L’ISLAMISTE MANSOUR ABBAS, MAÎTRE DES ÉLECTIONS
Par Jacques BENILLOUCHE
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Mansour Abbas, à droite, avec Ayman Odeh, le chef de la Liste arabe unie |
Tout au long de son
mandat, Netanyahou n’a eu de cesse de fustiger les partis arabes au point même
de faire voter un texte législatif, l’État-nation, adopté le 19 juillet 2018
par la Knesset, comme l’une des Lois Fondamentales d'Israël. Cette loi fait
double emploi avec la déclaration d’indépendance de 1948 parce qu’elle reprend
les mêmes symboles ajoutant certes la définition de Jérusalem comme la capitale
«complète et unifiée» d’Israël, le déclassement de la langue arabe qui
était jusqu'alors deuxième langue de l'État en faisant de l'hébreu la seule
langue d’État et l'encouragement au titre de «valeur nationale» au
développement de communautés juives. Cette nouvelle loi entraîne de fait la
marginalisation des Arabes d’Israël alors que la déclaration d'indépendance établissait
déjà l'égalité sans distinction de religion, de race ou de sexe.
Netanyahou et ses extrêmes |
Netanyahou avait
appuyé le vote de cette nouvelle loi afin de satisfaire les exigences de la
frange nationaliste de son parti et d’attirer à lui les extrémistes d’extrême-droite
indispensables pour gonfler sa coalition. Mais par opportunisme électoral pour
le scrutin du 23 mars 2021, il a opéré un virage politique en dialoguant avec
Mansour Abbas pour le convaincre de créer une entité indépendante, Raam,
capable de se lier avec les partis «sionistes» pour leur servir d’appoint.
Ainsi les partis arabes ne sont plus la peste et l’un de leur leader est
intégré dans le paysage politique comme un personnage respecté et respectable.
Au terme de ces dernières élections, Mansour Abbas est propulsé au rang de
faiseur de premier ministre ce qui constitue une claque aux pourfendeurs des
Arabes.
Le parti Raam
(acronyme hébreu de Reshima Aravit Me'uchedet : liste arabe unie) a été
fondé en 1996 par l'union du Parti démocratique arabe créé en 1988 par Abdel
Wahab Darawshe (ancien député du Parti travailliste israélien) et par des d'éléments
en provenance de la branche Sud du Mouvement islamique et du Front d'unité
nationale. Son électorat est principalement composé d'Arabes israéliens
religieux ou nationalistes, et il jouit d'un soutien tout particulier parmi les
Bédouins. Le Mouvement islamique est également actif pour la mobilisation des
électeurs dans les villes et villages arabes pauvres, ainsi que dans les
campements bédouins. Il soutient l'option des deux États avec Jérusalem-Est
comme capitale de la Palestine et exige, sur le plan intérieur, une totale égalité
sociale, économique et politique entre les différentes composantes de la
population israélienne. Plus surprenant encore, Raam a des racines dans le mouvement religieux inspiré des Frères musulmans en place à Gaza.
Abbas en prière dans une mosquée |
Mais rien ne peut
arrêter Netanyahou lorsqu’il doit sauver ses élections et créer une majorité de
bric et de broc. En revanche on ne peut critiquer Abbas de chercher à améliorer
le sort de la minorité arabe à la recherche de fonds pour développer
l’infrastructure des villages arabes, souvent à l’abandon. Pour lui, tout est
possible : «J'espère devenir un homme clé. Dans le passé, les grands
partis nous excluaient et nous nous excluions nous-mêmes. Le parti n'est
dans la poche de personne. Je n'exclus personne, mais si quelqu'un nous exclut,
nous l'excluons bien sûr».
Mais la participation
de Raam aux côtés de l’un ou l’autre des clans reste ambiguë. D’un côté Avigdor
Lieberman avait décrit certains citoyens arabes comme des traîtres et les avait
appelés à quitter le pays. On le voit mal adouber Abbas. De l’autre côté, le
chef du parti sioniste religieux Bezalel Smotrich a déclaré «qu'il n'y aura
pas de gouvernement de droite avec le soutien de Mansour Abbas, point. Les
partisans du terrorisme qui nient l'existence de l'État d'Israël en tant
qu'État juif ne sont des partenaires légitimes dans aucun gouvernement ».
Sans compter que lors du précédent scrutin Netanyahou avait défini «le taux
élevé de participation arabe comme une menace». Les temps changent et à présent
il sollicite leur soutien.
