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samedi 13 février 2021

Ruth Dayan, «gauchiste» et féministe avant l'heure

 

 


RUTH DAYAN, «GAUCHISTE» ET FÉMINISTE AVANT L’HEURE

Par Jacques BENILLOUCHE

Copyright © Temps et Contretemps 




          Née le 6 mars 1917 à Haïfa, Ruth Dayan, fut d’abord une femme d'affaires fondatrice de la maison de couture Maskit et surtout active dans de nombreuses causes sociales. Elle fut ensuite la première épouse du général Moshe Dayan. Ruth Schwartz était la fille de deux immigrants juifs de la deuxième alyah. Elle a été mariée à Moshe Dayan de 1935 à 1971, date à laquelle ils ont divorcé. Pendant leur mariage, ils ont vécu à Nahalal, puis à Tsahala, au nord de Tel-Aviv. La sœur de Ruth, Reuma, a épousé Ezer Weizman, le général de l'armée de l'air israélienne, ministre de la Défense et président de l’État. Dayan a eu trois enfants : Yaël Dayan, ancienne députée à la Knesset et adjoint au maire de Tel Aviv, Ehud Udi Dayan, écrivain, et Asaf Assi Dayan, acteur et cinéaste.

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Ruth Dayan en 1955

       Ruth Dayan était une femme de gauche mais aujourd'hui on aurait utilisé la qualification péjorative de "gauchiste" parce quelle s'opposait au pouvoir en place. Elle était une féministe avant l’heure car elle prônait l’autonomie des femmes. Elle a fait beaucoup pour aider les femmes palestiniennes à trouver des activités lucratives.  Sa maison Maskit de mode et d'arts décoratifs avait fourni à Dayan un moyen de créer des emplois pour les nouveaux immigrants et pour les Palestiniennes et de préserver l'artisanat et la culture ethniques juifs des différentes communautés vivant en Israël. En 1955, le créateur de mode Finy Leitersdorf, avait a conçu des vêtements et des accessoires pour Maskit pendant 15 ans.

La grande réussite de Maskit



Certains aujourd’hui l’accuseraient de «gauchisme» car elle avait fondé un groupe social judéo-arabe, Brit Bnei Shem (Ibnaa Sam) et avait travaillé pour les nouveaux immigrants, les droits des Bédouins et les causes des femmes. Elle était une amie de toujours du poète et nationaliste palestinien Raymonda Tawil, mère de Suha Arafat, qui en 1990 est devenue l'épouse du dirigeant de l'OLP Yasser Arafat. En 1978, Dayan et Tawil ont d’ailleurs planté une forêt de paix à Neve Shalom, en Israël. Fin 2009, Ruth Dayan s'était envolée pour Malte afin de rencontrer la fille d'Arafat, Zawha. Le 11 janvier 2007, Dayan reçut le prix du partenaire de la paix de la communauté Neve Shalom / Wahat al-Salam, un village coopératif de Juifs et d’Arabes à mi-chemin entre Jérusalem et Tel Aviv .

Elle était pour la coexistence entre communautés car «les Arabes et les Juifs vivaient dans la Palestine d'origine. Pourquoi, ne peuvent-ils pas recommencer ?». Féministe et patriote, elle était nostalgique d'une époque harmonieuse dans la région. Elle avait toujours gardé vifs ses souvenirs de la vieille Palestine aussi bien que ceux du nouvel Israël. Mais elle restait critique car elle avait jugé que les valeurs d’Israël ont été déformées par les dirigeants actuels du pays. Elle avait sans cesse et avec sa franchise habituelle dénoncé les «gouvernements de droite du pays qui ruinent Israël».

L'histoire de Ruth Dayan se confond avec l'histoire d'Israël



Elle avait des relations spéciales avec la religion car elle accusait la Bible d’être «un beau livre philosophique. Mais c'est plein de guerres cruelles». Elle prônait le dialogue avec les Palestiniens : «Quand les Israéliens me disent qu'il n'y a personne à qui parler, cela m'énerve. La plupart des gens qui font de la politique ne voient pas les Arabes. Je vais sur les territoires - mais je dois avoir un permis israélien pour entrer à Ramallah». Née en Palestine ottomane gouvernée ensuite par les Britanniques, elle avait déménagé à Londres avec ses parents ce qui lui fit dire qu’elle était «la seule enfant de toute l'Angleterre à être juive palestinienne».

Interview de Moshé Dayan



Elle ne cachait pas que son époux Moshé Dayan était un coureur de jupons notoire mais, malgré cela, ils ont tenu pendant 36 ans de mariage car ils étaient profondément amoureux depuis leur rencontre à l’âge de 18 ans quand lui en avait 20. Elle était restée nostalgique des valeurs qui existaient dans la Palestine d'origine, où les Arabes et les Juifs vivaient ensemble.

