NAFTALI BENNETT, PREMIER MINISTRE
SOUS CURATELLE
Par Jacques BENILLOUCHE
Il est trop tôt pour évaluer
l’ampleur des changements qui seront imprimés au pays car non seulement les
ministres doivent prendre place progressivement après une longue période
d’opposition, mais toutes les administrations, censées être officiellement
apolitiques, devront se plier aux directives imposées par les nouveaux
gouvernants. La nomination de Bennett a été imprévisible car il ne dispose que
de 7 sièges sur 120 à la Knesset, voire 6 après la défection de Amichai Chikli.
Par ailleurs, il n’a pas la carrure d’un premier ministre car il a oscillé d’un
bord à l’autre de l'échiquier politique et a hésité dans ses décisions pour
faire tanguer la balance politique de son côté à l’instar d’une girouette
tournant en fonction du vent politique. Il avait été tenté de retourner auprès
de ses amis naturels, mais il avait compris qu’il serait écrasé par les
personnalités de Bezalel Smotrich et d’Itamar Ben Gvir, des nationalistes purs
et durs.
La haine à son égard a explosé au
point qu’il a été accusé de traitrise par ses amis et par quelques feuilles de
choux francophones dont la violence n’a d’égale que leur insignifiance. Les
députés orthodoxes exigent à présent que Bennett «retire sa kippa, car il la
déshonore». Quand la religion se pare de politique, les limites de la décence
sont franchies. Mais la fureur des orthodoxes, qui ne sont plus au
gouvernement, s’explique
car leur financement sera dorénavant tari et il n'est pas impossible que dans les semaines à venir ils iront à Canossa.
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Lapid, Bennett et Abbas |
Bien que le nouveau premier
ministre soit un personnage terne sans charisme, il fut plusieurs fois
ministre, ministre de l’Économie, ministre des Affaires religieuses, ministre
de la Diaspora, ministre de l'Éducation et enfin ministre de la Défense. Il
savait rebondir après des épisodes difficiles car son ambition, presque
démesurée, l’avait poussé à tous les renoncements, en particulier sa future collaboration
avec le parti islamiste Raam de Mansour Abbas. Ses amis se sont déchainés : «Tu as vendu
ta terre et ton peuple pour ton siège, traître à Israël». Des mots violents
qui avaient disparu après l’assassinat d’Itzhak Rabin alors que les Israéliens
doivent rester unis pour faire face aux défis de la pandémie pas encore
jugulée, de la crise économique naissante et de la sécurité du pays.
Bennett a voulu faire preuve de
pragmatisme et de réalisme : «À un moment aussi crucial, la responsabilité
doit être prise. C'est pourquoi j'annonce aujourd'hui que j'ai l'intention
d'agir de toutes mes forces pour former un gouvernement d'union nationale avec
mon ami Yaïr Lapid, afin que, si Dieu le veut, nous sauvons ensemble le pays de
cette chute libre - et nous remettrons Israël sur pied. Yaïr et moi sommes en
désaccord sur un certain nombre de questions de fond. Mais nous sommes
partenaires dans notre amour pour le pays et notre volonté de travailler pour
le bien du pays».
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Les chefs de la coalition |
Le programme commun qui a été
publié est suffisamment flou pour permettre d’y inclure toutes les options de
la coalition : «Le gouvernement s'efforcera de
réparer les divisions entre les différentes parties de la société israélienne
et de fortifier les fondations d'Israël en tant qu'État juif et démocratique,
dans l'esprit de la Déclaration de l'Indépendance. Le gouvernement travaillera
pour renforcer la sécurité nationale d’Israël et protéger la sécurité de
tous les citoyens israéliens, parallèlement à sa poursuite constante de la paix».
Officiellement, Lapid
servira de premier ministre suppléant et de ministre des Affaires étrangères.
Mais pratiquement il sera le ministre le plus fort du gouvernement et l'arbitre
ultime, en collaboration avec Avigdor Lieberman. Certes Lapid et Bennett, auront
un droit de veto sur chaque décision du gouvernement, ce qui implique que
toutes les grandes décisions seront collégiales pour éviter qu’un seul chef impose
sa loi. Mais selon l’accord cadre de coalition, signé entre Yesh Atid et Yamina,
seul Yesh Atid a négocié avec les autres partis et signé des engagements. Le futur
premier ministre n’est donc pas engagé avec les autres leaders de l’opposition.
Lapid voulait être seul à arbitrer les différences idéologiques des partenaires
de la coalition qui occupe tout l’espace politique entre l'extrême droite et
l'extrême gauche.
Les accords stipulent
que l’ajout d'autres partis à la coalition exige l'approbation du Premier
ministre et du Premier ministre suppléant, empêchant ainsi la modification de
l’équilibre politique au sein du gouvernement sans consensus. Ces deux
dirigeants décideront conjointement des sujets soumis au vote du gouvernement prouvant
à quel point Bennett sera réellement faible au sein des commissions de la
Knesset. Le pouvoir de vote au sein du gouvernement et des comités
ministériels sera égal. Le Cabinet de sécurité, qui décide des grandes mesures sécuritaires, sera composé de 12 membres, répartis à parts égales entre les deux
blocs. Mansour Abbas ne fera pas partie de ce Cabinet. Le Premier ministre en exercice déterminera l'ordre du jour de ses
réunions.
