LA REVANCHE DES SUPPLÉTIFS SÉFARADES DE NETANYAHOU
Par Jacques BENILLOUCHE
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Le général Haskel menotté |
Les citoyens ont le droit à la parole libre et à manifester pacifiquement quelles que soient leurs prises de position critiquables. Quand un régime essaie d’ôter la parole aux journalistes et de menotter et d'enfermer des hauts officiers de Tsahal, sous prétexte qu’ils contestent le premier ministre, c’est qu’il commence à atteindre le fond. C’est surtout le signe que les Israéliens ont perdu leur confiance dans leur gouvernement. Les citoyens ont le droit de manifester pacifiquement, quelles que soient leurs prises de position critiquables. Mais le plus choquant reste que cela n’aurait jamais pu avoir lieu si Netanyahou ne se servait pas de supplétifs séfarades pour faire la basse besogne. Il exploite leur désir de vengeance pour avoir subi, pendant des décennies, une discrimination d’État qui n’a jamais dit son nom. Comme un enfant battu se venge sur les siens propres, les séfarades ont trouvé aujourd’hui matière pour rendre gorge à ceux qui les ont brimés.
Alors la Gauche, ou ce qu’il en
reste, à majorité ashkénaze, est ciblée parce qu’elle cherche à s’opposer
au Lider Maximo et à son idéologie. Majoritaires au Likoud, les séfarades ont
repris progressivement les places de ceux qui les ont écartés de la gouvernance
depuis que leurs parents sont arrivés en Israël. Alors, n’étant pas
convaincus de leur nouveau rang acquis à la force du poignet, ils se sentent
contraints de faire du zèle, beaucoup de zèle, pour montrer qu’ils méritent leur intégration parmi
l’élite du Likoud. Les orthodoxes séfarades du Shass les ont suivis depuis
qu’ils ont coiffé au poteau leurs concurrents ashkénazes.
Amir Ohana |
La hargne de Miri Regev, alias
Myriam Siboni, n’a d’égale que celle du nouveau ministre de la police, Amir
Ohana, qui s’en prend à un journaliste ou à un ancien haut officier de Tsahal,
pour leur signifier que dorénavant les séfarades sont aux commandes et qu’ils
doivent marcher droit. Jamais l’ancien ministre, Guilad Erdan, ne s’était
comporté ainsi. Miri Regev, Amir Ohana, David Amsalem, David Bitan et Miki
Zohar se sont donné pour tâche de venger leurs parents, victimes d’une discrimination
qui vient seulement d’être révélée officiellement par l’ouverture des archives
nationales. Dans les années 1950 et 1960, le gouvernement d’alors avait
planifié l’exploitation des Juifs d'Afrique du Nord.
10 ministres sur 34 sont d'origine marocaine
Il aura fallu soixante-dix ans
pour qu'en Israël, les langues se délient. Des faits, racontés par les
protagonistes mais souvent démentis par les autorités, sont devenus une réalité
douloureuse de l’histoire de l’immigration juive orientale. À la création de
l’État d’Israël, sur injonction des dirigeants sionistes historiques –et
notamment du premier d’entre eux, David Ben Gourion, le pays imposa une
discrimination officielle à l’égard des Juifs originaires d’Afrique du Nord
dans le but avoué de créer un sous-prolétariat juif. C’est pour cela que les
séfarades, brimés pendant des années, ont rejoint en masse Menahem Begin en
1977 pour ne plus quitter le Likoud. Mais ce n’est pas une raison pour se
comporter comme les dirigeants «soviétiques» de l’époque pionnière.
Yérouham |
Pour des raisons démographiques
et sécuritaires, il fallait peupler le désert du Néguev, face à Gaza. Pour des
raisons économiques, des industries devaient être créées pour occuper des
immigrants venus du monde entier. Mais certaines mesures discriminatoires, prises
à haut niveau, ne furent appliquées qu’aux seuls originaires d’Afrique du Nord
avec pour conséquence le sacrifice de deux générations de Séfarades.
Alyah juifs Maroc |
Tout a commencé dans les années
1950 dans les villes du sud du Maroc et de la Tunisie, où de nombreux Juifs,
très peu touchés par la modernité importée par le colonialisme, vivaient dans
des conditions misérables. Le raisonnement des dirigeants israéliens était
étonnant : «Les Juifs de certains villages s’habillaient comme les
Arabes, parlaient leur langue, mangeaient comme eux. Ils étaient donc des
ennemis, comme les Arabes».
