Les populistes |
Quels que soient les succès et échecs de leurs leaders à travers le monde et à l’épreuve des faits, ceux que l’on amalgame
peut-être de manière simpliste ont su fidéliser leur électorat : du référendum
sur le Brexit en 2016 à l’arrivée ensuite au pouvoir de Boris Johnson ; de
l’élection inattendue de Donald Trump la même année à sa bonne performance
électorale quatre ans plus tard ; du retour de Benjamin Netanyahou à la
tête du gouvernement en 2009 à sa longue survie politique, malgré ses
inculpations et avec des coalitions souvent problématiques ; ces leaders,
comme d’autres, ont su imprimer un discours et solidifier un électorat, ce que
les sondeurs et les analystes politiques n’avaient pu imaginer.
Comment définir le populisme ?
Pendant longtemps, et alors que ce n’était pas vraiment une idéologie
construite, on désignait comme «populistes» les leaders politique disant
à l’électorat ce qu’il était plaisant d’entendre : «demain on rase gratis»,
«vous êtes les meilleurs», autant d’affirmations démagogiques qui ont fait
jadis les choux gras de partis dits traditionnels, de Droite comme de Gauche.
Remarquons déjà que les campagnes électorales de Trump comme de Netanyahou ont
largement joué sur ce registre avec des slogans comme : «Make America
great again» ou «Israël superpuissance».
Le populisme est souvent assimilé à
l’extrême-droite, mais c’est un tort pour de nombreux politologues. Prenons par exemple le thème de la
mondialisation, particulièrement décriée en raison de la désindustrialisation dans
beaucoup de pays et surtout en ces temps de pandémie : elle réunit contre
elle une forte opposition, et pas seulement celle du Rassemblement National. Si
l’anticapitalisme est un marqueur des populistes de Gauche comme les «Insoumis»
français, ceux de Droite se caractérisent surtout par leur hostilité à l’Union
Européenne et à l’immigration. En fait, l’identifiant universellement partagé
par les courants populistes est un discours – particulièrement efficace sur les
réseaux sociaux – au
nom des «petites gens», à la fois anti-élites et
antisystèmes.
Mais voyons les cas d’Israël et des
Etats-Unis : comparaison est-elle raison ? Bien sûr que non. Les
Etats-Unis sont un pays-continent dont la population peut rêver à un
nouvel isolationnisme, en pouvant être presque totalement autonome pour son
industrie et son agriculture. Clairement aussi, les États abritant les grandes
métropoles de l’Ouest et de l’Est votent toujours pour les Démocrates, les plus
multiculturels et ouverts aux échanges, ce qui n’est pas le cas des États
du Midwest votant presque tous pour les Républicains. Israël, lui, est un pays
minuscule, grand comme deux départements français. La mondialisation est une
obligation pour lui, avec une offre centrée sur la haute technologie, et des
importations obligées de matières premières. Ceci impacte d’ailleurs sur des
décisions stratégiques : alors que l’administration Trump a engagé un bras
de fer avec la Chine pour réduire ses déficits commerciaux, elle a fait
pression sur un Netanyahou pressé de vendre aux Chinois des infrastructures
quasi stratégiques, comme des ports ou des voies ferrées.
Différences aussi plus que notables en
matière de système politique. Les Etats-Unis ont une structure fédérale où
chaque État peut faire voter des lois bien spécifiques ; c’est impossible
en Israël, pays lilliputien. La triste évolution de la nation israélienne en tribus
qui coexistent sans se mélanger, est exacerbée par un absurde système électoral
à la proportionnelle. Mais à la sortie, on peut avoir les mêmes
résultats : à Washington, un parti républicain devenu trumpiste donc
populiste, par l’énergie de son leader et la force de certains lobbies comme
les Chrétiens Évangéliques ou les Tea party ; à Jérusalem, des
ultra-orthodoxes alliés indispensables pour une majorité de Droite, imposant
donc au pays des normes opposées à celles des élites ouvertes et mondialisées.
