LE MYSTÈRE DES LACUNES DU SYSTÈME DE DÉFENSE AÉRIENNE SYRIENNE
Par
Jacques BENILLOUCHE
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On
commence à en savoir un peu plus sur les défaillances de la défense aérienne
syrienne lors des frappes israéliennes massives de novembre 2019. En effet, cette défense n'empêche pas l’aviation
israélienne de régner en toute liberté au-dessus du ciel libanais, syrien et irakien.
Les services de renseignements israéliens et l’opposition syrienne sont arrivés
à la même conclusion. Pendant les attaques, les systèmes syriens ont montré des
défaillances graves. L’explication est double ; soit le système ne répond
pas aux spécifications prévues ; soit il aurait subi un dérèglement
volontaire, d’autres diraient un sabotage. De là à affirmer qu’ils ont subi une
cyberattaque, il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons pas.
L’armée syrienne a reconnu que lors des frappes dans et
autour de Damas «un événement inhabituel s’est produit. Une
véritable catastrophe a touché les missiles du système de défense aérienne de
Syrie». Une «folie» inexplicable s’est emparée des missiles lancés
contre les cibles israéliennes. Certains ont explosé en vol après avoir
parcouru 2 à 5 kilomètres. D’autres ont subi un dérèglement qui les a fait
chuter immédiatement au sol entraînant d’ailleurs des victimes civiles à Damas.
Dans
un premier temps la responsabilité avait été attribuée à Israël et à son
système de brouillage massif contre les radars et les systèmes C3I syriens (commandement,
contrôle, communication, intelligence) au moment où intervenaient les frappes
israéliennes. En effet, tout à coup, les communications sont coupées
brutalement, l’ordonnancement des tirs est neutralisé et les Syriens ne sont plus
avertis des tirs hostiles parce que les radars ont été bloqués avec aucune
possibilité de détection. Le système devient muet.
Les
services techniques russes avaient effectivement détecté le long de la route
menant à l'aéroport international des signaux de brouillage qui venaient de
bases syriennes dédiées à la guerre électronique situées, à Jebel al-Manaa près
d'Al Kiswah, Tel-Sarukhiya à l'ouest de Damas et Tell Sultan près d'al Sayyidah
Zainab. Mais ces sites utilisaient des systèmes de brouillage de fabrication
iranienne, conçus pour bloquer les missiles de croisière et les missiles guidés
par GPS. Ces systèmes semblent être à l’origine des graves dysfonctionnements
lors du lancement des missiles de défense aérienne. Soit le système a été «bricolé»
par un élément extérieur, soit il n’était techniquement pas au point.
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Frappes reconnues par Tsahal |
L’inquiétude
est grande au ministère syrien de la Défense qui se souvient des dégâts causés
par le virus Stuxnet qui avait contaminé et détruit toutes les centrifugeuses
iraniennes. Comme les services syriens sont dans le brouillard absolu, toutes
les hypothèses, même les plus farfelues, sont avancées pour couvrir l’incapacité
du système. Le ministère syrien a donc créé un comité technique tripartite
comprenant des spécialistes de la guerre électronique, de la défense aérienne
et du CERS (Centre syrien d'études et de recherches scientifiques). Il a exigé que
les Russes soient invités à coopérer avec les spécialistes iraniens pour
déterminer avec précision les causes du dysfonctionnement. Il estime urgent de régler
définitivement le problème.
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Pantsir |
L’opposition
syrienne a révélé que l’attaque israélienne avait détruit des systèmes de missiles
de fabrication russe déployés pour défendre Damas et le sud de la capitale. Il
s’agit des batteries de missiles sol-air de pointe de fabrication russe Pantsir
S1 et Buk M2, connues en Russie sous le nom de «Cruise Missile Hunters». On parle même d'un nouveau matériel. Pourtant les autorités israéliennes ont
précisé que la plupart des cibles étaient uniquement des objectifs iraniens, peut-être
pour éviter tout conflit avec Poutine.
C’est
la quatrième fois qu’Israël s’en prend aux lanceurs du système de missile
Pantsir de la défense aérienne syrienne. Les Syriens justifient leur passivité
en précisant que les attaques avaient été organisées pendant que les systèmes
rechargeaient des missiles sur leurs lanceurs ce qui a facilité leur
destruction par l’aviation israélienne. Les experts militaires apprécieront l'explication.