Alliés de Bibi |
Mais Mansour
Abbas a sauté le pas par intérêt pour la minorité arabe qui subit la violence
des gangs, la pauvreté et les restrictions à leur accès au logement par absence
de permis foncier. Il est prêt à avoir un «véritable rôle dans la politique
israélienne». Il avait compris que le rôle des partis arabes à la Knesset
était marginal, sans aucun effet sur l’obtention de gains matériels pour les
citoyens arabes. Grâce à son nouveau positionnement, il pourrait obtenir que la démolition dans le désert du Néguev
de dizaines de villages arabes construits sans autorisation soit suspendue, voire annulée.
La situation politique devient surréaliste. Ce qui avait été refusé à Benny Gantz en mars 2020 lorsqu’il avait voulu créer un gouvernement minoritaire avec le soutien passif des Arabes est devenu une probabilité naturelle aujourd’hui. Les dirigeants de droite sont montés au créneau pour justifier l’injustifiable d’hier. Le ministre Likoud Tzachi Hanegbi a estimé que «si un gouvernement de droite des partis sionistes était impossible à assembler, son parti envisagerait des options qui sont actuellement indésirables mais peut-être meilleures qu’une cinquième élection» à savoir la coopération avec le parti Raam. Le député likoud et druze Ayoub Kara a déclaré que contrairement à la Liste arabe unie, Raam "ne nie pas l'existence d'Israël"
Mais au sein du Likoud
rien n’est acquis et la grogne devient publique. L’un des dirigeants refuse de
travailler avec un «groupe idéologiquement opposé qui refuserait les
opérations militaires dans les territoires». Danny Danon, président du
Likoud mondial, estime que «le gouvernement ne devrait pas être dépendant
d'un parti musulman radical».
Abbas, assis, pourrait se retrouver au centre des négociations pour former un gouvernement |
La politique
est ainsi faite qu’un islamiste inconnu il y a quelques semaines devient celui
qui peut choisir le futur premier ministre et que les Arabes israéliens
émergent en tant que force politique avec laquelle il faut compter dorénavant. Et
cela tout simplement parce qu'un Arabe est prêt à coopérer avec n'importe quel
gouvernement, celui de Netanyahou ou celui de ses rivaux, pour servir les
intérêts de sa minorité.
Mais Mansour Abbas est un homme ambitieux qui a
compris que sa réussite dépend du pont qu’il peut jeter avec les partis juifs. Né à Maghar, une ville à majorité druze du nord
d'Israël, où vivent depuis l'Antiquité des communautés juives et
chrétiennes, puis musulmanes, Mansour Abbas a été exposé très
jeune à la coexistence multiculturelle. Pour devenir
dentiste, il s’était inscrit à l'Université hébraïque de Jérusalem où il a
rencontré le fondateur du Mouvement islamique en Israël. Qui aurait cru que l’université hébraïque était un nid
d’islamistes ? Après avoir obtenu son diplôme, Mansour Abbas a
gravi les échelons du parti jusqu'à son élection à la Knesset en
avril 2019 dans une coalition conjointe avec le parti de
l'Alliance démocratique nationale (Balad), un parti progressiste. Mais
très vite, les divisions au sein de cette alliance commencèrent à se
manifester. Mansour Abbas était partisan d'une nouvelle approche de la politique
arabe en Israël en soulevant les problèmes de la société arabe et en
demandant au gouvernement de prendre en charge leurs demandes.
Netanyahou chez les Bédouins |
Alors pendant la
campagne, Netanyahou avait pris la balle au bond pour courtiser le vote arabe
en visitant les centres de vaccination dans les villes arabes. Il s’est engagé
dans une campagne de lutte contre la criminalité dans les zones arabes en
approuvant tardivement un budget contre la criminalité de 45 millions de
dollars. Mais les autres partis arabes contestent cette manœuvre tardive à
l’instar du député Ahmed Tibi : «Il peut porter une jalabiya
(tunique). Ceux qui le croient, le méritent». Ce député avait été à
l’origine du slogan anti arabe de Netanyahou qui explicitait le choix des
électeurs juifs : «Bibi ou Tibi».
Le seul risque pour Mansour Abbas est qu'il ait la grosse tête et qu'il fasse monter les enchères par des demandes exagérées non acceptables. Face aux différents
blocages, il n’est pas sûr que les portes du pouvoir lui soient ouvertes. Les
politiques pourraient seulement l’utiliser dans le cadre d’un soutien passif
sans participation au gouvernement car ils ne sont pas encore prêts s'associer
à un parti arabe à tendance islamiste. Quoiqu’il en soit, il est devenu un acteur
essentiel de la scène politique israélienne et il a préparé son tremplin pour
l’avenir.
je suis entièrement d’accord avec votre conclusion, rien ne pourra être réparé et rien ne pourra être constructif dans un pays divisé.
RépondreSupprimerEt je pense qu’agir pour rassembler et atténuer les divisons devrait être notre priorité.