LE RÔLE RÉEL DE LA RUSSIE AU MOYEN-ORIENT
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Sous ses allures de tacticien glacial, Vladimir
Poutine n’a d’autre but politique que de combler les vides au Moyen-Orient pour renforcer
la position mondiale de la Russie dont les Occidentaux ont sous-évalué les
capacités réelles. D’habile perturbateur voué à des actions révolutionnaires
d’un autre temps, Poutine a évolué. Il a prouvé qu’il avait une stratégie
élaborée et expansionniste qui tendait à se positionner là où
l’Occident a échoué. Alors que la superpuissance soviétique, dotée d’une idéologie
communiste, était redoutée par le monde, les années post-soviétiques ont
endormi l’attention des Occidentaux, rassurés par les problèmes économiques de
la Russie, par ses rivalités internes ethniques et par ses échecs répétés. Ils
étaient surtout rassurés car elle avait d’autres chats à fouetter que de se
préoccuper du monde extérieur.
Le président Obama avait visé juste
en qualifiant la Russie de «puissance régionale qui menace certains de ses
voisins immédiats non par force mais par faiblesse. Nous, les États-Unis, avons
une influence considérable sur nos voisins. Nous n'avons généralement pas
besoin de les envahir pour avoir une relation de coopération solide avec eux».
Si certes Obama avait compris que Poutine cherchait à restaurer le prestige
de la Russie depuis l’effondrement de l’Union soviétique et de faire de Moscou
un acteur fort sur la scène internationale, il ne considérait pas la Russie
comme une menace sécuritaire directe; ce fut son erreur.
La crise ukrainienne a entraîné une
réévaluation des relations des États-Unis avec la Russie, qui ne visaient pas à
relancer la guerre froide, mais plutôt à utiliser la force des alliances
internationales pour isoler la Russie et renforcer l'engagement de l'OTAN à
défendre ses alliés près des frontières russes. L’ancien Gouverneur républicain
du Massachusetts Mitt Romney, avait vu juste en déclarant que la Russie était un ennemi
géopolitique américain de premier plan.
Obama avait tout faux ; il
était tombé dans le piège russe car l’intervention de Poutine en Syrie et l'utilisation
accrue de la cyberguerre pour saper les démocraties occidentales ont prouvé ses
fausses interprétations du pouvoir réel de la Russie. Au fil du temps et
malgré sa faiblesse économique, Moscou était devenu le vrai rival politique
marchant sur les plate-bandes américaines. Les États-Unis pensaient que Poutine
n’avait pas les moyens économiques pour améliorer ses capacités militaires or
il a eu le temps de développer des armes de pointe car il avait annoncé : «Nous
protéger de manière fiable la Russie et nos concitoyens contre les menaces extérieures
et intérieures, d'anticiper clairement les risques et défis potentiels et
d'améliorer leurs performances progressivement et régulièrement. Notre armée et
notre marine ont prouvé leur grande disponibilité, mais nous avons l'intention
de renforcer nos capacités de défense et de déployer des armes hypersoniques,
laser et autres armes de pointe qu'aucun autre pays ne possède. Cependant, ce
n'est pas une raison pour menacer qui que ce soit».
La
décision en 2002 des États-Unis de quitter le Traité sur les missiles
balistiques avait ouvert la voie à une course aux armements et donné l’occasion
au Pentagone d’installer divers intercepteurs de missiles à travers le monde.
Mais cela avait aussi permis à Poutine de développer une gamme d'armes
révolutionnaires. Son nouvel arsenal comprend le missile balistique
intercontinental RS-28 Sarmat ainsi que le véhicule de glissement hypersonique
Avangard qui était censé être capable de fournir l'ICBM à des vitesses
supérieures à 20 fois la vitesse du son. Également dans le domaine hypersonique
se trouvait le missile balistique à lancement aérien Kh-47M2 Kinzhal et le
missile de croisière lancé en mer 3M22 Zircon. Toutes ces armes - ainsi que le
nouveau drone torpilleur sous-marin Poséidon, le missile de croisière à propulsion
nucléaire 9M730 Burevestnik et le système laser Peresvet – sont susceptibles
d’être invincibles contre les défenses principales et même potentielles.
Certes
la Russie est sur le papier une puissance en déclin et seulement 11ème économie
mondiale, mais elle a réussi à se surpasser. L'annexion de la Crimée et la
guerre dans l'est de l'Ukraine ont aggravé la politique d'isolement mais ont
poussé Poutine à révolutionner sa politique étrangère malgré les sanctions
américaines et la baisse des prix du pétrole.
Il
est difficile de juger de la finalité de la politique russe au Moyen-Orient.
Poutine ne poursuit pas des objectifs économiques malgré ses contrats juteux
avec l’Egypte et les pays du CCG (Conseil de Coopération du Golfe). Il cherche à s’élever au rang de puissance
mondiale. C’était le pari, d’ailleurs gagné, de la guerre en Syrie et du
soutien à l’Iran sur le terrain. Il a réussi à devenir le médiateur politique
incontournable en Syrie sans chercher à rétablir la transition démocratique. En
s’installant dans la région de Lattaquié, il a mis les fondements d’un statut
de courtier énergétique mondial.
Par opportunisme, il s'est allié à Israël pour briser son isolement diplomatique et a donné l'impression qu'il approuvait sa politique contre l'Iran. Il en
a profité pour devenir un joueur tactique neutre au milieu d'une situation
chaotique au Moyen-Orient. Avec la Syrie et la Libye en crise et le désengagement américain, l'Arabie
saoudite et l'Iran avaient besoin de diversifier leurs relations pour s'offrir à la Russie.
Poutine n’a eu aucun complexe à se rapprocher des régimes féodaux et
despotiques de la région contrairement aux Occidentaux soumis à une éthique
nationale. Il veut être pragmatique pour se montrer plus impartial que les
Etats-Unis qui se limitent à des liens étroits avec l'Arabie saoudite et Israël
alors que lui intervient et arbitre tout azimut. La Russie traite avec toutes
les parties. Moscou veut devenir une puissance qui s’installe et agit là où
l’Occident a échoué afin de renforcer sa position mondiale et de compenser ses
relations rompues avec l'Occident. Quand les Occidentaux se réveilleront...
Il est intéressant de lire les mémoires tout justes sortis de Gérard Araud, il y a peu ambassadeur de France à Washington. Selon lui, au-delà de l’abime qui les différencie, Obama et Trump ont exprimé et expriment une tendence profonde de l’opinion publique US qui consiste à se désengager du monde extérieur, à renoncer à jouer les gendarmes du monde et à se concentrer sur le « America first », voire « America only ». Ca expliquerait les abandons par les USA de la Syrie, de la Crimée, de l’Afghanistan et leur distanciation vis-à-vis de l’Europe et de l’OTAN.
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