VLADIMIR POUTINE, LE JOUEUR TACTIQUE
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Les Occidentaux font totalement
fausse route sur le rôle effectif au Moyen-Orient de Vladimir Poutine qui donne l’impression de chercher à combler
les vides pour renforcer sa position mondiale. Ils ont négligé ses véritables
capacités de nuisance. L'administration Obama avait
constamment sous-estimé le défi posé par le régime de Poutine et avait ancré sa
politique étrangère sur l'hypothèse que la Russie n'était pas une menace pour
la sécurité nationale des États-Unis.
Aujourd'hui, la Russie est
officiellement décrite auprès des Américains comme un concurrent, un rival ou un
adversaire, mais jamais comme l'ennemi. Elle n’est plus le principal challenger américain car ce titre revient à présent à la
Chine qui est considérée comme le principal perturbateur de l'ordre mondial
libéral conçu, dirigé et contrôlé par Washington. En revanche la Russie ne
manque pas de rôle perturbateur en raison de sa stratégie cohérente et
expansionniste qui s'affirme là où l'Occident a échoué.
La
Russie n’est plus la superpuissance redoutée, le contrepoids idéologique à
l’Occident car le régime post-soviétique s’est embourbé dans sa faiblesse
économique et son séparatisme ethnique qui mettent les problèmes intérieurs au
premier plan des préoccupations de Poutine. Alors que Mitt Romney avait
qualifié la Russie «d’ennemie géopolitique important», Obama l’avait
qualifiée de «puissance régionale faible qui menace ses voisins immédiats».
L’évolution politique en Syrie et la cyberguerre pour saper les Occidentaux ont
démontré la mauvaise interprétation américaine sur le réel pouvoir de la Russie
devenue un rival géopolitique clé.
RS-28 Sarmat |
Avec
retard les Américains ont découvert que la Russie se prépare à déployer des
armes avancées «qu’aucun pays n’a» et qu’ils devaient «remédier à
cela». L’armée américaine doit à présent compter avec le développement
d'armes de pointe, considérées par Poutine comme des réalisations «essentielles
pour l'État» afin «de protéger de manière fiable la Russie et nos
concitoyens contre les menaces extérieures et intérieures, d'anticiper
clairement les risques et défis potentiels et d'améliorer leurs performances
progressivement et de manière cohérente. Notre armée et notre marine ont prouvé
leur grande disponibilité, mais nous avons l'intention de renforcer nos capacités
de défense et de déployer des armes hypersoniques, laser et autres armes de
pointe qu'aucun autre pays ne possède».
Kh-47M2 Kinzhal |
Ce
nouvel arsenal comprend le missile balistique intercontinental RS-28 Sarmat
ainsi que le véhicule de glissement hypersonique Avangard qui est capable de
fournir l'ICBM à des vitesses supérieures à 20 fois la vitesse du son.
Également dans le domaine hypersonique se trouve le missile balistique à
lancement aérien Kh-47M2 Kinzhal et le missile de croisière lancé en mer 3M22
Zircon. Toutes ces armes, ainsi que le nouveau drone torpilleur sous-marin
Poséidon, le missile de croisière à propulsion nucléaire 9M730 Burevestnik et
le système laser Peresvet, seraient invincibles contre les défenses principales
et même potentielles.
lieutenant-colonel Robert Carver |
En
réponse, le porte-parole du Pentagone, le lieutenant-colonel Robert Carver, reconnait que
: «Alors que les États-Unis sont le leader mondial de la recherche sur le
système hypersonique depuis de nombreuses décennies, nous n'avons pas choisi
d'armer la technologie hypersonique. Ceux qui ont cherché à être nos
adversaires ont décidé de l'armer, ce qui a créé une asymétrie de guerre que
nous devons combattre. Le ministère de la Défense est à la pointe de la
recherche hypersonique et la mise en service d'armes hypersoniques est notre
plus haute priorité en matière de recherche technique et d'ingénierie. Nous
continuons de nous engager dans ce travail avec l'intention de ne laisser aucun
doute sur notre capacité à maintenir la domination future du champ de bataille
dans tous les domaines de la guerre».
Face
à des avancées rapides de la Russie, et même de la Chine, les États-Unis viennent
enfin de décider de développer leurs propres capacités d'armes hypersoniques. Ainsi
un bombardier stratégique B-52 de l'US Air Force avec le 419th Flight Test
Squadron a effectué le premier test en vol de l'hypersonique AGM-183A, une arme
à réaction rapide lancée par air à Edwards Air Force Base, en Californie. Cela
confirme ainsi que les États-Unis et la Russie possèdent de loin les armes les
plus nucléaires de tous les pays du monde.
CCG |
Pourtant,
la Russie est un pays en déclin qui se positionne en 11ème place
dans l’économie mondiale mais elle veut jouer dans la cour des Grands. Ses
objectifs sont moins idéologiques que pragmatiques et ses approches sont à
court terme. L’annexion de la Crimée et la guerre dans l’est de l’Ukraine ont
augmenté l’isolement de la Russie qui a été contrainte de modifier sa politique
étrangère. Elle a été durement touchée par les sanctions et par la baisse
des prix du pétrole. Malgré cela elle accorde toujours la plus haute importance
à ses relations, même endommagées, avec l'Occident.