Trump-Netanyahou sont-ils des alliés ou de
simples sosies ? Sur l’alliance, il n’y a pas besoin de faire des
rappels : jamais un Premier Ministre israélien n’a manifesté autant ses
préférences sur la scène politique américaine – au risque de fissurer le fameux
soutien bipartisan. Comment l’expliquer ? Sans le juger, on peut avancer
plusieurs raisons objectives : peur réelle (que la majorité du peuple
israélien partage) d’un État palestinien sur les frontières de 1967 et qui ne
serait pas démilitarisé ; pressions passées de l’administration Obama ;
mais on peut aussi avancer d’autres raisons : agenda réel et de plus en
plus clair, d’annexion de la Cisjordanie avec le développement à outrance des
implantations ; une alliance réelle avec les Chrétiens Évangéliques sur le
projet de «Grand Israël» ; et aussi une idéologie devenue
elle-aussi de plus en plus populiste.
Les deux hommes d’État ont eu dans le
passé des parcours bien différents. Politicien chevronné, Benjamin Netanyahou a
connu une longue carrière, plusieurs fois ministre, député à la Knesset, avant
de de battre le record de durée de Ben Gourion comme chef du gouvernement.
Donald Trump, lui, n’avait jamais été élu avant 2016, ce qui fait que personne
ne le prenait au sérieux. Son parcours était celui d’un homme d’affaires ayant su
bâtir un empire dans l’immobilier. Ses activités dans le domaine télévisuel –
producteur d’une émission à succès – l’ont rôdé à la manipulation du public. Il
a su lors des primaires de l’époque s’imposer, sa présentant comme un
adversaire de l’establishment et du politiquement correct. Netanyahou, lui, a dû
déployer d’autres talents pour bâtir des majorités diverses à partir du puzzle
hérité de chaque élection du Parlement. Mais sa ligne et son discours ont de
plus en plus emprunté au populisme : poursuivi par la Justice pour des
affaires de corruption, il a su ainsi vendre à ses supporters un récit
accusant, ni plus ni moins la presse, la police et les juges de complot. Lesquels
supporters n’hésitent plus maintenant à menacer physiquement le procureur de l’État,
les juges à la Cour Suprême ou des journalistes.
S’il y a une figure rhétorique
caractérisant les dirigeants populistes, c’est bien la violence des mots. L’important
dans cette tactique semble être plus de salir et décrédibiliser les politiques
concurrents que de présenter un programme solide, mais ennuyeux :
l’adversaire devient ainsi un ennemi, ce qui effectivement mobilise les plus
frustes et les moins éduqués. Trump
avait copieusement injurié ses rivaux lors de la primaire il y a quatre ans.
Utilisation aussi de l’artillerie lourde pour décrédibiliser Hillary Clinton,
aux yeux d’un public de plus en plus large. Mais aussi dénigrement systématique des
journalistes, qualifiés d'«êtres humains les plus
malhonnêtes du monde», de «menteurs»,
etc.
L’hystérisation
du débat va de pair avec les théories du complot, divisant le monde entre «méchants
de l’État profond» opposés à un peuple trop longtemps manipulé. Un récit qui a irrigué
les réseaux sociaux, et en particulier Facebook pendant longtemps. Dans son livre bestseller, «The Art of The
Deal», publié en 1987, Donald Trump livrait sa méthode. «Les gens
veulent croire en ce qui est le plus formidable, le plus génial et le plus spectaculaire.
J'appelle cela l'hyperbole véridique». Il utilise à nouveau le plus bas
complotisme pour raconter à son électorat déçu que «l’élection a été volée».
De son côté, Netanyahou a beaucoup moins usé de l’insulte et des théories du
complot, mais il a parfois commis des mensonges outranciers comme à propos de
feu le Grand Mufti de Jérusalem, accusé d’avoir directement inspiré la Shoah à
un Adolf Hitler qui, sinon, n’y aurait jamais pensé.
