Télé allemande, Talk show les Juifs du vendredi soir |
Provocation, transgression,
explication, controverse, comment ne pas se poser toutes ces questions. Il y a
de quoi être très surpris d’apprendre que la télévision allemande a commencé la
diffusion depuis le 18 juin, le vendredi soir, d’un Talk- show intitulé Friday
Night Jews. Il faut replacer cette émission inédite et à priori insolite,
dans son contexte, celui d’une petite communauté juive de 200.000 membres dans
un pays de 83 millions qui a été le berceau du nazisme et portera longtemps le
poids des six millions de victimes juives, sans oublier les millions d’autres,
quand bien même certains dans l’extrême droite et parfois au sein d’autres
forces politiques, essayent de remplacer le narratif du pays par un autre moins
lourd en responsabilités face à l’histoire.
D.DONKOY reçoit Ahmed Mansour auteur Arabe-israélien |
Il est trop tôt pour en tirer tous
les enseignements. Cependant, on peut déjà se demander pourquoi la chaine nationale
allemande ARD a fait ce choix. Depuis le début de la pandémie, l’antisémitisme
qui n’avait jamais totalement disparu a retrouvé une nouvelle vie, avec une
multiplication des actes de violences, comme si, dans ce pays, la Covid avait la
spécificité de diffuser un second virus à dimension antisémite.
L’animateur Daniel Donskoy, 31 ans,
est juif d’origine russe. Il a grandi en Allemagne, après un passage en Israël
et a été formé à Londres. Il souligne lui-même que sa judéité est absolument
marginale en ce qui le concerne. Il jouit d’une excellente réputation. Le décor utilisé représente un appartement
élégant dans Berlin. L’objectif de l’émission est de donner la parole à des Juifs
qui s’exprimeront sur tout, leur vie au quotidien, leurs sentiments, voire
d’autres thèmes plus intimes, tout cela évidemment en tant que juif, à
l’exclusion du passé et de l’antisémitisme qui sont tabous. L’émission est
enregistrée avant la diffusion du vendredi. Le présentateur convie ses invités à
partager le diner de shabbat et si des Juifs religieux souhaitent voir les épisodes,
ils sont disponibles en podcast et sur YouTube.
Une fois posés le décor et les
thèmes abordés par le présentateur et ses invités, quelle analyse peut-on
faire : On relève une première condition, surtout ne pas aborder le passé,
mais au contraire, des sujets communs à tous, sous-entendu juifs et non juifs. D’ailleurs
le talk-show est annoncé avec de «vrais Juifs» comme si on pourrait
avoir un doute. Le passé et l’antisémitisme sont deux sujets brûlants alors
qu’outre la pandémie, l’Allemagne affronte depuis des mois, une violente lame
de fond antisémite qui a déjà frappé les personnes à plusieurs reprises.
Osnabrück, ouverture de l’institut de formation des Imams |
On n’en est donc pas resté aux graffitis,
aux insultes ou aux slogans antisémites. On veut aussi la mort du pécheur. Donc
76 ans après la fin de la guerre, malgré les efforts réels des autorités pour éliminer
la bête immonde, elle a survécu. Pendant ce temps, on inaugure la nouvelle
grande synagogue de Berlin et l’école de formation des imams allemands à
Osnabrück, 100% allemande. Au fait, que faisons-nous en France sur ce sujet après
l’échec de la charte républicaine avec les organisations musulmanes ?
Apparemment pas de nouvelles, bonnes nouvelles !
D. Donkoy déclare proposer aux
téléspectateurs une nouvelle perception du mot juif «Il ne s’agit pas de
l’arme absolue contre l’antisémitisme mais une tentative de créer une
perspective nouvelle et différente qui vise à améliorer les rapports dans la
société et le vivre ensemble» peut-être un Juif sans Shoah et
sans antisémitisme ? Ça n’existe pas. Le concept est de démontrer que l’identité
juive n’est pas unidimensionnelle et qu’elle présente autant de diversité que
la population allemande. Cette émission est partie intégrante d’un projet plus vaste
intitulé «1700 ans de vie juive en Allemagne».
La question de la représentativité
des intervenants se pose rapidement. Les instances de la communauté ne se sont
pas exprimées. La réponse vient tout aussi vite, personne en particulier. Pour
les premiers épisodes, le présentateur a manifestement choisi des personnalités
plus ou moins connues, mais le choix s’épuisera rapidement. D. Donkoy a déjà
reçu des reproches, précisément sur sa faible judéité. Il ne serait pas le meilleur
interlocuteur. Très rapidement le thème de qui est Juif et quel contenu donner
à ce judaïsme devient une question existentielle, sans réponse univoque.
