CRISE ENTRE LES
ÉTATS-UNIS ET LA TURQUIE AU SUJET DES S-400
Par Jacques
BENILLOUCHE
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S-400 |
Les Américains ont menacé les Turcs s’ils persistaient
dans leur intention d’acquérir le système russe de lancement de missiles de
défense aérienne S-400. La crise est ouverte et peut mener à une confrontation
politique et économique. Le déploiement des S-400 vient en opposition avec
l’appartenance de la Turquie au camp occidental, à l'Otan en particulier. Le président Recep Tayyip Erdogan détient seul la décision finale.
Viktor Kladov |
Moscou insiste sur le fait que la vente de son système de défense
antimissiles S-400 à la Turquie constitue «un commerce équitable». Pour
Viktor Kladov, directeur de la coopération internationale de la société
Rostec : «C'est un système que le gouvernement turc veut, et nous
voulons le vendre». Il semble que la Russie ait bien manœuvré car il
s’agissait au départ d’une tactique de négociation d’Ankara dans le cadre de sa
candidature au système américain Patriot. Comme les pourparlers entre la
Turquie et les États-Unis se trouvaient bloqués, Moscou a modifié sa
proposition pour la rendre attrayante sur les plans économique et politique
afin de renforcer son partenariat avec Ankara et d’élargir la fracture
américano-turque.
Serguey Chemezov |
En décembre 2017, le PDG de Rostec, Sergey Chemezov, a fixé le prix de
vente à 2,5 milliards de dollars avec une livraison prévue pour l’automne 2019.
Chemezov a insisté pour préciser que le S-400 «n’est pas un système offensif
mais défensif. Nous pouvons le vendre aux Américains s'ils veulent l'acheter». Les
experts militaires russes estiment que le S-400 donnerait à la Turquie son
premier système de missile anti-aérien à longue portée alors que pour le moment
la Turquie n’utilise que les systèmes américains milieu de gamme MIM-14 et
MIM-23 et le Rapier britannique à courte portée. Les termes du contrat S-400
impliquent une coopération technologique accrue et la Russie se dit prête à
localiser en Turquie la production de certains éléments du système.
F-35 |
Washington a averti Ankara que l’achat du S-400 remettrait en cause la
participation de la Turquie au programme d’avions de combat F-35. Erdogan reste
ferme sur son projet et envisage de le compléter par l’achat du système plus
avancé S-500 : «Il n'y a pas de retour en arrière, car un geste aussi
immoral serait inconvenant. Si nous concluons un accord, nous le
respecterons». Les États-Unis envisagent en plus de renoncer à vendre le
système Patriot à la Turquie.
Le général Curtis Scaparrotti, commandant
suprême des forces alliées de l'OTAN et commandant des forces américaines en
Europe, a déclaré à la Commission des forces armées du Sénat à Washington que
la vente d'avions à réaction F-35 à la Turquie devrait être arrêtée avec
l'accord S-400. En effet les S-400 ne sont pas interopérables avec les
systèmes de l'OTAN et poseraient un problème pour la sécurité du F-35. Le vice-président
Mike Pence a également lancé un avertissement sérieux que les États-Unis ne «resteraient
pas les bras croisés pendant que les alliés de l'OTAN achetaient des armes à
nos adversaires».
Les Turcs affirment que le S-400 est l’un des meilleurs systèmes de défense
antimissile disponibles à ce jour, et que Washington ne peut pas empêcher
Ankara de satisfaire à ses exigences en matière de sécurité. Ils soulignent que l'accord avec la Russie impliquait une production conjointe et un
transfert de technologie, ce que Washington refuse à fournir. Mais les Russes sont en fait réticents à transférer leur savoir car ils craignent que l'OTAN obtienne l'accès à la technologie S-400 via la Turquie.
Mais en fait le transfert de technologie est une fable car d’abord le
contrat ne le prévoit pas et qu’ensuite le système fonctionne comme une «boîte
fermée». La Russie a toujours été prudente dans le domaine de la
technologie de défense.
Par ailleurs les experts pensent que le S-400 doit être évalué en
tant que système de défense aérienne contre les aéronefs et non en tant que
système de défense antimissile. Il est peu probable que Washington autorise le déploiement du F-35 en
Turquie alors que les capacités avancées des S-400 comprennent la surveillance et
la collecte d'informations sur ce jet à la pointe de la technologie.
D’autres analystes militaires pensent qu’Erdogan utilise la question des S-400 comme
argument pour gagner les élections locales qui ont lieu dans une semaine. Les
experts turcs pensent que Moscou considérait la Turquie comme un partenaire de
complaisance plutôt que comme un partenaire stratégique potentiel. La Russie a un
objectif à long terme consistant à maintenir la Turquie dans l'alliance
occidentale pour en fait détruire cette alliance de l’intérieur.
Il est difficile pour la Turquie de renoncer au projet du F-35 car il rapporterait
aux entreprises turques près de 12 milliards de dollars au moment où l’économie
vacille. On ne voit pas par quels avions les Turcs pourraient les remplacer
pour assurer leur sécurité.
Erdogan devra trancher de quel dépendance il souhaite, soit celle à l’égard
des États-Unis soit celle à l’égard de la Russie alors qu’il est déjà en
relation conflictuelle au sujet du conflit syrien.
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