signature Emirats Israël |
C’était
quelques jours avant le quatrième round des élections en Israël. Benjamin
Netanyahou donnait une interview à la chaine I24News, où il se
félicitait de son bilan diplomatique récent, en promettant de prochaines et
nouvelles avancées (1). Pourquoi le nier ? Même si on connaissait,
depuis longtemps, l’existence de relations officieuses avec plusieurs pays
arabes, et plus particulièrement avec deux poids-lourds - les Émirats Arabes Unis et
le Maroc – les annonces, à quelques mois d’intervalle, des accords dits de
normalisation avec Abou Dhabi, Manama, Khartoum puis enfin Rabat furent de
belles surprises. Un succès certes lié au contexte géopolitique dans le Golfe,
avec la menace partagée de l’Iran ; obtenu en partie grâce à la
reconnaissance, par les Etats-Unis, de la souveraineté marocaine sur le Sahara
occidental ; et enfin, plus laborieusement avec le Soudan, en le rayant de
la triste liste des soutiens au terrorisme, où il figurait de manière bien
méritée pendant le long règne d’Omar El Bashir.
Un succès dont il ne faut refuser le mérite ni au Premier Ministre
sortant, ni à son ami et soutien Donald Trump qui y apporta la bénédiction
américaine. Netanyahou donc, devait dire dans cette interview : «J'ai apporté une
révolution en échange de la paix, et il y a encore quatre traités de paix qui
nous attendent. La Syrie n'en fera pas partie, en tout cas pas dans un avenir
proche (…) Plusieurs pays arabes se sont rapprochés de nous car ils sont aussi
menacés par l'Iran».
Tout de suite, les
commentateurs en Israël ont commencé à spéculer sur les quatre prochains pays
susceptibles de signer rapidement des accords de normalisation. L’allusion à la
menace iranienne semblait a priori limiter la liste des postulants à la
zone du Moyen-Orient ; or on le verra un peu plus loin ici, il est
difficile d’y trouver autant d’États. Il faut donc chercher aussi en dehors de
cette zone ; et pour identifier les fameux quatre, passer systématiquement
en revue tous les membres de la Ligue Arabe, en les regroupant d’abord par
catégories.
Pour commencer, quels sont les États membres de la Ligue Arabe ? Ce
sont, par ordre décroissant de population : l’Égypte, le Soudan,
l’Algérie, l’Irak, le Maroc, l’Arabie Saoudite, le Yémen, la Syrie, la Somalie,
la Tunisie, la Jordanie, les Émirats Arabes Unis, la Libye, le Liban, la
Palestine, Oman, Mauritanie, le Koweït, le Qatar, Bahreïn, Djibouti et les
Comores. Une série donc de 22 États en théorie, répartis de l’Océan Atlantique
à l’Océan Indien en passant par l’Afrique et le Moyen-Orient, et dont les
populations s’échelonnent de plus de 100 millions pour l’Égypte, à moins de 1
million d’habitants pour les deux derniers (2).
Évoquons tout de suite le pays pour lequel une normalisation vaudrait celle
d’une douzaine d’autres : l’Arabie Saoudite, principale puissance
pétrolière, économique et religieuse. On sait qu’elle a apporté son soutien aux
Accords d’Abraham de l’année dernière, mais on sait aussi qu’elle
conditionne toute normalisation à une avancée sur le dossier palestinien.
Netanyahou sait parfaitement que toute coalition le soutenant s’opposera à des
concessions sur ce terrain-là, et donc il préfère se contenter des relations
officieuses actuelles.
Commençons par alléger la liste en mettant de côté les six pays ayant déjà
signé des accords avec Israël : accords de paix pour l’Égypte (1979) et la
Jordanie (1994), deux États qui avaient réellement été en guerre avec lui ;
accords de normalisation pour quatre pays n’ayant jamais connu le moindre
conflit avec Israël, en raison d’abord de leur éloignement du front : Émirats
Arabes Unis, Bahreïn, Soudan et Maroc.
Il ne reste plus que 15 possibles, mais enlevons tout de suite l’État
théorique de Palestine. Écrire cela est factuel et n’est pas se positionner
contre l’hypothèse d’un État palestinien : n’y a-t-il pas de facto et
depuis 1993 des relations israélo-palestiniennes ? Malgré la sanglante
deuxième Intifada, malgré le long blocage du processus de Paix, le fait est que
– Gaza mis à part - l’Autorité Palestinienne règne sur un proto-État enclavé
dans l’espace sécuritaire et économique israélien, avec toutes les relations
obligées qui sont maintenues.
Mais la liste va se raccourcir encore si on enlève tous les États faillis,
qui ont quasiment implosé à la suite des guerres civiles ou aux Printemps
arabes de 2011. Les plus de 11 millions de Somaliens n’ont plus depuis
longtemps d’autorité centrale, le pays ayant éclaté depuis les années 90 en
plusieurs micro-États – le plus important étant le Somaliland, correspondant à
l’ex-zone britannique ; à la famine et aux guerres des milices, s’ajoutent
les attentats meurtriers des djihadistes. De l’autre côté de la Mer Rouge face
à la Corne de l’Afrique, le Yémen n’en finit plus de se déchirer, théâtre de
l’affrontement Arabie-Iran par tribus houthies interposées, le tout agrémenté de
la présence d’Al Qaeda et de la vieille sédition sudiste. Les quelques 7
millions de Libyens n’ont pas connu le moindre répit depuis la chute de
Kadhafi, et il y a une partition de fait entre le gouvernement de Tripoli,
reconnu par la communauté internationale, et la rébellion du Maréchal Haftar,
soutenue par plusieurs puissances étrangères. Quel traité signer dans ces
conditions avec ces trois derniers pays ?