Mais
pourquoi le populisme conserve-t-il une base populaire ? Commençons par
nous demander, d’abord, pourquoi les élites à commencer par celles de Gauche,
s’aveuglent régulièrement en faisant du «wishful thinking», comme tous
les médias français nous ayant vendu une élection facile de Joe Biden. Comme l’écrit lucidement Dov Alfon, directeur
de la rédaction de Libération : «On attendait un raz de marée du
Parti démocrate. On attendait un ras-le-bol d’électeurs républicains déçus. On
attendait ce qu’on espérait attendre».
Et
si, d’abord et comme tout le monde, il était naturel d’imaginer les autres à sa
propre image ? Oui, un chef d’entreprise ou un universitaire britannique
savait quel prix exorbitant pouvait coûter le Brexit, mais ce qu’il savait à
partir d’une simple réflexion, l’ouvrier ou le retraité déclassés qui allait
voter «Yes», ne pouvaient simplement pas le comprendre. Oui, l’establishment
de Washington, voyageant souvent à travers le monde, comprend les dégâts
terribles faits à l’image des Etats-Unis par le retrait de l’accord de Paris
sur le climat ; mais pas le fermier du Nebraska qui n’aura jamais quitté
son État. Ce n’est pas une question d’intelligence, mais de simple culture
générale.
Donald
Trump a su parler à un électorat qui se jugeait, à juste titre, déclassé par
une «mondialisation à outrance». La remise en cause des accords
commerciaux avec la Chine a eu un effet boomerang sur certaines entreprises
américaines, mais il a permis aussi de rapatrier des industries. Plus proche de
nous, sa gestion calamiteuse de l’épidémie de Covid-19 n’a pas trop eu d’impact
sur le scrutin, d’abord parce que ce sont les Gouverneurs qui ont eu «les
mains dans le cambouis» au niveau des États ; et aussi parce que son
refus de confinements stricts a été bien accueilli par les populations les plus
fragiles économiquement.
Et
Israël ? L’électorat du Likoud a conservé son noyau dur, à la fois plus
religieux, séfarade et vivant loin du centre développé du pays. Un sentiment de
rancœur, de vengeance même face à un establishment jadis uniquement ashkénaze
et de Gauche explique cette fidélité. Mais aujourd’hui, ce parti devenu plus bibiste
que de Droite répond aussi à une vraie attente du public ; les mêmes
thématiques anti-élites, ultra nationalistes, violentes au moins dans les
discours sont partagées sur Internet. Une propagande, privilégiant le conflit
au consensus, a trouvé un public qu’aucun argument de raison ne peut modérer.
Bref, au pays des pionniers et des kibboutzim le populisme a un socle électoral
aussi résilient qu’aux Etats-Unis et ailleurs.
Article remarquable. J'ai apprécié particulièrement la remarque sur l'aveuglement des élites et journalistes de gauche prenant leurs désirs pour des réalités. Par exemple, à lire le journal "le monde", on pouvait croire que le Texas, et pas seulement, tomberait tout cru dans l'escarcelle des Démocrates.
RépondreSupprimerMerci Monsieur Corcos pour cet article très complet. Après l’élection quasi certaine de Biden nous aurons droit aux articles-poubelle de nombreux sites juifs mais aussi non juifs comme Dreuz et l’inénarrable Guy Milliere qui n’hésite pas à traiter Biden de pédophile entres autres compliments.
RépondreSupprimerMerci pour cette très fine analyse et pour cette définition précise de ce qu'est la populisme.
RépondreSupprimerIl faut aussi constater que non seulement les populistes n'hésitent pas à mentir, mais que plus le mensonge est gros plus les gens sont disposés à le gober (exemple : celui de la soi-disant "pédophilie" de Biden).
C'est une parfaite confirmation des thèses de Goebbels !