Elle n'aimait pas le mot «sionisme» car pour elle : «Le pays a été construit en colonisant la terre et en travaillant dans les marécages de paludisme jusqu'aux genoux. Même le Mufti était avec les Juifs au début. Lorsque je suis revenue en Palestine à l'âge de 12 ans en 1929, je ne savais pas que j'étais juive - je ne savais pas ce qu'était la Palestine. Ma mère a enseigné dans un jardin d'enfants arabe, juste à l'intérieur de la vieille ville de Jérusalem. Nous sommes allés dans une aire de jeux sur le mont Sion, fournie par un juif à condition que ce soit pour les Arabes aussi bien que pour les juifs. J'ai appris l'arabe à la maison… Je suis né ici et j'ai le droit de vivre ici - il en va de même pour la population arabe. Je n'ai jamais été élevé dans un foyer religieux. Mon grand-père ne parlait pas yiddish, il est venu en 1903… Maintenant, quand je vois ce qui se passe autour de nous, cela me fait plus peur».

 

 

RUTH DAYAN

Témoignage d’Elizabeth GARREAULT

  Les gens indispensables ne devraient jamais mourir. Yossi Sarid et Amos Oz en faisaient partie. Aujourd'hui, c'est Ruth Dayan qui nous quitte à l'âge très respectable de presque 104 ans. Les médias locaux francophones mettent l'accent sur le fait qu'elle fut l'épouse de Moshé Dayan et qu'elle créa une maison de couture. Cachent-ils sciemment ses opinions politiques pour ne pas froisser leurs lecteurs ?

Je me suis souvenue d'un ancien article du Jérusalem Post que j'ai retrouvé. Aujourd'hui et particulièrement dans le contexte politique actuel, c'est celui-là qu'il faut lire. Bien plus que la femme de, la mère de, ou la créatrice de mode, elle fut aussi une femme engagée, courageuse et inspirante.

«Une fois, je suis allée à Naplouse et j’ai rencontré cinq femmes palestiniennes qui étaient emprisonnées. On m’a demandé si je pouvais leur trouver un emploi chez Maskit. Quand je suis rentrée à la maison, Moshé était déjà là, assis dans un fauteuil. J’ai préparé le dîner, puis il m’a dit : “J’ai appris par mon bureau que tu as rendu visite à des prisonniers palestiniens. Je n’apprécie pas cette initiative. Je les mets en prison et toi tu leur rends visite !” À ce moment, j’ai compris que nos chemins divergeaient et que nous ne pensions plus de la même manière. Les temps avaient changé. Quand je l’ai entendu parler ainsi, j’ai compris qu’il était contre l’idée d’une coexistence, et je lui ai dit que je voulais divorcer».

3 commentaires:

  1. Je pense juste que tous deux étaient des humanistes. Mais qu'elle était restée angélique et idéaliste... alors que lui, homme de terrain, o combien en prise avec les réalités, ne pouvait faire fi de celles ci. Elle était une rêveuse. Lui était un réaliste pragmatique, qui avait compris la non acceptation, par de trés nombreux palestiniens, de l'existence méme d'un Etat juif, quelles que soient ses frontières.

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  2. Un beau sujet , un bel article : Ruth Dayan est décédée à l’âge de 104 ans . Elle vivait dans ses rêves .
    André Simon Mamou
    Tribune juive

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  3. ingrid Israël-Anderhuber7 février 2021 à 07:30

    Selon le témoignage ici d’Elizabeth Garreault, Ruth Schwartz a dit, à propos de Moshe Dayan : «Quand je l’ai entendu parler ainsi, j’ai compris qu’il était contre l’idée d’une coexistence, et je lui ai dit que je voulais divorcer.» ?!
    Que son mari lui soit infidèle pendant des années et des années de mariage (bien que «profondément amoureux» !?) ne lui a pas posé de problèmes plus que ça, et ne l’a pas amenée à demander le divorce (par ex. pour motif légitime d’adultères) ; mais que son mari soit contre l’idée d’une coexistence l’a amenée à vouloir divorcer ?! Elle pourtant «si profondément amoureuse» ?!
    Ruth Schwartz, qui n’hésitait pas à aller au loin, à droite ou à gauche, pour rencontrer les autres, pour les aider à se tirer d’affaire etc., n’a même pas essayé de rencontrer son mari dans sa propre maison pour au moins discuter avec lui et tenter de le convaincre de revoir éventuellement son idée, sa position ? Direct le divorce !!! Elle "si profondément amoureuse" ! Direct le divorce. Pour une idée !
    Questions : Pour Ruth Schwartz, fallait-il être palestinien pour trouver grâce à ses yeux et l’amener à faire des efforts de rapprochement quand les idées et les points de vue étaient pourtant si opposés, si éloignés ?
    Par ailleurs, pourquoi persister à l’appeler du nom de son ex-mari alors qu’elle s’en est défait ? Y-avait-il une clause au contrat de divorce pour qu’elle puisse utiliser le nom de son ex comme d’un Sésame ?
    Je ne fais que poser des questions face à cet article qui m’interroge, et me laisse plutôt perplexe...

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