L’IRAN ALIMENTE LA VERVE
DE LA "GRANDE MUETTE" ISRAÉLIENNE
Par Jacques BENILLOUCHE
En
Israël, le culte du secret est l’ADN de Tsahal qui, auparavant, ne disait rien, ne
promettait rien, n’informait pas de ses projets et encore moins de ses
intentions de guerre. Avec Netanyahou les choses ont beaucoup changé ; la Grande
muette s’exprime à présent dans tous les médias donnant l’impression que
l’armée est devenue un élément majeur de la propagande israélienne. Certains
ont vite assimilé cette dérive à l’approche des élections législatives. C’est
de bonne guerre pour un gouvernement sauf s’il ne cherche pas à instiller la
peur au sein de la population pour la contraindre au rassemblement autour de
lui.
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Aviv Kohavi, s'exprime lors de la conférence annuelle de l'INSS, le 26 janvier 2021 |
L’Iran est devenu la matière première de la propagande gouvernementale, relayée par des sites douteux qui inventent des données fausses pour faire peur, qui conseillent à la population de faire des grandes provisions en prévision d’un conflit qui sera long et couteux. Ces mauvais génies, qui se disent experts militaires, utilisent le nombre de clics dans leur site pour se faire une santé économique quitte à faire de l’inconscience leur cheval de bataille. Mais le chef d’État-major Kohavi les aide beaucoup en sonnant l’alerte contre l’Iran. On aurait mal imaginé Itzhak Rabin prévenir les médias de ses intentions et leur annoncer les détails de l’intervention de son armée contre l’Égypte en 1967. La surprise reste l’élément le plus évident pour les généraux israéliens.
Le
premier ministre insère dorénavant l’armée dans sa stratégie électorale alors
que, par consensus nationale, elle avait été toujours mise à l’écart des joutes
politiques. Tsahal, dont la crédibilité n’est jamais mise en cause a été
mobilisée pour répandre la peur d’un conflit généralisé avec l’Iran. Cela est
d’autant plus paradoxal que de nombreux pays arabes ont rejoint le camp des
amis d’Israël et que mathématiquement Israël a moins d’ennemis.
Il est vrai que la communication est traditionnellement perçue par les Israéliens
comme un de leurs points faibles parce qu’elle a longtemps été considérée comme
une activité annexe peu importante sachant que l’action prime sur la parole. Certains
militaires ont d’ailleurs considéré l’inutilité de Dover Tsahal, le service de
communication de l’armée, car pour eux les F-16 demeurent le plus sûr moyen de
faire passer des messages. Mais depuis la guerre de Gaza de 2008/2009, l’armée a
commencé à accorder davantage d’importance à la question de l’information, poussant même à des innovations majeures.
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Les défis de Tsahal |
Jusqu’à un passé très récent, le conflit entre le premier ministre et le
ministre de la défense, affiché au grand jour, faisait désordre. Au cours de l'année 2009,
Netanyahou avait voulu forcer la main des chefs militaires et sécuritaires pour
lancer une attaque contre l’Iran, sans le soutien logistique des États-Unis.
L’État-major israélien avait émis des réserves sur les risques d’une telle
action et il n’avait pas voulu tomber dans le piège de l’exagération de la
menace iranienne estimant qu’il s’agissait d’une stratégie gouvernementale plus
politique que militaire. Les langues de certains officiers se sont depuis
déliées pour affirmer qu'Israël n’avait jamais eu l’intention d’attaquer
l’Iran. Il cherchait uniquement à obtenir des concessions américaines en
échange d’une retenue.
Des généraux israéliens avaient alors révélé la véritable stratégie mise en
place par l’ancien ministre de la défense, Ehud Barak qui s’inspirait de
l’adage latin «Si vis pacem, para bellum» (Qui veut la paix prépare la
guerre). Des sommes faramineuses ont été dépensées par Ehud Barak pour
accréditer l’idée qu’une guerre était imminente avec l’Iran et la presse avait
été la première victime de cette intoxication. Il s’agissait de sensibiliser
les Occidentaux sur les risques qu’ils couraient à laisser l’Iran poursuivre
son programme d’armement nucléaire et de détourner leur attention du conflit
palestinien. Cette politique a permis à Benjamin Netanyahou de sanctuariser le
budget de la défense et de neutraliser les oppositions à sa politique au nom
d’une union nationale face au danger que courrait Israël.
