RÉSIGNATION DES ÉLECTEURS ISRAÉLIENS
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Les
Israéliens semblent tétanisés par l’impasse politique qui perdure depuis près
d’un an. Ils sont résignés car, par deux fois, ils ont voté mais leurs voix n’ont
pas désigné de manière claire une coalition. D’une part, les optimistes sont satisfaits de
la situation politique instable actuelle et continuent, malgré les aléas judiciaires
du Netanyahou, de soutenir les dirigeants du Likoud. D’autre part, les
pessimistes n’ont pas découvert de paquet cadeau à la suite de ces élections et, s’ils n’ont aucune inquiétude quant à la situation sécuritaire, ils craignent
que les chiffres économiques soient voilés par un écran de fumée.
Ils
ont effectivement aucune raison de s’inquiéter. La sécurité du pays est entre
les mains d’un expert, Aviv Kohavi, qui sait de quoi il en revient puisqu’il a été à la tête
du commandement de la Cisjordanie, des Renseignements militaires et surtout de la Région
Nord d’où peut venir un éventuel danger. La Knesset ne fonctionne pas donc l’absence
de débats évite les conflits politiques, conduit à un consensus et empêche
toute aventure politique. Le nouveau budget n’étant pas encore voté, celui de
l’an dernier sert de référence. Seul bémol, certains ministères vont devoir se
serrer la ceinture pour maintenir la ligne de leur programme.
Face
à la passivité politique, le président de la Knesset, Yuli Edelstein, a fait
une déclaration alarmiste pour tenter de convaincre les deux clans de résoudre
l’impasse politique : «Tout le monde comprend qu'Israël est au cœur
d'un état d'urgence gouvernementale qui pourrait conduire à un effondrement
social et économique. Il y a de quoi être alarmé». Mais il savait que peu
de gens croiraient à un quelconque effondrement.
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Yuli Edelstein |
L’économie
israélienne est aujourd’hui la plus développée, la plus puissante et la plus
dynamique de la région. On le doit plus aux dirigeants des sociétés
d’innovation et des startups, imperméables aux aléas d’un
gouvernement qui se permet de mettre à son actif les réussites des industries
de technologie. Le PIB d’Israël équivaut à celui cumulé de l’Égypte, du Liban,
de la Jordanie, de la Palestine et de la Syrie. Le shekel n’a jamais été aussi
fort vis-à-vis du dollar et de l’euro, dénotant ainsi la vigueur de l’économie
israélienne. En décembre 2018, un euro était côté à 4,30 shekels, 4.13 en mars
2019, 4.08 en juin 2019, et 3,82 depuis octobre 2019.
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Taux de chômage |
Seul
pays membre de l’OCDE de la région avec un PIB par tête de l’ordre de 42.000$
en 2019, Israël peut se prévaloir d’excellents fondamentaux économiques depuis
le début de la décennie. Sur les trois derniers exercices, la croissance du PIB
a toujours été comprise entre 3 et 4%. Le taux de chômage réduit à 3.4% se traduit
par une situation de quasi plein emploi. Nous sommes loin des 10,5% de l’année
2000. Le taux d’inflation est de 0,8%.
L’excédent des comptes extérieurs s’est d’autre part établi à un niveau
tel que le montant des avoirs extérieurs de la Banque Centrale s’élevait à 115 milliards$,
soit 31,3% du PIB, fin décembre 2018.
Le
seul bémol à soulever concerne le déficit public qui est passé de 1,9% du PIB
en 2017 à 3,3% en 2018 ; l’État dépense plus qu’il ne perçoit d’impôts. Le
montant de la dette publique a aussi progressé sensiblement pour atteindre
61,2% du PIB contre 60,5% en 2017.
Mais
l’essor de l’économie cache en fait l’envers de la médaille caractérisé par une
vie chère. Selon le Centre d’information et de recherche de la Knesset, le coût
de la vie en Israël est 25 % plus élevé que dans les pays de l’OCDE en ce qui
concerne l’alimentation et presque 70 % plus élevé pour les produits laitiers
et les œufs. En ce qui concerne l’ameublement et les appareils ménagers, les
prix y sont supérieurs de 34 % à la moyenne de l’OCDE. Les coûts de transport
sont 30 % plus élevés, les restaurants et les hôtels sont 29 % plus chers que
dans les pays de l’OCDE, et les Israéliens dépensent 20 % de plus pour la santé
et 18 % de plus pour la culture et les activités de divertissement.
Israël
impose des taxes élevées sur les véhicules neufs entraînant que le prix d’une
voiture neuve est le cinquième plus élevé au monde, pratiquement le double d’en
France. Au cours de la dernière décennie, le prix du logement a doublé alors
qu’il représente 34,3 % des dépenses totales des ménages, contre 15,3 % dans
l’Union européenne. Les Israéliens font face à ce coût élevé de la vie en
contractant des emprunts.
Ceux
qui sont les plus pénalisés sont les classes moyennes et défavorisées. Elles s’enorgueillissent de la bonne santé de l’économie alors qu’elles sont exclues
du partage du fromage. Elles ont l’air de se satisfaire de la politique ultra
libérale du gouvernement qui a considérablement réduit les budgets
alloués aux services sociaux et aux allocations sociales avec pour conséquence
le report de la gratuité de l’éducation de la petite enfance jusqu’à l’âge de 3
ans. Parce qu’on n’investit pas en faveur des tout-petits, on augmente les
écarts sociaux, éducatifs et économiques. Seuls 120.000 des 500.000 de moins de
trois ans en Israël bénéficient de crèches supervisées et subventionnées par
l’État. Et pourtant il suffit de 3 milliards de shekels par an (750 millions
d’euros) pour améliorer l’avenir d’un demi-million de jeunes enfants.
