Jonathan se dit qu’il devait religieusement conserver en haut du placard de ses souvenirs, le spectacle qui venait de lui être offert, au débotté, ce soir d’avril, par ses trois amis. Chaude soirée, par la température d’abord. Par le tempérament des trois impétrants, ensuite. Stimulés, excités, inspirés tous les trois par le happening que la saga politique israélienne venait de leur offrir. Le déclencheur avait été la double intervention télévisée, solennisée, d’acteurs vedettes de cette saga sans équivalent. Qui les avait tous trois projeté chez lui, par envie incontrôlable de partager leurs témoignages.
La première explosion était venue du toubib bedonnant, néanmoins
remonté comme une pendule. Le plus bel exemple de Fiélitude, comme tu
dirais, que je n’ai jamais vu ! Ce fiel, il l’avait vu couler, non
seulement dans les propos, mais dans l’expression. Mines soigneusement graves,
esquisses de sourires forcés, visages blancs, regards alternatifs entre droit dans
les yeux et lecture de texte. Du pur dézingage pour commencer, violent,
argumenté, cumulatif. Suivi, dans les deux cas, par un appel réciproque
à une communauté de démarche, qui avait tout d’une pénitence à Canossa, d’une
double capitulation sans condition. Appel final, de pure forme bien entendu, pour
la galerie, car rendu fictif par deux introductions assassines.
Ah, conclut son ami, les yeux levés, son ventre rond démentant lui
aussi sa fiction, je voudrai être petite souris pour assister à un conseil
des ministres les réunissant, évoquant les dagues, impatientes de sortir de
leur fourreau. Sans pouvoir d’ailleurs pronostiquer qui serait vainqueur, car
le premier ministre sortait d’une cohabitation qu’il semblait devoir emporter
par KO, mais qui finalement ressemblait à une défaite aux points.
La deuxième salve fut tirée, dans une suite immédiate, par la
professeure de linguistique à qui l’indignation faisait perdre un peu de son
habituelle dignité. Pour paraphraser son prédécesseur, elle dit s’inscrire dans
ce que Jonathan aurait pu intituler la Gauchitude. Les hérauts de «la
droite», puisque c’est ainsi qu’ils revendiquent haut et fort leur désignation,
revêtent systématiquement leurs opposants des haillons infamants de «la
gauche». Un mot épouvantail dans leur bouche. Un mot injure, qu’ils
chargent de tous les maux, de préférence en isme, laxisme, défaitisme, idéologisme…et
pourquoi pas, marxisme, ça sert toujours.
Sans d’ailleurs pousser trop avant le descriptif des catastrophes
potentielles que représente cette appartenance maléfique, le simple dédain leur
semblant suffisant pour que des électeurs adultes puissent lui attribuer un
quelconque crédit. Un mot amalgame. Qui permet d’entasser dans un seul bloc
toutes les oppositions. Puisque le vocabulaire sert ici à déconsidérer, à annihiler
toute opposition, d’où qu’elle vienne, indigne du seul fait qu’elle s’oppose.
Un mot élastique. Qui se plie, selon les circonstances, à recouvrir une variété
flexible d’opposants, selon qu’ils soient ennemis déclarés ou ennemis
potentiellement récupérables.
Le seul bémol étant qu’il n’est pas sûr que, le temps passant, la
distinction droite/gauche garde en politique toute sa pertinence. Ni que la
stratégie de la fracturation ne fatigue pas, à la longue, les aspirants à l’efficacité
d’une démarche du tous pour tous.
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Le renard et le buste |
Pour ne pas être en reste, le troisième indigné, le directeur d’un
site d’information, longiligne, joues creuses, éternel scrutateur des
intentions cachées, revendiqua pour sa part se placer sous le thème de ce qu’il
appela la Masquitude. Il en appela pour commencer à une de ses fables de
La Fontaine favorites, Le Renard et le Buste.
«Les Grands, pour la plupart, sont masques de théâtre./ Leur
apparence impose au vulgaire idolâtre. /L’Âne ne sait juger que par ce qu’il en
voit. / Le Renard, au contraire, à fond les examine/les tourne de tout sens, et, quand il s’aperçoit/ que
leur fait n‘est que bonne mine,/il leur applique un mot qu’un Buste de héros lui
fit dire fort à propos ./ C’était un Buste creux et plus grand que nature.
‘’Belle tête, dit-il, mais de cervelle point’’. Combien de grands
seigneurs sont Bustes en ce point».
Porté par sa référence littéraire, il continua à traduire le
sentiment inspiré par le double one man show auquel il venait d’assister
par des exemples théâtraux. Alfred Jarry se serait réjoui du spectacle
donné. Le Père et la Mère Ubu, le
Sinistre des phynances, les Palotins, tous ses héros se donnaient joyeusement à
voir sur la scène. Shakespeare, lui-même, devait frémir dans sa tombe à
Statford-upon-Avon, en entendant, comme Richard III réclamant un cheval !
un cheval ! Mon royaume pour un cheval ! Le roi politique israélien
réclamant «le direct ! le direct ! Une élection directe pour le
pouvoir !»
Jonathan, s’estimant spécialement gâté, invita ses trois convives
inopinés, une fois leur feu jeté, à se réconforter sur la terrasse. La nuit fraîchissante
ramena leur propre température à un degré convenable. Suffisamment convenable
pour convenir ensemble que la politique, israélienne ou pas, restait la reine
incontestée de la comédie humaine.
1 commentaire:
Brillant !
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