Il est fort probable
que Netanyahou sera désigné comme chef de l’opposition mais ce rôle sans
envergure ne lui convient pas beaucoup après ses douze années de gouvernance
sans partage. Des rumeurs persistantes font d’ailleurs état de sa volonté de
prendre du recul, voire de démissionner de la Knesset pour attendre des jours
meilleurs. D'ailleurs des mesures sont en cours pour empêcher Netanyahou de se
présenter aux prochaines élections législatives après modification de la Loi
fondamentale. Gideon Saar, qui ne s’est pas remis de son échec à prendre la
direction du Likoud, orchestrera les opérations en tant que ministre de la Justice et espère éliminer son dernier obstacle pour réintégrer son
parti débarrassé d’un leader omniprésent.
Lapid mettra tout en
œuvre pour garantir une longue vie au nouveau gouvernement afin de déjouer les
pronostics pessimistes qui en font un simple gouvernement de transition avant
le retour de Netanyahou. Pour cela il devra impulser des changements
significatifs attendus par les Israéliens pour donner une crédibilité à ce
gouvernement hétérogène. Il aura à prouver que l’unité au sein du
gouvernement n’est pas un vain mot.
6 commentaires:
Très bonne analyse Mr. Benillouche. À laquelle je rajouterai que Bennett ne dispose d'aucun poids parlementaire avec ses 6 députés, et qu'il n'aura aucune capacité à renvoyer un de ses ministres selon les accords de coalition. Ce sera le Premier ministre le plus faible de l'histoire, une sorte de président de l'État bis. Cela en dit long sur la vanité du personnage qui aura trahi son camp, son idéologie (si effectivement il en avait une) et surtout ses électeurs pour un titre sur le papier. Par contre chaque ministre aura un pouvoir considérable sur son ministère ce qui l'a aussi sera une première pour Israel. Les Liberman, Saar, Lapid, Gantz, Michaeli, Horovitz, Abbas bordés d'un côté par un Premier ministre de pacotille, et de l'autre par le fait que leur parti tient la coalition seront les maitres chez eux. Le gouvernement pourrait bien tenir les 4 ans juste par le pouvoir gouvernemental énorme, et les budgets en milliards qui vont avec, dont disposeront les chefs de parti et qu'ils ne voudront pas compromettre par de nouvelles élections.
Bonjour,
M. Tordjman, il y a une différence entre celui qui milite pour obtenir une position politique et celui qui devient premier ministre.
Sur la forme, vous avez raison, ce gouvernement est hétéroclite mais, dans le fond, la politique n'est pas celle d'un homme, unique, elle est le fruit des discution d'un gouvernement.
Vous devriez chérir le fait qu'Israel ai la capacité d'essayer; après tout, celui qui ne tente rien obtient-il quelque chose ? je ne le crois pas.
C'est peut-être ce gouvernement qui obtiendra le plus pour le peuple d'Israel; enfin, je modère mon propos en vous affirmant que B. Netanyahou et ses différents gouvernements ont fait beaucoup; mais maintenant, c'est le nouveau gouvernement qui prend la relève.
Ni plus ni moins.
Le roi n'est plus. Vive le roi. Que la coalition trouve la route pour affirmer un présent sans amoindrir ce passé et ses leçons qui ont fait coulé beaucoup, beaucoup d'encre.
Mon cher Tordjman, je suis optimiste car arabes, chrétiens et juifs sont remarquablement intelligents lorsqu'ils s'agit de se protéger ensemble et, donc, de construire des bâtisses solides.
Je me méfie plus de l'attitude de l'étranger; en ce sens, je crois que les services de contre espionnage israéliens vont avoir plus de boulot.
Voilà tout.
Bennett adulé puis détesté et de nouveau adulé et maintenant rabaissé ! Faut savoir ! Selon le vent , tourné la girouette !
André Simon Mamou
Cher André,
Je suis certainement en phase de sénilité car je ne souviens pas avoir fait l’éloge de Bennett dans aucun de mes trois articles sur lui. A fortiori je ne l'ai jamais adulé. Je pense avoir été toujours négatif envers lui car je le trouve instable politiquement et très léger. Mais si cela vous fait plaisir d'avoir une nouvelle raison de critiquer à fond perdu....
Larousse donne comme définition de la trahison : manquement à la parole donnée, à un engagement ...et pour traître : celui qui commet une trahison. Ce qui est ben le cas de Bennett (et d'autres dirigeants d'alleurs).
A moins qu'en politique, les mots aient un autre sens...
Exact ! Trois articles sur Bennett dont un virulent contre lui puis un article très atténué et un troisième pour rééquilibrer !
Au départ, il ne vaut pas grand chose, ensuite on fera avec, enfin de toutes les façons c’est Lapid son patron .
Je ne critique pas « à fonds perdu » et j’ai même en mémoire plusieurs commentaires te félicitant ( même si aucun article de Tribune Juive n’a fait l’objet du moindre commentaire de ta part )
Pas grave du tout !
Andre Simon Mamou
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