RÉFLEXIONS APRÈS L’ÉLIMINATION DE SOLEIMANI
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Presse iranienne du 6 janvier 2020 |
Après l’élimination du général
Soleimani, la vexation de l’Iran est à son paroxysme. Les dirigeants peuvent
prendre des allures détachées mais il leur faut se justifier auprès de leur
opinion publique qui ne comprend pas les représailles limitées et presque
indolores contre les États-Unis. En fait les Iraniens découvrent avec stupeur
la fragilité de leur armée et surtout celle des Gardiens de la révolution. Alors pour raviver
la flamme nationaliste, ils ont été contraints de se glorifier en revendiquant,
après des dizaines d’années, la responsabilité du bombardement de la caserne
des Marines américains en octobre 1983 qui avait fait 241 morts.
Presse iranienne de janvier 2020 |
Les États-Unis
n’avaient alors aucun doute que, si le Hezbollah était l’exécutant des basses
œuvres, l’Iran avait commandité l’attaque. Les Iraniens avaient toujours laissé
leurs affidés, le Hezbollah en particulier, s’afficher en première ligne pour
ne pas subir de représailles. On se pose donc naturellement des questions sur les
raisons qui ont poussé aujourd’hui les Iraniens à revendiquer officiellement l’attentat.
Bien qu’il ait été persuadé des
véritables commanditaires, le président Reagan n’avait pas voulu répondre à
cette attaque pour ne pas envenimer une situation qui, à l’époque, pouvait
déboucher sur une guerre avec la Russie, voire une guerre nucléaire. Washington
avait donc préféré détourner le regard dans une sorte d’accord tacite. En
échange du silence masquant les parrains de l’attaque, les États-Unis avaient renoncé à accuser les mollahs et à prendre des mesures contre eux. Ce consensus qui
existait depuis de longues années a été brisé cette semaine par Donald Trump, à
la suite de la mort de Soleimani et de son lieutenant Abu Mahdi al-Muhandis. Le président américain n'hésitait plus à désigner implicitement l’ennemi.
En rappelant aujourd’hui l’attentat
de 1983 dans leurs médias, les Iraniens veulent montrer qu’ils ont toujours les moyens
d’accroitre la violence contre les intérêts américains malgré leur incapacité à
répondre de manière adéquate à la mort du numéro-2 du régime. Il s'agit d'une forme de manace voilée. Ils ne peuvent plus
cacher que les forces conventionnelles iraniennes datent du temps du Shah et que
l’armée régulière est en état de délabrement avancé en ce qui conserve son
équipement vétuste.
Certes, elle dispose d’hommes en surnombre mais, à l’époque
des guerres de haute technologie, ils ne font que de la figuration pour remonter
le moral de la population. Seuls les Gardiens échappent à cet état des lieux négatif
parce qu’ils sont un État dans l’État, disposant de budgets importants; mais les
sanctions américaines limitent leur approvisionnement. A la rigueur, quelques vedettes
rapides peuvent
cibler la marine américaine dans le golfe Persique mais ils sont incapables de déployer
des grandes forces terrestres en Irak. En fait, le roi est nu.
On
a donné une certaine aura à Qassem Soleimani alors qu’il n’était pas le chef d’État-major
de l’armée régulière mais le commandant de la Force Qods, une structure
militaire parallèle chargée des basses œuvres à l’étranger, relativement
petite, constituée de 3.000 à 15.000 mercenaires chiites. Il était en fait assimilé à un chef de bande, certes efficace, d’une organisation de la taille
du Hezbollah mais capable d’une forte nuisance à l’étranger. Cependant, son action n’a
jamais pu masquer la faiblesse militaire de l’Iran. Capable de petits coups, il
n’avait pas l’envergure d’un chef militaire sur un véritable champ de bataille.
Les
Gardiens savent qu’ils ne sont pas en état d’affronter les États-Unis autrement
que dans le cadre d’une guerre asymétrique faite d’enlèvements, d’attaques
d'ambassades, de détournements et d’attentats à la bombe, généralement
effectués par des mandataires. Les dégâts et les morts sont certes considérables.
Mais en maintenant la fiction que la République islamique n'est pas directement
responsable de ces actions, elle relativise sa puissance. Les actions subies en
Syrie et en Irak contre les bases iraniennes, les aérodromes, et autres
infrastructures ont fait perdre à l’Iran son image redoutable, la ramenant à
celui de monstre pratiquement impuissant. En effet, il reste passif face aux
frappes militaires directes en Syrie et en Irak ce qui fait dire aux Américains
que l’Iran est resté un régime obscurantiste dont les principales exportations
sont le pétrole, la terreur et... les pistaches.
En
éliminant l’un de ses chefs, Trump a rendu, enfin, l'Iran responsable de ses
actes de terrorisme et mis en évidence sa vraie nature. Il était temps pour lui
de mettre les Américains à l'abri de nouvelles agressions iraniennes. Certains observateurs ont comparé
l’élimination de Soleimani à celle de Ben Laden ou du chef de Daesh
Al-Baghdadi, mais la comparaison est erronée car face à deux chefs de bande, Soleimani
était représentant officiel d’un État qui devait rendre des comptes.
On
se perd en conjectures sur l’indulgence des Américains face au Iraniens.