Il n’est pas possible d’évoquer les États arabes ravagés par des guerres
civiles ou qui l’ont été dans un passé récent, sans mentionner deux ex-poids
lourds qui furent pendant des décennies des menaces militaires réelles, et des
adversaires résolus de toute normalisation. Le premier est l’Irak, devenu après
la chute de Saddam Hussein et des années d’attentats et d’affrontements
interreligieux, un État organisé sur une base communautaire. Au Nord, le
gouvernement régional du Kurdistan n’a pas obtenu l’indépendance, mais a déjà
des relations officieuses avec Israël ; à Bagdad et dans le Sud, le poids
démographique dominant des Chiites et la supériorité militaire de leurs milices
fait du pays un quasi-satellite de l’Iran, malgré une neutralité affichée. Le
second pays est la Syrie, où Bachar El-Assad a écrasé le plus gros de la
rébellion grâce à ses alliés russes et iraniens, mais où il règne en fait sur
un champ de ruines et une population dont la moitié a été déplacée : quels
traités de paix envisager avec ces deux-là ?
Les 15 évoqués plus haut ne sont maintenant plus que 9, mais il faut encore
éliminer un pays hélas frontalier d’Israël et dont une bonne partie de la
population n’aspire qu’à des relations pacifiques : le Liban. On se
souvient de la fausse prophétie ayant longtemps couru à Jérusalem : «Nous
ne savons pas quel sera le premier pays arabe à signer la paix, mais le second
sera certainement le Liban». Cela c’était avant qu’il ne devienne un État
satellite de la République Islamique d’Iran par Hezbollah interposé, et un
arsenal de centaines de milliers de roquettes et de missiles, qui sont la
principale menace à court terme : le pays du Cèdre, toujours techniquement
en état de guerre, sera probablement le dernier à normaliser ses relations.
Passons maintenant au Maghreb. Concernant l’Algérie, et surtout les raisons
historiques expliquant les incroyables différences avec le Maroc à propos
d’Israël, je vous ai déjà proposé une série de deux articles (3) (4). Le roman
national algérien s’est construit sur une victoire totale contre la puissance
coloniale passée, et des décennies de propagande ont convaincu une large partie
de la population que le sionisme, «phénomène colonial» lui aussi,
finirait par disparaitre ; normaliser les relations serait donc un suicide
politique pour les héritiers du FLN. À côté de l’Algérie, la petite Tunisie a
dérivé à 180° de ce qu’était sa tradition de pays pro-occidental et a priori
ouvert sur le conflit israélo-palestinien : cette évolution est celle du
peuple tunisien dans ses profondeurs depuis le renversement de Ben Ali, et le
pouvoir actuel – mixte de nationalisme arabe réincarné par le président Kaïs
Sayed et d’islamisme militant du parti Ennahda - se renierait aussi en faisant le
moindre pas vers Israël.
Rabat (Maroc) 14 septembre 1993 - Péres-Rabin-Hassan II
Au Sud du Maroc se trouve un pays très pauvre, largement désertique et
longtemps en conflit avec Rabat : la Mauritanie. Elle a connu une décennie
de relations officielles avec Jérusalem, entre 1999 et 2009, maintenues malgré
la seconde intifada mais rompues à la suite de la première guerre de Gaza. Une
reprise des relations est tout à fait possible, d’autant plus que l’ombre
déstabilisante de l’Iran pèse aussi sur la région, derrière le Polisario basé
en Algérie.
Passons maintenant aux Monarchies du Golfe. Récemment, je vous ai proposé ici un article intitulé «Koweït, normalisation impossible ?» (5). J’y exposais les raisons me faisant douter d’un accord avec cet Émirat, mais je ne demande qu’à me tromper en espérant qu’il fasse partie des fameux quatre. Douteux mais non impossible aussi, le Qatar. En regardant dans le rétroviseur des dernières décennies, on y distingue deux périodes bien distinctes : entre les accords d’Oslo et 2009, il y a eu échanges de légations commerciales entre les deux pays ; puis, l’Émirat est devenu la base arrière des Frères Musulmans, du Hamas après son expulsion de Syrie, puis l’alliée de la Turquie d’Erdogan. Subissant un blocus de la part de l’Arabie Saoudite et de ses alliés du Golfe, Doha a fini par trouver un accord de compromis avec ses voisins et ex-ennemis : s’il s’agit d’un vrai revirement géopolitique, la normalisation avec Israël en serait l’une des conséquences.
Visite officielle à Oman |
Beaucoup plus sympathique car réellement pacifique et tolérant, le Sultanat
d’Oman serait un candidat naturel dans cette direction : ses relations
officieuses avec Jérusalem sont anciennes ; on se souvient aussi de la
visite surprise de Benjamin Netanyahou, et de la présence de feu le Sultan
Qabous aux obsèques d’Itzhak Rabin après son assassinat en 1995.
Finissons ce voyage imaginaire avec deux États présentant plusieurs
analogies, Djibouti et les Comores. Les deux sont d’anciennes colonies
françaises indépendantes depuis les années 1970. Les deux ont effectivement
l’Arabe comme une des langues officielles, mais ce n’est pas la langue parlée
par l’écrasante majorité de leurs populations, qui n’est pas du tout arabe. Peu
peuplés, très pauvres, ces deux pays peuvent effectivement profiter d’une
coopération technique israélienne. Mais leurs positions stratégiques, dans la
Corne de l’Afrique pour l’un, dans l’Océan Indien pour l’autre, en font aussi
des enjeux géopolitiques dans la guerre de l’ombre menée contre la République
Islamique d’Iran.
(3) Algérie et Maroc Yin et Yang partie 1
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