Mais
il faut bien trouver un justificatif à ces ratés. Ou bien les systèmes sont techniquement
défaillants, ou bien les opérateurs syriens sont insuffisamment formés. En
Israël on ne commente pas les systèmes éventuels de brouillage qu'il utilise. Il s’est borné
à confirmer que les attaques avaient eu pour but de détruire des missiles
sol-air de l'armée syrienne, ainsi que des objectifs militaires appartenant à
la force iranienne El Qods, sans autre précision de procédure. Il n’est pas
dans les habitudes de Tsahal de dévoiler ses méthodes.
Une
autre thèse a été lancée pour expliquer l'échec des systèmes de défense
aérienne fabriqués en Russie spécialement pour la Syrie. Les Russes les
auraient volontairement «neutralisés», une excuse peu plausible pour
faire croire à la volonté de Poutine de ne pas envenimer ses rapports avec Netanyahou.
Les Syriens prétendent que les systèmes d'armes vendus par la Russie étaient, dès
l’origine, défaillants car certains éléments internes avaient été modifiés pour
dégrader leurs performances. Modifiés par qui ? Les spécialistes du CERS prétendent
que les caractéristiques de performance constatées sont totalement différentes par
rapport aux données spécifiées dans les manuels du système.
Ce
leur côté, les Russes sont formels et attribuent les mauvais fonctionnements du
matériel à l’incompétence des équipes syriennes. Ils sont pourtant responsables
de leur formation. Alors ils laissent entendre que le dysfonctionnement
technique n’est pas dû à leurs systèmes mais à un éventuel «bricolage» par
des sources inconnues. On comprend leur volonté de reporter sur d’autres la mauvaise
qualité de leur matériel.
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Base russe de Hmeimim |
D’ailleurs,
le comité technique tripartite comprenant des officiers syriens de haut rang,
qui a analysé les matériels dans la base aérienne russe de Hmeimim, a démontré
que les systèmes n'avaient pas réussi à faire face au brouillage qui leur était
adressé, ainsi qu'à leurs tentatives de les contourner, alors qu’ils ont été
conçus pour le faire conformément aux manuels du système. Les Russes sont eux-mêmes
surpris de ces défaillances alors que les systèmes chez eux ont passé tous les
tests. Mais des experts militaires russes indépendants ont effectivement affirmé
dans les médias que le système Pantsir n'avait jamais réellement prouvé son
efficacité dans l'emploi opérationnel en Syrie.
Une
dernière explication vient de tomber. Les nouveaux systèmes de défense
antiaérienne S-500 Prometeï, dont la production a débuté en juillet, ont été
testés en Syrie, selon le journal russe Izvestia, qui indique que les essais
ont été jugés concluants. Le ministère de la Défense dément la tenue d'essais
sur le sol syrien. En fait il semble bien que les essais avaient permis de
révéler «certains problèmes» dans le fonctionnement du matériel
militaire.
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S-500 |
La
production des S-500 a été lancée en 2019 mais les systèmes sont à ce jour
réservés uniquement au marché russe. Conçu par le consortium Almaz-Anteï, le
S-500 a une portée de 600 kilomètres et est capable de détecter et frapper
simultanément jusqu'à 10 cibles supersoniques. Les concepteurs indiquent que
ses capacités devraient surpasser les systèmes S-400 actuellement en service
dans l'armée russe ainsi que ceux des systèmes de missiles américains Patriot
Advanced Capability. Mais les Russes voulaient procéder à des tests en réel sur le territoire syrien.
Les
tests sont actuellement terminés et leurs résultats ont été jugés concluants
mais selon le général Aïtetch Bijev, ancien vice-commandant de l'armée de l'air
russe en charge de la DCA, le matériel militaire doit «faire ses preuves
dans des conditions techniques et climatiques extrêmes, et résister à l’usure».
Il semble bien que ce système n’ait pas résisté au climat chaud du
Moyen-Orient : «Ce n’est que ce mode d’exploitation qui permet de
révéler les défauts. Toutes les défaillances et tous les problèmes sont par la
suite recensés, enregistrés et des travaux visant à y remédier sont organisés».
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Général Aïtetch Bijev, |
La Syrie a été choisie en raison de son climat chaud avec beaucoup de
poussière. Le ministère russe de la Défense a démenti la tenue d'essais sur le
sol syrien : «Le S-500 est destiné à viser des cibles balistiques et
aérodynamiques à longue portée. Il n’y a pas eu le moindre besoin de mener des
tests et encore moins d'avoir recours aux systèmes de missiles S-500 en Syrie».
Pourtant cela aurait pu être une bonne explication pour justifier les
lacunes de la défense aérienne syrienne.
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