Télé allemande programme 1700 ans de vie juive |
Au fond s’agit-il de réintégrer Juifs
et judaïsme dans le narratif de la société allemande au-delà de la tragédie du IIIème
Reich ? Ou s’agit-il de montrer que les Juifs sont comme «nous tous,
téléspectateurs non juifs» avec leurs différences, pour enrayer cette
nouvelle montée de l’antisémitisme. L’effort est louable, le résultat improbable.
Car pour certains ce sera encore un motif de constater, encore les Juifs, même
à la télé ! Tandis que d’autres, découvrirons, mais ils sont «comme
nous !» Une des grandes surprises des téléspectateurs qui se sont
exprimés c’est d’entendre et de regarder des Juifs (pas de non juifs dans
l’émission) échanger sans évoquer la Shoah ou l’antisémitisme. C’est comme si
on leur avait enlevé une partie d’eux-mêmes. Le rédacteur en chef de la chaine
souligne qu’en effet «nous ne sommes pas tous pareils, c’est pourquoi
pouvoir améliorer les rapports dans la société est un objectif que nous
poursuivons grâce à cette émission» La chaine se félicite d’avoir
lancé cette émission, même si elle provoque autant de menaces et de haine que
de réactions positives.
Espérons que les extrémistes ne
stigmatiseront pas l’émission pour amplifier le mouvement antisémite en cours. Elle
démontre si besoin était le pouvoir de la télévision et l’outil formidable
qu’elle représente. Une chaine française s’inspirera-t-elle de l’Allemagne si
souvent citée en exemple ou tout autant décriée, pour lancer une émission
semblable ? Ce qui devrait être une de ses missions, surtout quand on
revendique le Bien vivre ensemble à chaque deuxième phrase. J’en doute. Cela en contrarierait plus d’un et
puis, ne sommes-nous pas à peine un an avant l’élection présidentielle. Les Allemands
voteront en septembre.
Lien pour regarder les émissions déjà enregistrées
https://www.ardmediathek.de/
Hélas je ne comprend pas l’allemand pour écouter l’émission en question mais à priori est-ce nécessaire de montrer les juifs comme s’ils étaient des chiens savants? Être juif est-ce vivre autrement que les non juifs et vivons-nous tous de la même façon parce que juifs? Si le but de l’émission est de répondre à ces questions elle discrimine par le fait qu’elle veut justement prouver que le juif ressemble finalement à n’importe qui d’autre comme si ce n’était pas une évidence.
RépondreSupprimerIl ne serait pas souhaitable d’avoir ce genre d’émission en France puisque la République n’accepte pas le communautarisme. Et c’est tant mieux.
Bien à vous.
Bonjour, avec cet article j’ai en tête la revendication française de l’origine judéo-chrétienne de l’Europe et la France, fille ainée de l’Église, en particulier. Je m’interrogeais sur l’éventualité où on célèbrerait, en France les 1700 ans de présence juive comme en Allemagne par divers évènements. Je me suis donné la réponse : ça n’aura pas lieu. Au-delà, il ne vous aura pas échappé qu’actuellement, la communauté juive en France compte de l’ordre de 500.000 membres contre près de 750.000 il y a quelques années. Tandis qu’en Allemagne, après-guerre elle était réduite à quelques survivants, aujourd’hui de l’ordre de 200.000.
RépondreSupprimerAlors on peut en effet faire profil bas, toujours plus bas. Si cette émission permet de modifier la perception de quelques-uns , ce qui semble être le cas, elle aura du sens, à mes yeux. Chacun selon ses convictions certes. En guise de réflexion je vous propose aussi cette citation d’un pasteur qui s’est longtemps opposé aux communistes dans l’Ex Rda :
Citation du pasteur Gustav E. Niemöller né en 1892 et mort en 1984, opposant en ex RDA
Quand ils sont venus chercher les juifs
je n'ai rien dit
car je n'étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les communistes
je n'ai rien dit
car je n'étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes
je n'ai rien dit
car je n'étais pas syndicaliste.
Et quand ils sont venus me chercher
il n'existait plus personne
qui aurait voulu ou pu protester...
Bien cordialement,
RépondreSupprimerMonsieur Moritz,
Je suis en tout point d'accord avec ce qu'écrit Véronique Allouche.
Mais lorsque vous écrivez, en parlant de l'Allemagne : " ...un pays de 83 millions qui a été le berceau du nazisme et portera longtemps le poids des six millions de victimes juives...", je suis perplexe.
Dois-je vous rappeler que l'Allemagne occupe, à elle seule, 11 des postes-clés (sur 21) au sein des principales institutions européennes ?
https://www.touteleurope.eu/institutions/ces-postes-cles-europeens-qui-sont-renouveles-en-2019/
Cordialement.