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J'aurais pu obtenir plus |
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Rabin, Barak et Dagan |
Dès son départ du Mossad, qui le
libérait du devoir de réserve, Meir Dagan, avait averti qu’une telle opération
de frappe pourrait conduire à une grande guerre au Proche-Orient et estimé que
bombarder l’Iran était «l’idée la plus stupide». Cette frappe n’avait
d’ailleurs pour Dagan aucune utilité ; il l’avait confirmé dès 2010 à la
commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset en expliquant
que l'Iran n'aurait pas la capacité nucléaire avant 2015 en raison d’une série
de dysfonctionnements qui avaient mis le programme nucléaire hors de son
objectif pour plusieurs années. D’ailleurs en 2021, la situation est toujours
stabilisée.
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Uzi Eilam |
Libéré de son devoir de réserve parce
que l’intérêt du pays étant en jeu, l’ancien patron du Mossad, Tamir Pardo,
déclara à l’unisson que «le programme nucléaire de l'Iran n'est pas une
menace existentielle». Il a affirmé que la principale menace pour Israël
était le conflit avec les Palestiniens et la dérive des djihadistes.
Tsahal est resté discipliné car il a le devoir d’obéir au pouvoir civil.
Cependant, l’État-major est seul qualifié pour préparer les plans militaires
car son expertise ne souffre d’aucune exception. Traversée par plusieurs
courants, l’armée est restée la Grande muette. Mais dès lors que certains
milieux poussent l’armée, par intérêt électoral, à entrer dans le débat
national, alors la division politique s’insère au sein des troupes. Certains officiers n'ont pas tardé à s'élever contre l'instrumentalisation de l'armée à des fins politiques.
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Joe Biden et ses collaborateurs |
Ses menaces verbales
décrédibilisent l’action de Tsahal. Kohavi a trop parlé. Il ne fait pas peur au
Hezbollah ni à l’Iran mais à la population israélienne qui a toujours fait
confiance en son armée et à qui il donne l'impression de la conseiller de choisir le bon bulletin de
vote. Affirmer que «compte tenu de la menace posée par l’Iran, l’armée
israélienne se prépare à lancer une attaque si nécessaire» est déplacé.
S’il veut faire la guerre qu’il la fasse mais il n’a pas besoin de le
claironner à tout venant. Ce n’est pas un homme politique qui parle, c’est le chef des
armées de la plus grande puissance du Moyen-Orient et à ce titre, il doit
ménager ses propos. Les responsables de la sécurité
en Israël ont également été surpris que le chef de Tsahal ait dévoilé à l'Iran que l'armée n'a actuellement aucun plan opérationnel pour
une éventuelle attaque contre la République islamique.
Le quotidien Yediot Aharonot est furieux car «les propos menaçants du
chef d’Etat-major de l’armée sur un possible retour de
l’administration Biden à l’accord nucléaire ne sont que des menaces creuses». Il
faut être prétentieux pour croire qu’un général étranger pourrait influer sur
les décisions de la première puissance mondiale.
Le chef du Mossad, Yossi Cohen, proche confident de Netanyahou et non suspect de gauchisme, s’est élevé contre la déclaration de Kohavi. Il estime à bon escient que «les discussions devraient être tenues loin de la vue du public». Cela est d’autant plus regrettable que la mission de Cohen est de s’entretenir avec Washington sur les capacités nucléaires de l'Iran et que la nouvelle administration n’a pas encore officiellement exposé sa stratégie vis-à-vis de l’Iran.
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Yossi Cohen au premier rang avec les chefs sécuritaires |
Mais il semble que Netanyahou
ait envoyé Kohavi au front pour tester la réaction américaine alors que Joe
Biden le traite par le mépris puisqu’il n’a pas téléphoné à ce jour au premier
ministre israélien. Ce discours de Kohavi vient mal à propos alors que le chef
du Commandement central américain, le général Kenneth McKenzie, est arrivé en
Israël pour des entretiens avec lui et Cohen.
Le départ de Yossi Cohen du Mossad est planifié pour juin afin d’occuper le poste de conseiller en chef du gouvernement pour les affaires iraniennes. Il ne peut se permettre de prendre ses nouvelles fonctions dans un climat délétère face à l'administration Biden. Il a été contraint de réagir avec fermeté. Il est désolant que les chefs militaires n'aient pas réglé ensemble une stratégie commune. Dans l'intérêt de la solidarité nationale, l'armée doit rester en dehors des joutes politiques.
1 commentaire:
Comme de coutume, Netanyahu joue à "Pierre et le loup".
C'est un de ses stratagèmes favoris, qu'il ait en vue l'allié américain ou l'électorat israélien : brandir le soi-disant péril pour provoquer une réaction de peur.
Et cette fois, il semble avoir embrigadé le patron de Tsahal dans ses manigances.
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