Il est vrai que rien ne
distinguait les Juifs des autochtones arabes; on pouvait donc les traiter
différemment des Européens, «plus civilisés». Mais au Maroc, ils avaient
leur travail, leurs habitudes et leurs traditions religieuses, dans un pays qui
les tolérait, parfois même les choyait. Ce ne fut pas le cas en Israël. Alors, pour
consolider le pays, Israël n’hésita pas à créer un sous-prolétariat juif. En
lorgnant sur les 200.000 Juifs marocains et les 50.000 tunisiens défavorisés,
il était facile à l’Agence juive, de convaincre ces Juifs de réaliser la
prophétie lue chaque année à Pessah (Pâque juive), «l’an prochain à
Jérusalem», le rêve de tous ceux qui attendent le Messie.
Les délégués sionistes furent
aidés dans leur propagande par les pogroms d’origine arabe en Afrique du nord.
Le 5 août 1934, un pogrom exécuté par une foule musulmane fanatisée déferla sur
le quartier juif de Constantine (Algérie). Pendant toute une journée, la foule
avait égorgé et pillé impunément, faisant vingt-sept morts –dont vingt-cinq
citoyens français juifs. Le pogrom de Tripoli (Libye) en 1945 fut le plus
violent massacre de Juifs en Afrique: entre les 5 et 7 novembre, plus de 140
Juifs ont été tués. Une série de pogroms eut également lieu les 7 et 8 juin
1948, au lendemain de la création de l’État d’Israël, dans les villes d'Oujda
et de Jerada, au nord-est du Maroc, faisant quarante-deux victimes juives.
Ces attaques contre les Juifs
ont permis aux délégués de l’Agence juive de disposer d’arguments pour pousser
les Juifs à émigrer. Encore aujourd’hui, le risque islamiste est brandi en
France pour conseiller aux Juifs de fuir un pays qui les protège et qui
n’autorise pourtant aucun antisémitisme d’État.
Les immigrants, qui accostaient au
port de Haïfa par dizaines de milliers, voulaient réaliser le rêve sioniste mais ignoraient le
protocole défini en secret par les autorités. Ils ne devaient pas rejoindre
Jérusalem mais, entassés dans des camions pour parcourir des centaines de
kilomètres jusqu’au désert du Néguev, ils devaient participer à la création des
villes de Yeruham, Netivot et Dimona.
Tentes d'immigrants |
Yeruham, était à l'origine un
camp de transit pour les nombreux Roumains arrivés en 1951, mais quand ceux-ci
s’installèrent très vite dans les grandes villes du centre, ils ont été
remplacés par les Juifs du Maroc. Les immigrants étaient transportés en pleine
nuit pour éviter la contestation, mais face au désert dans lequel on voulait
les parquer, beaucoup ont refusé de descendre des camions, arguant qu’on les
avait amenés dans «un camp de la mort». Ils n’avaient malheureusement
pas le choix, sauf à être jetés à terre avec leurs baluchons; ils avaient
découvert trop tard qu’on les avait bernés. Au lieu de Jérusalem, ils avaient
été envoyés «au bout du monde, à droite». Leurs passeports, souvent un
simple laissez-passer de voyage, leur furent confisqués pour empêcher tout
retour au pays d’origine.
Giora Yoseftal |
Le protocole d’intégration des
Juifs du Maroc avait été conçu par des bureaucrates israéliens agissant sur
ordre de David Ben Gourion, qui avait déclaré en 1949: «Nous avons conquis
des territoires, mais ils n'ont pas, sans colonies, de valeur décisive; telle
est la conquête véritable! L'avenir de l'État dépend de l'immigration». Le
chef de département de l'Agence juive, Giora Yoseftal, avait consciemment créé
ce camp de transit comme «une cité dans le Néguev, un désert, une région
désolée qui offre un passage aux infiltrés et bandits de la bande de Gaza vers
la Jordanie». Les archives le désignent aujourd’hui comme le concepteur
principal du plan d’intégration des nouveaux venus, qui durent se contenter de
tentes militaires ou au mieux de baraques de bois sans confort minimum.
Israël avait importé de la
main-d’œuvre à bon marché en feignant d’ignorer que ces Juifs bénéficiaient au
Maroc de l’école française de la République, qui permettait au plus grand
nombre d’évoluer dans l’échelle sociale. Mais l’objectif était de maintenir un
sous-prolétariat aux ordres des Ashkénazes. Une école primaire avait certes été
installée à Yeruham, mais tous les jeunes sans exception n’avaient qu’une seule
orientation imposée, quelles que soient leurs prédispositions: l’école professionnelle
qui formait des ouvriers, ou l’école agricole pour les futurs travailleurs des
champs.