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Soupe populaire |
Les
rapports de l’OCDE montrent que 18 % de toutes les familles et 23 % de tous les
enfants israéliens vivent sous le seuil de pauvreté alors qu’on se gargarise de
la réussite de la haute technologie en Israël qui ne touche que 10% de la
population. Les Israéliens sont fiers de l’argent gagné par les autres. Comme
l’avait dit l’ancien député de Koulanou, Elie Elalouf : «Israël : pile,
c’est la start-up nation, face, c’est la misère» et il sait de quoi il
parle pour avoir consacré sa vie à l’amélioration des conditions des
populations défavorisées. D’ailleurs, écœuré par l’inertie à la Knesset, il ne
s’est pas représenté à la députation après avoir constaté son inefficacité à se
faire entendre et à changer le cours des choses. L’échec économique est aussi latent
en ce qui concerne les pensions de vieillesse et les prestations d’invalidité,
car ceux qui les reçoivent ne parviennent pas à joindre les deux bouts. Enfin,
les disparités de salaires sont insolentes.
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Léviathan |
L’émergence d'Israël comme puissance gazière aurait dû profiter à la population pour
diminuer la pauvreté. L’entrée en production du champ de gaz de Léviathan fin
2019, puis de ceux de Karish et de Tanin les années suivantes, confortera
pourtant la position dominante du pays sur le marché du gaz en Méditerranée
Orientale. Le niveau des réserves prouvées à ce stade permet en effet de
couvrir les besoins d’Israël pour plusieurs décennies et d’en exporter une part
non négligeable comme en attestent les contrats passés avec la Jordanie et
l’Égypte, ainsi que le projet de construction d’un pipeline vers la Grèce via
Chypre. Mais la population n’a pas mesuré concrètement l’effet de cette manne
gazière sur leur propre situation économique car l’on ignore la réelle
destination des bénéfices. Israël aurait dû s’inspirer de la Norvège pour la
distribution des dividendes du gaz au profit de toutes les classes sociales.
Enfin
ceux qui circulent en Israël peuvent constater que le gouvernement a privilégié
le transport individuel au transport de masse, ce qui se traduit par un
engorgement du réseau routier et une incapacité à améliorer l’empreinte
environnementale du transport. Les citoyens passent une bonne partie de leur
journée dans les transports, plus de deux heures par jour. En privilégiant la
voiture personnelle on accroît aussi le nombre d’accidents qui atteint des
sommets en Israël. Chaque semaine on assiste à la litanie des morts de la
route.
Les
religieux orthodoxes ont un pouvoir démesuré. Il suffit de voir l’accueil qui a
été réservé au Rebbe de Satmar, Zalman Teitelbaum, avec routes bloquées et
visites officielles, alors qu’on expulse et on interdit l'entrée d'Israël aux
adeptes du BDS. Le chef des Juifs, qui nie ouvertement l'existence d’Israël,
circule librement alors que son courant hassidique estime que le peuple juif
n'a pas droit à un État avant la venue du Messie. Mais la coalition dépend des
orthodoxes à qui on permet tout.
Ceux
qui sont systématiquement qualifiés de «gauchistes», parce qu’ils
militent pour l’amélioration économique d’une classe abandonnée de la
population, veulent pointer du doigt le fait que le succès économique d’Israël,
en grande partie dû à son secteur de haute technologie, ne bénéficie qu’à une
minorité. Cette réussite, malgré un PIB par habitant élevé, est entravé par le
coût de la vie, les inégalités et la faiblesse des investissements publics dans
la protection sociale et les services publics. C’est ce qui distingue le Likoud
du Centre et de la Gauche sachant que sur le plan sécuritaire il y a consensus
entre les deux clans.
Le paradoxe est tel que l’électorat défavorisé vote en
majorité pour Netanyahou car c’est le seul à savoir «casser de l’Arabe» même
s’il les abandonne sur le bord du chemin. Cependant l’honneur est
sauf car nus mais forts, les pauvres sont fiers de la richesse des autres et ils s’en vantent. Aucun intérêt à les aider s'ils ont satisfaits de leur sort.
2 commentaires:
Cher monsieur Benillouche,
A votre liste des prix comparatifs en Israël avec ceux de l'OCDE, ne manque que le prix des gilets jaunes. Serait-il devenu prohibitif ? Car vous lisant, on ne peut que se demander où sont passés tous ces "Gilets jaunes" israéliens qui manifestaient dans les rues de Tel-Aviv et de Jérusalem en décembre 2018 ? Ont-ils été découragés par la dépense ou, entre temps, se trouveraient-ils aussi "satisfaits de leur sort" ?
Très cordialement.
Il manque à cette analyse la composition de la société israélienne .
Quel pays a-t-il 20 % de sa population arabe et musulmane ?Quel pays a-t-il plus de 15 % de sa population réfractaire à la conscription et hostile au travail posté , lui préférant l’étude intensive et interminable des textes religieux ?
L’inégalité ne tient pas seulement à la supposée incompétence des dirigeants ni à leur insensibilité à la pauvreté d’une partie des citoyens .
. 3,4 % de taux de chômage ( La France 8,6% ) et un PIB supérieur à celui de la France. Personne ne pouvait faire mieux et tous feront moins bien !
La haine a l’égard de Netanyahu ne saurait se justifier par des raisons économiques : « It’s économics « disait CLINTON.
Les pauvres sont fiers de la richesse des entrepreneurs ! Vous savez pourquoi ? Ils sont plus intelligents que ceux qui dissertent sur eux ! Ils savent qu’une société libérale est forcément injuste mais qu’elle est la seule façon de parvenir à la richesse et qu’il faut attendre les effets du « ruissellement » pour que chacun en ait sa part .
André Mamou Tribune Juive
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