Plusieurs experts politiques accusent Barack Obama d’avoir distribué des
centaines de milliards de dollars à Soleimani sous prétexte qu’il combattait
Daesh. Cette manne a en fait servi à l’Iran pour lancer son programme d’armes
nucléaires à grande échelle. Donald Trump a ensuite été critiqué pour
avoir abandonné l'accord avec l'Iran. Mais rien n’a été fait pour protéger les
Américains du terrorisme iranien. Les responsables américains ont toujours
traité l'Iran de manière singulière par rapport à tout autre pays, alors que
des milliers de vies américaines étaient en jeu.
Otages américfains à Téhéran |
Les
Américains ont toujours été indulgents vis-à-vis de l’Iran en fermant les yeux
sur certaines réalités. Lorsqu’en 1979, des étudiants iraniens avaient pris le
contrôle de l'ambassade des États-Unis à Téhéran, l'intelligentsia occidentale avait laissé faire comme s’il fallait permettre à ces jeunes de prendre leur revanche
sur ce qu’ils ont subi durant les années du Shah. Pourtant, Khomeiny lui-même
était aux commandes car rien ne pouvait se faire sans son approbation.
Cependant,
Téhéran n’a jamais assumé la responsabilité directe de ses actes, pour
neutraliser toute action éventuelle de Washington. De même, Ronald Reagan n’avait pas riposté après la libération des otages américains ce qui a permis aux
Iraniens, par Hezbollah interposé, de bombarder l'ambassade américaine au Liban,
en avril 1983 et six mois plus tard la caserne des
Marines. Muhandis, qui vient d’être abattu avec Soleimani, avait
planifié l'attaque de l’ambassade américaine au Koweït.
Pour
libérer les terroristes iraniens arrêtés par les autorités koweïtiennes, le
Hezbollah s'est lancé dans une campagne d'assassinats et d'enlèvements, prenant
des dizaines d'otages américains à Beyrouth, dont le président de l'Université
américaine de Beyrouth, David Dodge. Le 19 juillet 1982, il avait été enlevé du
campus de l'AUB par des extrémistes musulmans chiites pro-iraniens, transféré à
la prison Evin près de Téhéran et détenu jusqu'à sa libération exactement un an
plus tard. L'enlèvement a été jugé important car il impliquait directement
l'Iran dans les activités de prise d'otages des factions chiites au Liban.
Dodge a été l'un des premiers Américains kidnappés. Certains otages ont été
tués et d'autres libérés après de nombreuses années, dont Terry A. Anderson.
Malcolm H. Kerr, qui a succédé à Dodge en tant que président de l'AUB, a été
abattu devant son bureau de l'AUB en janvier 1984.
Malcolm H. Kerr |
Les
responsables américains ont toujours refusé de tenir l'Iran pour responsable parce qu’ils cherchaient naïvement à se rapprocher des chiites. En 1996, le
mandataire de l'Iran en Arabie saoudite, le Hezbollah al-Hijaz, a bombardé les
tours Khobar, tuant 19 membres de l'US Air Force. Clinton, qui espérait
lui-aussi se rapprocher de Téhéran dirigé alors par le président réformiste
Mohammad Khatami, a poussé les États-Unis à prétendre que l'Iran n'était pas
responsable.
Entre
2003 et 2011, l'Iran et ses alliés chiites ont été responsables de la mort de
plus de 600 militaires américains en Irak. Pourtant, George W. Bush a
volontairement manqué plusieurs occasions de tuer Soleimani, pour éviter
d’ouvrir un troisième front contre les terroristes iraniens. Obama avait aussi
refusé d’assassiner Soleimani, qui était alors la clé de l’accord sur le
nucléaire iranien; le président américain voulait en faire le couronnement de
son mandat en politique étrangère. En fait, ses proches ont révélé qu’il admirait
Soleimani parce que c’était un homme dur qui savait faire avancer les
choses. Il pouvait aider les Américains à stabiliser la région puis plus
tard à combattre Daesh. À coup de milliards de dollars, dont plus de 1,7
milliard en espèces versés aux Gardiens, les Américains ont permis à l’Iran des
mollahs de devenir une puissance régionale.
Mais l’Iran vient de décider de changer les règles en apparaissant ouvertement en première ligne et en revendiquant
ses crimes pour affirmer qu’il maintient son intention de se venger. Il ne
cherche plus à se cacher derrière des nervis. Il s'agit d'une menace claire puisque le pacte du
silence a été rompu. Les Iraniens prendront donc le temps qu'il faut pour des représailles sanglantes alors qu'on les accuse aujourd’hui de laxisme ou
de faiblesse. Une bête blessée est toujours dangereuse. Les mollahs n'ont pas dit leur dernier mot. En affichant aujourd'hui les images dramatiques de 1983, ils veulent démontrer que tout est encore possible.
Oui, sauf qu’à present, et pour probablement encore 5 ans, ils auront à faire à Trump. Qu’ils ont largement sous estimé. Trump, à la difference de ses prédécesseurs (meme Républicains) est tres nationaliste. C’est en outre, quelqu’un d’imprévisible. Je doute fort que l’Iran se lance dans un attentat spectaculaire comme celui de 1983 qu’il revendique aujourd’hui. Trump, lui, n'hésiterait pas à bombarder massivement l’Iran. C’est le message subliminal qu’il a voulu faire passer en tuant Soleimani. Et l’Iran l’a bien compris, car il n’a pas sur-encheri.
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