On
comprend mal la politique de la Russie au Moyen-Orient qui n’est pas uniquement
axée sur des intérêts économiques. Si elle a signé d’importants contrats
militaires avec l’Égypte et des accords de plusieurs millions de dollars avec
les pays du CCG (Conseil de coopération du Golfe), sa préoccupation reste son
statut géopolitique sur le plan régional. C’est ce qui explique son entrée dans
la guerre civile en Syrie et son soutien de l’Iran sur le terrain mais jamais
en tant que médiateur politique ni pour favoriser la transition démocratique en
Syrie. Son but est de propulser la Russie en tant que courtier énergétique
mondial. Face à la Syrie et la Libye en crise, à la volonté de l’Arabie et de
l’Iran de diversifier leurs relations et au revirement politique de Trump, la
seule présence de la Russie suffit à révéler les capacités de la Russie.
Là où
les Occidentaux hésitaient à des rapprochements avec des régimes despotiques,
la Russie s’est appuyée sur une politique étrangère secrète mais inexplicable. Le
pragmatisme la pousse à conclure des accords sans restriction avec des
adversaires régionaux pour bien montrer qu’elle est plus impartiale que les
États-Unis qui n’ont limité leurs liens qu’avec l’Arabie et Israël. La Russie
est devenue un acteur tactique glacial, qui ne cherche qu’à combler les vides
laissés par l’Occident pour renforcer sa position mondiale.
A retenir une phrase intéressante de votre article :" L'administration Obama avait constamment sous-estimé le défi posé par le régime de Poutine et avait ancré sa politique étrangère sur l'hypothèse que la Russie n'était pas une menace pour la sécurité nationale des États-Unis."
RépondreSupprimerCette phrase mérite commentaire : la sous estimation de la menace russe face aux USA s'est matérialisée au fil des années aprés l'effondrement de l'URSS. Les USA se sont crus libres d'agir sans risques à l'encontre de la Russie qu'ils imaginaient au mépris de l'Histoire comme un des derniers pays européens à devoir intégrer une espéce d'ectoplasme d'union europeenne sous la houlette économique américaine à l'instar des allemands et des français.
De plus Poutine à réalisé que les américains multipliaient les bases de missiles dans les ex pays satellites de l'ex l'URSS tout en encourageant les ONG bien graissées financiérement à saper la souveraineté de ce pays.Soros dans cette mouvance cherchait destabiliser le rouble .Il a du y renoncer sous la menace.
La réaction de Poutine fut brutale mais légitime. Son intervention en Syrie visait avant tout à ne pas perdre sa base militaire lde Karkousk au risque de son affaiblissement continu et de sa perte dinfluence dans la région .
Son intervention en Ukraine rentre également dans le cadre de son refus de vassalisation mettant un coup d'arret à la tentative d'encerclement de l'Ouest.
La Russie de Poutine n'entend pas disparaitre de l'échiquier politique mondiale au profit des américains .
Tactiquement elle s'y oppose avec intelligence et patience pour se reconstituer en évitant des conflits trop directs où pour le moment elle n'a rien à y gagner.
Quant à l'économie, la roue tourne dans un monde en crise et rien ne dit qu'au bout du compte le joueur d'échecs n'arrivera pas à tirer son épingle du jeu.au moins par un "pat"
Cher monsieur Benillouche,
RépondreSupprimerJe suis évidemment d'accord avec ce qu'écrit bliahphilippe.
J'ajouterai qu'on ne peut rien comprendre à la politique de Poutine en Extrême-Orient, ni à sa popularité en Russie, si on ne se souvient pas que dès les débuts de son accession au pouvoir, il a dû affronter une guerre terroriste dans le Caucase où les islamistes prétendaient instaurer une "République islamiste" sous couvert de guerre d'indépendance. Or la Russie qui est le pays le plus vaste du monde, comprend 20 millions de musulmans répartis sur son territoire dont les régions les plus riches mais les plus dépeuplées, jouxtent la Chine qui présente, elle, un trop-plein démographique.
Valeurs Actuelles a récemment donné la parole à Héléna Perroud qui présente Poutine ainsi, à l'occasion de la parution de son ouvrage : "Un Russe nommé Poutine" - Éditions du Rocher - :
"...La plus grande réussite de Poutine aura peut-être été de redonner à ses compatriotes confiance en eux-mêmes et leur faire prendre conscience de leur identité propre, à un moment où les équilibres géopolitiques changent. Ni tout à fait l'Europe ni tout à fait l'Asie, mais une place stratégique au milieu du continent eurasien, à l'image de l'aigle bicéphale du blason de la Russie, qui regarde vers l'ouest et vers l'est.Et qui ne baisse pas la tête."
Très cordialement.