LES MANIFESTANTS CONTRE BIBI RÊVENT À UN PRINTEMPS ISRAÉLIEN
Par Jacques BENILLOUCHE
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Quand le débat quitte la Knesset
pour migrer vers la rue, cela confirme que les députés n’ont plus la confiance
de leurs électeurs, quelques mois à peine après un scrutin stérile. Le
drame veut que très souvent la violence s’érige en seul dialogue entre la
police et les manifestants, entraînant des blessures sérieuses parmi les uns et
les autres. On voit donc qu’Israël est devenu un pays comme les autres puisque
la bastonnade devient l’arme des contestataires.
La situation ressemble
étrangement à celle qui prévalait avant le 4 novembre 1995, jour de la
manifestation pour la paix en soutien aux accords d'Oslo sur la place des Rois
d'Israël, à Tel-Aviv. L'ultra-nationaliste israélien Yigal Amir, fermement
opposé à l'initiative de paix d'Yitzhak Rabin et en particulier à la signature
des accords d'Oslo, a mis un terme à la vie du premier ministre. Un Juif avait
tué un autre Juif. Une situation inédite.
Après ce drame imprévisible, les
services de sécurité ont mis une vingtaine de gardes du corps autour de
Netanyahou alors que Rabin n’en avait que deux. Le fait qu’on pense aujourd’hui
à un risque vital contre le premier ministre fait envisager le pire. Il est dramatique de
penser à un acte aussi définitif de la part de l’un des milliers de
manifestants, descendus dans les rues pour protester contre la gestion sanitaire
et économique du gouvernement. Certains prétendent que la volonté de mettre en
avant le risque vital contre le premier ministre tend à éluder le fait qu’on le
critique et qu’on exige son départ parce qu’il est accusé de corruption et
qu’il refuse de quitter le pouvoir.
La dramatisation de la situation
se confirme avec la lettre du ministre orthodoxe Arie Dehry au chef de la
sécurité intérieure, Nadav Argaman : «Il faut empêcher l'assassinat
d'un Premier ministre et les attaques contre sa famille. La société israélienne
aura du mal à résister à un autre événement de cette ampleur». Certes, de
plus en plus d’illuminés utilisent une rhétorique dangereuse à défaut de convaincre
le premier ministre de quitter le pouvoir. Ils ne trouvent donc que la solution
de l’éliminer. Les manifestants veulent s'inspirer des printemps arabes pour déboulonner par la force un dirigeant élu comme en Tunisie, en Egypte et en Roumanie.
Les
Israéliens n’ont pas la culture du coup d’État et encore moins la culture de la
violence car les Juifs ont toujours été victimes, partout dans le monde, de
pogroms qui ont instillé en eux la modération et même le dialogue. Mais à présent ils s'empressent de faire sauter le calendrier, sans attendre la décision des juges.
Quand un pays n’a plus confiance en sa justice, en sa police et surtout en son
armée, c’est qu’il prend la mauvaise voie de l’anarchie. Les Israéliens ont
voté le 2 mars 2020, mal voté pour ceux qui pensent que beaucoup d’idolâtres
refusent de se séparer de Netanyahou arguant que personne ne peut le remplacer.
D’autres avant eux avaient affirmé cela au départ de De Gaulle, de Churchill et
même de Ben Gourion. Le monde ne s’est pas écroulé et la politique a repris son
cours
Des médias engagés laissent
entendre que Netanyahou est le premier ministre le plus détesté de toute
l’Histoire d’Israël. Qu’il soit détesté par une partie de l’électorat, cela ne
fait aucun doute, mais il est difficile de généraliser quand les élections le
mettent en tête de tous les partis, même aujourd’hui. Il détient un socle de 25% d'électeurs inconditionnels sans compter la majorité silencieuse, très conservatrice, qui déteste les
bouleversements surtout quand, hormis cette période de pandémie, tous les
signaux économiques sont au vert et même si le gouvernement laisse sur le
carreau près de deux millions de défavorisés.
Changer ? Soit mais pour qui ?
Là est le drame. Un pays qui détient les meilleurs scientifiques, les meilleurs
généraux et les meilleurs gestionnaires financiers, n’est pas capable de
trouver un dirigeant charismatique en état de prendre les rênes du
gouvernement. Beaucoup avait misé sur le quarteron de généraux mais ils
ont fini par se séparer car un attelage à quatre est difficilement maniable. Par ailleurs, Benny Gantz ne s’est pas affranchi du poids du premier ministre, alors il tente
d’exister : «Une ligne rouge a été franchie hier soir, lorsque des
citoyens exerçant leur droit de manifester ont été attaqués. En tant que
ministre de la Défense et membre de ce gouvernement, j'insiste pour que le
droit de manifester soit protégé et que la sécurité de nos citoyens soit
garantie partout». De nombreux électeurs ont cru en lui en votant pour
lui car ils voulaient mettre fin au cycle infernal des élections à répétition. Alors,
au lieu de renverser la table, il fait de la figuration politique pour ne pas
hypothéquer l’avenir, à savoir la rotation de premier ministre.
