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vendredi 10 avril 2020

Mystères sur l'élimination d'un chef du Hezbollah



MYSTÈRES SUR L’ÉLIMINATION D’UN CHEF DU HEZBOLLAH

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
            
Mohamed Ali Younès

          Le coronavirus a placé au second plan l’élimination, le 4 avril 2020, d’un chef du Hezbollah au Liban-Sud. L’information a été noyée dans le flot des nouvelles sanitaires et économiques. Le Hezbollah n’a donné aucune explication officielle sur les circonstances, non élucidées, de cet assassinat en plein jour qui concerne pourtant une grande figure de la milice. Mohamed Ali Younes, originaire de Jibchit (caza de Nabatiyé), était un dirigeant discret en raison de ses fonctions particulières. Son équipe était chargée au Liban de traquer les «collaborateurs» d’Israël, les anciens et les nouveaux, et même ceux qui faisaient partie jadis des rebelles de l’ALS (Armée du Liban-Sud) soutenus par Israël. Il était par ailleurs chargé de la collecte d’informations militaires.  


Liban-Sud

            Mohamed Ali Younes a été retrouvé mort dans sa propre voiture criblée de balles et blessé au couteau, sur la route reliant Qaaqaiyet el-Jisr à Zaoutar el-Gharbiyé. Le Hezbollah a immédiatement imposé le silence total sur l’affaire mais un détail ne trompe pas, il a annoncé sa mort «en martyr» ce qui signifie que sa mort serait intervenue dans l’exercice «de ses fonctions».
            Des révélations ont été faites par un habitant de la région sur le déroulement de l’enquête qui met en évidence un personnage mystérieux. En effet, Ali Younes n’était pas seul dans sa voiture au moment de l’attaque. Malgré des blessures au couteau, il semblerait que le passager fasse l’objet d’un interrogatoire serré car il s’agit d’un personnage-clef. On ignore s’il est le meurtrier ou alors le complice des assassins. Mais il aurait précisé que leur voiture avait été prise dans une course poursuite avec un autre véhicule, sans autre détail.    
Commando Tsahal

            Plusieurs thèses ont été avancées sur les commanditaires du meurtre. Comme on ne prête qu’aux riches, la première thèse implique le Mossad qui aurait héliporté un de ses commandos d’élite pour mettre fin à la menace de ce cadre du Hezbollah. Le passager de la voiture aurait été épargné car il n’était pas une cible désignée de Tsahal, à moins qu’il n’ait été un informateur. Le modus operandi reste effectivement dans les normes israéliennes : renseignements précis, action rapide sans bavure, peu de traces laissées sur le terrain par le commando. Il fallait mettre fin à la mission de Younes contre les «collaborateurs». Il s’agissait aussi de désorganiser le Hezbollah au Sud-Liban en frappant à une tête importante.  
Trump et Fakhoury

            Une deuxième thèse concernerait une vengeance à la suite de la relaxe de l’ancien bourreau de la prison de Khiam, Amer Fakhoury, et de l’assassinat d’un ses anciens adjoints Antoine Hayeck, propriétaire d’une boutique dans le village de Miyé Miyé. Le libano-américain Amer Fakhoury, 57 ans, avait été libéré et renvoyé aux États-Unis. Il avait été accusé d'avoir supervisé la torture de Libanais dans une prison du sud du Liban dans les années 1980 et 1990 alors qu'il faisait partie d'une milice soutenue par Israël pendant l'occupation israélienne. Sa libération avait suscité les critiques des médias et des politiciens locaux. Le Hezbollah avait dénoncé la libération de Fakhoury en la qualifiant d'ingérence flagrante des États-Unis dans les affaires du Liban. L’assassinat d’Antoine Hayek par le Hezbollah dans son épicerie était aussi lié à son appartenance à la milice libanaise soutenue par Israël.
            La troisième thèse porterait sur des querelles internes pour traiter des questions épineuses de corruption financière. En effet, Younes a été assassiné dans une zone entièrement sous contrôle du Hezbollah qui prétend que la victime a été prise en embuscade par des assassins qui sont montés à bord de trois voitures. Il exclut que quiconque, même le Mossad, puisse organiser une embuscade à une figure éminente de la milice dans cet endroit libanais, sachant que le Hezbollah détient tous les détails de quiconque entre et sort de la région. Le fait que le commandant du Hezbollah ait été abattu et poignardé avec un couteau donne crédit à la thèse d’un crime de vengeance.
            Mais le Hezbollah a pleuré Younes en le traitant de «martyr», suggérant que son assassinat était lié à la nature de son travail au sein du parti. En fait, l'assassinat pourrait révéler l'existence d'accords lucratifs impliquant certains membres du parti et les membres de leur famille, qui montraient des signes ostentatoires de richesse soudaine. D’ailleurs, le Hezbollah, comme d'autres partis libanais, notamment le mouvement Amal, souffre de conflits internes et de différends concernant le fait de bénéficier de certains avantages.
photos d'anciens détenus à l'entrée de l'ancienne prison de Khiam à la frontière israélo-libanaise

            Le Hezbollah a toujours utilisé l'assassinat de certains de ses cadres pour se faire passer pour une cible constante des services de renseignement israéliens. Il élimine les gêneurs et soigne sa réputation qui renforce le stock de sympathie dont il jouit dans ses bastions de la banlieue sud de Beyrouth, de la vallée de la Bekaa et du sud. L'assassinat de Younes est survenu après que la loyauté des partisans du parti a été mise à l'épreuve et ébranlée par le scandale al-Fakhouri, car ils ont eu du mal à croire que la libération de ce dernier avait eu lieu sans l'approbation du Hezbollah, même implicitement, sachant très bien que le parti contrôle tous les détails des décisions de l'État et de ses organes, en particulier dans les questions liées à la sécurité.
            En attendant que le passager, dont on tait soigneusement le nom, révèle tous ses secrets, il faudra donc se contenter de suppositions, jusqu’à ce que l’enquête fasse la lumière sur cet assassinat.

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