LE CIEL SE DÉGAGE POUR YAÏR LAPID
Par Jacques BENILLOUCHE
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Yaïr Lapid, né le 5 novembre 1963 à Tel-Aviv, a une qualité, celle de n’avoir jamais baissé les bras et d’avoir été fidèle à ses convictions centristes. En janvier 2012, il avait créé Yesh Atid, (Il y a un futur), parti centriste laïc, après avoir mis fin à sa carrière de journaliste (Ba-M’ahane journal de l’armée, Maariv, Yediot Aharonot, Aroutz-1 et Aroutz-2). Il avait précisé que Yesh Atid différait du parti libéral anticlérical Shinouï qui fut dirigé par son père Tommy Lapid, par sa diversité et par la présence de figures religieuses comme le rabbin Shai Piron. Yesh Atid fit une entrée spectaculaire sur la scène politique israélienne lors des élections législatives de 2013 en obtenant 14,19% des voix et 19 sièges, devenant ainsi la deuxième force politique du pays. Mais le parti n'a pas réussi à rééditer cette performance lors des élections de 2015, à l'issue desquelles il n’a obtenu que 11 mandats.
Comme tous les débutants en politique, il a été
grugé et humilié par Netanyahou à partir de mars 2013 après avoir imposé ses
conditions pour entrer dans son gouvernement : le refus de siéger avec les
orthodoxes, préférant la présence de Naftali Bennett du Foyer Juif. Mais
il s’est fait avoir car il avait demandé à être ministre des affaires
étrangères, sa spécialité alors que Netanyahou a préféré le neutraliser au
ministère des Finances, où il n’y connaissait rien. Un bon moyen de le
déconsidérer.
Très vite des relations conflictuelles se sont installées
entre les deux leaders sur plusieurs questions fondamentales comme la création
d’un État palestinien et le refus de développer des constructions en
Cisjordanie. Le 2 décembre 2014, le premier ministre le renvoya de son
gouvernement sans ménagement. Cet échec le rendit définitivement adversaire
de Netanyahou. Il a donc connu les mêmes déboires que Benny Gantz en étant
crédule et en pensant que le premier ministre jouerait un rôle démocratique. Gantz
et Lapid ont compris tardivement qu’ils ne pouvaient plus s’associer à lui.
Yaïr Lapid s’est accroché et a résisté malgré la
chute de son parti en 2015 réduit à 11 députés. Il savait qu’il rebondirait. Il
a ainsi participé à la création, le 9 avril 2019, de Kahol-Lavan qui a récolté
autant de voix que le Likoud avec 35 sièges pour ensuite le dépasser le
17 septembre 2019 (33 contre 32). Renversement de tendance le 2 mars 2020 avec
36 sièges au Likoud contre 33. Mais le parti Kahol-Lavan s’est alors brisé après la
décision de Benny Gantz et de ses amis de rejoindre un gouvernement de
Netanyahou, annihilant les espoirs de ceux qui espéraient le changement.
Aujourd’hui, Lapid a retrouvé ses couleurs de 2013
en devenant selon les sondages le deuxième parti de la Knesset et le premier de
l’opposition 18/19 sièges contre 27/29 pour le Likoud. Netanyahou est pour
l’instant en minorité avec une impossibilité de constituer un gouvernement
malgré l’apport éventuel des voix de Yamina. De son côté, Gideon Saar a fait
illusion après un départ en trombe car il n’arrive pas à percer de même que
Naftali Bennett arrivé à égalité mais chacun à huit sièges voix de Lapid ;
un retard difficile à combler en trois semaines.
Naftali Bennett a modéré ses exigences puisqu’il a compris
qu’il n’aura pas la force suffisante pour imposer sa loi. L’opposition effritée
ne devra son salut que dans le cadre d’une alliance que certains qualifient de
bric et de broc comprenant la gauche atone, Benny Gantz convaincu de son erreur
d’avoir rejoint Netanyahou, le nationaliste Avigdor Lieberman lui aussi
brouillé avec le premier ministre, Gideon Saar le rebelle et enfin Naftali
Bennett contraint de réduire ses prétentions s’il veut être ministre.
Lapid est en tête de l’opposition et logiquement il est en droit de postuler à la direction du gouvernement d’alternance. Gideon
Saar, en chute libre dans les sondages, s’est fait une raison et il préfère
entrer dans un gouvernement sous la férule de Lapid que de siéger dans
l’opposition. D’ailleurs il a chargé un de ses adjoints, Danny Dayan,
d’annoncer que «si Lapid reçoit un mandat pour former un gouvernement - nous
allons nous asseoir avec lui pour des négociations. Les ambitions personnelles
ne doivent pas nous entraîner dans une cinquième campagne électorale». Ce serait
la consécration pour le chef des Centristes puisque Gideon Saar avait exclu
la possibilité de siéger sous le président de Yesh Atid.
Bien sûr ces hypothèses peuvent évoluer à 20 jours
des élections. Les sondages expriment une image à un instant donné et ils
comportent beaucoup d’incertitudes en raison du nombre de sondés encore
indécis. Tout dépend de la solidité du clan des anti-bibi qui risquent de se fourvoyer
dans une guerre d’égos. Mais Netanyahou ne baisse jamais les bras. Il aime le
combat et il peut toujours utiliser des ficelles politiques dont il est le seul maitre.
Yaïr Lapid pourrait trouver un obstacle sur sa route, une sorte de pure
fantaisie, consistant à ce que le gouvernement le plus à droite de l’Histoire
d’Israël puisse voir le jour avec le soutien du mouvement islamique Raam
dirigé par Mansour Abbas et de Naftali Bennett qui ne s’est jamais engagé à ne
pas entrer dans un gouvernement Likoud. Rien n’arrête un leader qui veut
survivre. Netanyahou reste un animal politique
quand bien même il serait en difficulté.
Yaïr Lapid, constant dans son objectif, a
continuellement labouré ses terres, suffisamment pour devenir enfin le premier
de la classe. Il semble que son moment soit arrivé, le seul où il pourrait
enfin se trouver sur le ring face à face avec Netanyahou. C’est sa première et
unique chance car, pour la première fois en neuf ans en politique, il est le
principal challenger du premier ministre. Cette élection pourrait lui permettre
de constituer une coalition majoritaire difficile mais viable avec la
satisfaction d’avoir éliminé un concurrent dangereux qui se sentait inamovible.
1 commentaire:
"Yaïr Lapid, né le 5 novembre 1963 à Tel-Aviv, a une qualité, celle ...d’avoir été fidèle à ses convictions centristes" Mon défunt père disait : "Il n'y a que l'homme absurde qui ne change pas." L'embellie de Lapid dans les sondages manifeste surtout l'absence de maturité politique et de jugement de l'électorat israélien, qui n'a pas de mémoire, qui a oublié le fiasco que fut son passage aux Finances. Comment un homme qui a fait l'armée derrière une machine à écrire pourrait-il avoir une claire conscience des enjeux sécuritaires du pays ?
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