Ces Marocains n’avaient pour
avenir que le travail manuel, dans des usines de textiles ou de fabrication de
bouteilles. Volontairement, aucun lycée n’avait été prévu: les études devaient
s’arrêter au primaire même pour les enfants brillants. Tels furent les ordres
de la nomenklatura ashkénaze, qui s’estimait en droit de choisir les immigrants
privilégiés pouvant disposer des logements et des emplois. Les Marocains ne
faisaient pas partie de leur liste. À l’époque, l’unique syndicat, la
Histadrout, faisait la pluie et le beau temps. Aucun contestataire ne pouvait
quitter Yeruham sans se retrouver banni, boycotté par tous les employeurs de
tout le pays, sur ordre du syndicat.
Yerouham |
Les Juifs du Maroc ont subi une
véritable discrimination, par opposition aux immigrés juifs de Pologne, arrivés
en Israël dans les années 1956-1959. En octobre 1956, le Comité central du
Parti ouvrier unifié polonais (POUP) nomma Wladislaw Gomulka au poste de
Premier secrétaire. S'ouvrait une période de dégel, bientôt suivie d’une
recrudescence du climat antisémite dans la société. Les nouvelles autorités avaient
alors assoupli les procédures d’émigration pour les citoyens polonais d’origine
juive, qui furent autorisés à partir en Israël contre des fonds américains. En
Israël, ils reçurent un traitement de faveur, en étant autorisés à s’installer
au centre du pays et non dans le désert du Néguev, que ce soit à Holon, à Ra’ananna,
à Bat Yam ou bien à Tel-Aviv, où une partie d’entre eux a d’ailleurs été à
l’origine de la création du quartier aujourd'hui huppé de Ramât Aviv, au nord
de la ville, appelé non sans humour «Gomulkowo».
Les dirigeants juifs de l’époque
se justifièrent en affirmant que les Marocains étaient «arriérés», au
même titre que les Arabes. Leur erreur, volontaire, fut de ne donner aucune
chance à la nouvelle génération, qui pouvait pourtant s’émanciper grâce à des
études. Les «arriérés» restèrent des années dans des baraques de bois
couvertes de tôle ondulée sous le soleil, attendant qu’un «immigrant
privilégié meurt, pour récupérer son appartement». Ils n’avaient le droit
de vivre que «dans une prison entourée d’arbres».
Tout a été planifié, écrit et
enregistré sur des documents officiels, dactylographiés par les fonctionnaires
scrupuleux de l’État. Ils avaient reçu des ordres d’en haut et, en bons «élèves
soviétiques», ils les ont appliqués à la lettre. L’ouverture des archives a
permis de connaître par le détail les mesures discriminatoires à l’égard des
200.000 premiers immigrants résignés du Maroc.
Panthères noires |
Contrairement à leurs parents,
de jeunes Marocains ont tenté de se révolter en 1971 à travers le mouvement
israélien des Blacks Panthers, créé par Saadia Marciano et Réouven Abergel,
mais ils étaient mal structurés. Leurs manifestations de rue ont été réprimées
avec violence par la police, un peu comme Amir Ohana réprime aujourd’hui les
contestataires. L’histoire se répète dans l’autre sens. Une bonne propagande
les avait assimilés à des délinquants, au même titre que l’ancien général Amir
Haskel, menotté comme un vulgaire voleur de poules. Cette discrimination à
l’égard des Orientaux dura des décennies, et persiste encore aujourd’hui dans
certains secteurs du pays –sauf à l’armée.
Juifs marocains |
Menahem Begin, le leader
nationaliste du Likoud avait compris le problème: il s’appuya en 1977 sur cette
communauté pour ravir le pouvoir aux travaillistes. Depuis, de nombreux
Marocains eurent les honneurs du pouvoir, tel le premier d’entre eux l’ancien maçon
David Lévy, devenu ministre des Affaires étrangères– et Gadi Eizenkot –ancien
chef d’État-major de Tsahal. Les épisodes des années 1950 restent malgré tout
gravés dans les mémoires de ceux qui ne pardonneront jamais aux élites
ashkénazes d’avoir sacrifié l’avenir de leurs parents et grands-parents. Alors
ils se vengent à leur façon en devenant les supplétifs zélés de Netanyahou au
risque de détruire la démocratie en Israël. Singer les ashkénazes n'a jamais été une bonne politique.
Cet article s’inspire du film «Salah, c’est la terre d’Israël» qui a gagné le prix de la meilleure réalisation et de la meilleure enquête au festival Docativ – Festival international du film documentaire à Tel Aviv en 2017. Le film a été réalisé avec des documents officiels non contestable tirés des archives. Les créateurs du film: David Deri, Ruth Yuval, Doron Glazer
Mise à jour du 28 juin
Certains lecteurs m’ont accusé de réveiller des vieilles querelles oubliées entre séfarades et ashkénazes alors que l’on sait qu’elles durent encore, certes dans certains milieux seulement. Le jour de la publication de mon article sur ces ressentiments, la querelle entre le ministre des finances Israël Katz et le député Miki Zohar a explosé au grand jour. Zohar lui avait signifié qu'il était en désaccord avec un large éventail des questions économiques.