Il a permis une pléthore de
ministres pour satisfaire les besoins de Netanyahou en distribution de cadeaux
sans se rendre de leur inefficacité devant une découpe des attributions et des
coûts anormaux générés au moment où chaque centime compte. La population sait
qu’en dehors de Netanyahou, le changement ne peut pas venir du Likoud car il a
tout verrouillé pour consolider sa place. Quand ils ne sont pas envoyés en
mission à l’étranger, ils sont mis à l’écart de la gouvernance à l’image de Guilad
Erdan, Gidéon Saar et Nir Barkat, les grosses pointures jouant le rôle de figurants
aux ordres. Aucune tête ne doit dépasser ; d’ailleurs personne ne prend le
risque d’affronter le leader ce qui augure mal de leur capacité de gouverner, un
jour, seuls face aux Grands. Alors les troisièmes couteaux, la voix de son maître, viennent en première
ligne, souvent les plus bruyants et les plus incompétents, à l’instar de Miri Regev, David Amsalem,
Amir Ohana, David Bitan, et autres Miki Zohar.
Il
est inexact d’affirmer que les manifestants sont uniquement des anarchistes et des
gauchistes même s’il est avéré que la droite n’est pas présente dans les rues.
Alors sur cette base, la violence appelle la violence. L'arrestation de
manifestants et certaines images dures de brutalité policière sont compensées
par des images dramatiques d'actes audacieux commis par certains irréductibles.
Netanyahou et sa famille ne
craignent rien car ils sont protégés par une escouade d’éléments issus des
troupes d’élite. Parvenir à atteindre le premier ministre relève d’un haut fait
d’arme ou d’un miracle. Exit le loup solitaire agissant .pour des motifs
idéologiques. Donc les problèmes de sécurité ne se posent pas sauf s’il faut dissuader
les manifestants d’envenimer la situation. Mais cela n’empêche pas les
manifestants «pro-Bibi», et leurs amis violents du Betar Jérusalem,
faisant partie de la secte «la Familia», de participer à la castagne en aspergeant
les anti-bibis d’un liquide dangereux inconnu, en les poignardant au cou et en
les matraquant.
La
haine est devenue courante dans un pays habitué à l’union de tous ses citoyens pour
combattre les ennemis, au nord, au sud et au lointain, qui veulent l’éradiquer.
Cela n’empêche pas les appels d’un chanteur populaire pour «éliminer le
psychopathe et à lui réserver le sort de Louis XVI». C’est contre productif
et inadmissible surtout quand ils écrivent : «Bibi doit être éliminé.
Il faut venger Rabin en envoyant trois balles contre Bibi mais je suis prêt à
faire un compromis pour une pour Bibi et deux pour Sara». Begin et Ben
Gourion, réveillez-vous, ils sont devenus fous !
Face à tous ces délires, le
seul à garder sa dignité, la tête froide et tous ses esprits est le président
Réouven Rivlin qui a demandé aux manifestants d’éviter la violence, a confirmé
l’importance de préserver le droit de manifester et a mis en garde contre le
fait de nuire aux manifestants. C’est équilibré certes mais la gravité de la
situation l’exige.
La
gauche et le centre n’ont pas de solution de rechange face au Likoud qui se
tient en rangs serrés. On reparle de la fusion entre Kahol-Lavan et Yesh Atid
mais, après les mots d’oiseaux qu’ils ont échangés, cela semble du domaine du
rêve. Alors on a sorti du chapeau un nouveau général, ancien chef d’État-major,
Gadi Eizenkot. Mais beaucoup pensent qu’ils ont déjà donné et qu’il faudrait un
homme neuf irréprochable. Alors on le cherche. Le premier qui le trouve aura
droit à la reconnaissance éternelle d’Israël.
Aussi dramatique qu'ait été la mort de Ytzhak Rabin , et la perte qu'elle représentée dans la vie politique du pays , ce n'était pas inédit dans notre histoire .
RépondreSupprimerDeux précédents ont eu lieu , au moins : assassinat de Jacob de Haan en 1924 et assassinat de Haim Arlozorov en 1933 . Nous ne sommes pas si particuliers que çà .
N'oublions pas que celui qui se présente aujourd'hui comme une pauvre victime de persécutions , hurlait avec les loups lors de la manifestation de droite 1995 , précédent la tragique manifestation du 4 novembre 1995 .
RépondreSupprimerPas sur d'adhérer à la recherche d'équilibre dans la violence entre les manifestants d'un côté à l'immense majorité non violents et les quelques irredentistes bibistes. L'exigence de voir BN partir est légaliste et en aucune manière hors la loi. Si il y a des fanatiques qui appellent au meurtre, ils doivent être dénoncés car ils ne représentent en rien le mouvement de protestation. D'ailleurs, les organisateurs vont avoir recours à un service d'ordre interne pour éviter les dérapages.
Il faut un service d'ordre pour virer les provocateurs mais surtout pour protéger les manifestants contre les voyous qui les agressent en fin de manif.
RépondreSupprimerPlus ca va, plus cette situation rappelle le film Z de Costa Gavras sur la Grece encore democratique des annees 60, lorsque des voyous d extreme droite encourages par un gouvernement corrompu et toleres par la police viennent semer la violence et la mort dans une manifestation pacifique de la gauche. Non, il n y a pas symmetrie. Dans les meurtres politiques, les assassins sont de droite et les morts de gauche: Emil Grunzweig, Itzhak Rabin, Shira Banki. Comme le depute Grec Grigoris Lambrakis.
RépondreSupprimer@Nicolas MERLET, il y a aussi l'assassinat de Jean Jaurès au début de la guerre de 1914 et l'assassinat de 2 hommes de gauche tunisiens, Chokri Belaïd et je crois "Mohamed Braïmi", en Algérie, ils ont du en avoir un pelleté dans les années 90 ...
RépondreSupprimerD'ailleurs, dans le monde arabe, ils ont un néologisme "Batlagia" pour désigner ces voyous charger de faire la répression pour l'Etat profond.