de premier ordre. En fait, par le canal d’Israël, le président égyptien visait
Washington et l’établissement de bonnes relations avec l'administration Biden parce
que le gouvernement américain était mécontent des violations des droits humains
en Égypte.
Mais il est évident que cette visite reflétait le changement de gouvernance à Washington et à Jérusalem. Les
Démocrates américains ont de meilleures affinités avec un gouvernement
israélien centriste, incluant la gauche et un parti arabe. L’Égypte estime
l’atmosphère plus propice à un dialogue au sujet du conflit
israélo-palestinien. Il est un fait que les négociations entre Netanyahou et
Mahmoud Abbas avaient atteint un point de non-retour dans le cadre de la
politique israélienne d’affaiblissement de l’Autorité palestinienne et du
renforcement du Hamas. Ramallah n’était plus le passage obligé pour signer des
accords avec les pays arabes.
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Lapid avec son homologue égyptien |
La visite avait été en fait préparée
le 12 septembre par le ministre des Affaires étrangères Yaïr Lapid qui avait présenté
un plan pour améliorer la vie des Gazaouis, leur offrant des mesures de
réhabilitation économique en échange du calme à la frontière et de l'arrêt du
renforcement militaire du Hamas. Le plan comprend deux
étapes. La première consiste à résoudre la crise humanitaire à Gaza : «Le
système électrique sera réparé, le gaz sera connecté, une usine de dessalement
d'eau sera construite, des améliorations significatives du système de santé et
une reconstruction des logements et des infrastructures de transport auront
lieu. En échange, le Hamas s'engagera à long- terme calme».
La deuxième étape s’organisera
à long terme avec un démarrage économique global pour la bande de Gaza. Pour
Lapid : «dans le cadre de la deuxième étape, le projet d'île
artificielle au large des côtes de Gaza sera avancé, ce qui permettra la
construction d'un port. Une liaison de transport entre la bande de Gaza et la
Cisjordanie sera construite. Investissement international à l'intérieur de Gaza
et des projets économiques conjoints avec Israël, l'Égypte et l'Autorité
palestinienne seront avancés. Des zones industrielles et d'emploi seront
construites près du poste frontière d'Erez». Contrairement à la stratégie
de Netanyahou, Lapid a clairement indiqué qu'Israël n'avait pas l'intention de
négocier avec le Hamas, qui appelle à sa destruction.
De hauts responsables
israéliens dirigés par le ministre de la Défense Benny Gantz avaient ouvert un
canal de communication direct avec Mahmoud Abbas sur la base de réunions
personnelles et d'appels téléphoniques. Bennett, premier ministre de
droite, a été contraint de suivre le mouvement. En revanche, les membres de
droite du gouvernement, y compris le ministre de la Justice Gideon Saar, n’ont
pas pris part au débat dans une sorte d’opposition silencieuse. La Droite a condamné Bennett pour avoir rompu ses promesses et n'avoir pas attaqué le Hamas,
malgré les roquettes tirées de Gaza sur Israël. Elle n'ignorait pas que le
premier ministre ne voulait pas saboter sa réunion avec Al Sissi.
Netanyahou a trouvé
l’occasion d’intervenir pour fustiger Bennett : «Dans son effort pour
offrir plus de cadeaux gratuits aux Palestiniens et pour remettre la question
palestinienne à l'ordre du jour international. Le gouvernement ne parvient pas
à gérer la crise des coronavirus et l'État est affaibli, sur le plan
stratégique et sécuritaire». C’est de bonne guerre pour le chef de
l’opposition.
L’attaque étonnante
en règle est surtout venue de l’alliée fidèle, la numéro-2 de Yamina. Les
relations entre ces deux dirigeants ont toujours été conflictuelles dans le
cadre d’une concurrence pour le leadership du parti. La ministre de l'Intérieur
Ayelet Shaked s’est attaquée violemment à Mahmoud Abbas après la rencontre de
Bennett avec Sissi. Elle a déclaré à la Conférence internationale sur la
guerre contre le terrorisme à l'Université Reichman que Bennett ne
rencontrerait pas Abbas : «En ce qui concerne Abbas, mon opinion
est bien connue. Cela n'a pas changé. Abbas verse de l'argent aux
terroristes qui assassinent des Juifs. Il poursuit des soldats et des
commandants de Tsahal à La Haye et n'est donc pas un partenaire. Le
Premier ministre n'a pas l'intention de le rencontrer». Mais Abbas
n’en a réellement cure puisqu’il peut discuter avec les deux pointures
politiques de la coalition, Yaïr Lapid et Benny Gantz.
En fait Bennett peaufine sa stature internationale tandis qu’il confie à Shaked le rôle de maintenir sa base électorale à droite en adoptant une ligne dure quand il ne peut pas le faire lui-même en sa qualité de Premier ministre. C’est en cela qu’on voit que Bennett a pris progressivement l’habit de premier ministre capable de renoncer ouvertement à certains idéaux dans l’intérêt de son maintien au pouvoir. Il semble avoir réussi sur le plan international puisque Naftali Bennett a été choisi comme l'une des «100 personnes les plus influentes de 2021» par Time Magazine.
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