Katz avait alors rabroué Zohar en lui rappelant qu’il était arrivé loin derrière lui aux primaires du Likoud. Le président de la coalition lui a répondu aussi sec «Malheur à l'arrogance ashkénaze, triste de voir Israël Katz descendre bas».
Et cela entre gens du même monde. On imagine les relations avec les pauvres immigrants, abandonnés au bout du monde, qui n’avaient personne pour les défendre.
Cet article s’inspire du film «Salah, c’est la terre d’Israël» qui a gagné le prix de la meilleure réalisation et de la meilleure enquête au festival Docativ – Festival international du film documentaire à Tel Aviv en 2017. Le film a été réalisé avec des documents officiels non contestable tirés des archives. Les créateurs du film: David Deri, Ruth Yuval, Doron Glazer
Pour ceux qui voudraient voir tout le film en trois parties voici le lien : https://13tv.co.il/vod/sallah/
En tant qu'ashkenaze la honte m'envahit.
RépondreSupprimerJe suis monté en Eretz à 17 ans seul.
J'ai embarqué à Naples sur un bateau turc
l'Istambul.
À bord se trouvaient environ 300 juifs du Maroc solidement encadrés par l'agence juive.
Arrivé à Haifa, je suis monté de nuit dans les bus qui emmenait cette communauté encore en djelabah à Beit Shaan.
Moi je suis descendu 10km avant au kibboutz Tel Yossef dans la vallée de Jizrael. J'y ai fait mon ulpan.
J'étais ashkénaze..
À bord du bateau je n'avais pas de cabine, je dormais sur le pont dans un transat.
J'ai connu ma première copine. Une ado marocaine délicieuse et parlant un français impeccable. Nous avons flirté en cachette des regards des autres passagers, nous nous sommes juré de ne pas nous quitter en Israël..
En pleine nuit le bus s'arrêta sur la route à l'entrée du kibboutz, je descendis, et je n'ai jamais réussi à revoir ni à retrouver ma petite marocaine.
J'ai gardé une grande tendresse pour la communauté sepharade, j'ai épousé en première noces une jeune fille tunisienne et je n'ai jamais compris le mépris de ma communauté alors, envers ceux qu' ils appelaient les swartz fis. (en yiddish les pieds noirs)
Enfin un journaliste qui ose soulever cette histoire dramatique, cachée pendant longtemps, au point que les ashkénazes n’y croient pas ou la nient. Pourtant c'était la réalité.
RépondreSupprimerMerci Jacques Benillouche pour cet article extremement interessant, en particulier sur la segregation envers l Alyah d Afrique du Nord. Venant de vous, quelqu un d equilibre et de reflechi, c est tres convaincant (il est difficile a priori de se faire une opinion sur le sujet).
RépondreSupprimerIl n'est pas exact de prétendre que seuls les juifs Marocains étaient dirigés vers le Neguev. En 1958, la moitié des familles juives émigrant d'un village polonais y furent envoyés également.
RépondreSupprimerCher anonyme très courageux,
RépondreSupprimerVous avez mal lu mon article, au moins cette phrase "Yeruham, était à l'origine un camp de transit pour les nombreux Roumains arrivés en 1951, mais quand ceux-ci s’installèrent très vite dans les grandes villes du centre, ils ont été remplacés par les Juifs du Maroc".
Il y a une chose très importante qu'il ne faut pas oublier : dans les années 1950-1960, toute la société blanche occidentale, des Etats-Unis à l'Europe de l'Ouest, professait un grand mépris, de la condescendance et même de la haine envers les Noirs, les Arabes, les Vietnamiens et autres "jaunes", etc. Toutes sortes de formes de racisme étaient pratiquées, et malgré la propagande, le Bloc communiste souffrait de la même maladie. Le colonialisme n'était pas encore mort, ni banni, même s'il s'acheminait vers la sortie. Les Ashkénazes qui avaient fondé Israël (y compris les Sionistes religieux) venaient de là-bas, et qu'on le veuille ou non, cette démarche était aussi la leur, elle avait déteint sur leur façon de penser. Seule une petite minorité sentait que c'était erroné, ceux qui avaient lu le "Portrait du colonisé" d'Albert Memmi, et les "Damnés de la Terre" de Franz Fanon, Aimé Césaire, etc.
RépondreSupprimerC horrible j ai pas d autres mots à
RépondreSupprimerdire que de rêves brisés
Je pense que bcp de personnes ont
dû gardé des dégâts psychologiques
à vie