Israël élections avril 2019
LE CENTRE POLITIQUE A-T-IL UN AVENIR EN ISRAËL ?
LE CENTRE POLITIQUE A-T-IL UN AVENIR EN ISRAËL ?
Par Jacques
BENILLOUCHE
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Les partis du Centre ont toujours existé en Israël avec plus ou moins de
réussite mais leur durée a souvent été éphémère, souvent parce qu’ils ont été
créés sur une brutale désillusion et qu’ils n’avaient pas une assise militante au
sein de la population ni une implantation locale significative. Or un parti
politique est constitué de militants engagés, de conseillers municipaux, de
syndicalistes, de maires et même de députés qui maillent les régions. Même si
les dirigeants au sommet sont des personnalités remarquables et remarquées, des
héros du monde militaire ou des dirigeants d’entreprises ayant réussi, ils ne
peuvent pas réussir seuls sans être entourés de professionnels de la politique
et de militants convaincus qui assurent la pérennité de l’entité politique.
Yigal Yadin |
Israël a connu plusieurs expériences centristes. Sans remonter très loin, le
Mouvement démocratique pour le changement, désigné par son acronyme en hébreu
Dash, avait été très populaire avec une durée de vie très courte. Formé le
2 novembre 1976 par de nombreux membres de la société civile connus, il a cessé
d'exister en moins de deux ans malgré une percée spectaculaire dans la vie
politique.
Issus de la fusion de plusieurs mouvements libéraux (dont le
Shinouï), avec la participation de plusieurs figures publiques telles que Yigal
Yadin, ancien chef d'État-Major adjoint, Amnon Rubinstein, Shmuel Tamir, Meir Amit, Meir Zorea ainsi que
d'autres dirigeants économiques et académiques et des Arabes israéliens. La
formation du parti résultait de l'insatisfaction croissante vis-à-vis des
partis dominants Dash avait été pionnier dans l'utilisation des primaires dans
la construction de sa liste électorale pour affirmer son identité démocrate et
empêcher le copinage. Dès son premier test électoral il obtint 15 sièges en se
plaçant derrière le Likoud de Menahem Begin et la Gauche qui avait chuté de 51
à 32 sièges.
Le parti Dash fut invité à rejoindre la coalition en novembre 1977 et obtint
plusieurs portefeuilles ministériels : les ministères des Transports et des
Communications pour Meir Amit, celui de la Justice pour Shmuel Tamir et un
poste de vice-Premier ministre pour Yigaël Yadin. Mais très vite la réussite du
parti raviva les ambitions individuelles et mena à des désaccords internes au
point de faire éclater le parti le 14 septembre 1978.
Lipkin-Shahak avec Shimon Peres |
La deuxième expérience fut menée par le général Amnon Lipkin-Shahak.
Après sa retraite de l'armée, il avait exprimé des opinions partagées par l'opinion et avait
sévèrement critiqué le Premier ministre Benjamin Netanyahou. Il avait appelé à
la création d'un parti centriste qui comprendrait des représentants d'une
grande partie de la société civile : «Le parti travailliste seul ne
sera pas en mesure de parvenir à la paix en raison de l'image de gauche qui y
est attachée, alors qu'un nouveau parti centriste incluant des forces de droite
réussira». Aux élections législatives du 17 mai 1999, le parti du centre
obtint 6 sièges. Lipkin-Shahak fut nommé le 5 août 1999, ministre
du Tourisme et le 11 octobre 2000, ministre des Transports. Mais des
divergences éclatèrent au sein du parti, le 6 mars 2001, forçant la démission
de Lipkin-Shahak de la Knesset mettant fin à cette expérience centriste.
Tommy Lapid |
La troisième expérience fut menée par Tommy Lapid, père du dirigeant
actuel Yaïr Lapid de Yesh Atid. Président
et fondateur du parti libéral et laïque Shinouï de 1999 à 2006, il était
fermement opposé au pouvoir des ultra-orthodoxes juifs sur la politique
israélienne. Aux élections générales de 1999, il remporta 6 sièges à la
Knesset, puis 15 en 2003, ce qui en fit le troisième parti d'Israël, derrière
les travaillistes et le Likoud. Il avait rejoint le gouvernement d'Ariel
Sharon, une occasion pour lui de préparer quelques mesures phares : l'obligation de
service militaire pendant trois ans pour les jeunes orthodoxes, la suppression
des subventions publiques aux religieux, la création d'un mariage civil,
autorisé entre juif et non-juif, et sans accord préalable du rabbin, l'autorisation
de l'importation de produits non-kasher.
Les conflits personnels et idéologiques auront raison du parti. Tommy Lapid
démissionna de son parti lorsqu'en
décembre 2004, Ariel Sharon augmenta les subventions aux institutions orthodoxes
pour avoir le soutien de petits partis religieux. Après avoir été battu en
janvier 2006 aux primaires du parti Shinouï, il démissionna du parti pour
mettre fin à cette expérience centriste. Cette défaite malheureuse servit à Yaïr Lapid pour ne pas organiser de primaires dans son parti.
Dans ces trois expériences, les partis centristes n’ont servi que d’appoints à un parti de droite ou de gauche mais n’ont jamais réussi à
s’imposer comme un parti de gouvernement capable de diriger le pays à la tête
d’une coalition.
Aujourd’hui des activistes, qui s’opposent aux partis actuels, prônent la
création d’un grand parti du Centre s’étendant de la droite à la gauche et sous
la houlette des leaders : Moshé Yaalon, Gabi Ashkenazi, Avi Gabbay, Benny
Gantz, Yaïr Lapid, Tsipi Livni et Ehud Barak. Il est difficile de croire à
cette alliance d’ego. Mais elle a l'avantage de ne pas s’appuyer sur un désaccord idéologique
sécuritaire mais sur les problèmes économiques qui peuvent rassembler un grand
spectre politique. La classe moyenne et les classes défavorisées sont
actuellement abandonnées par ceux qui ne croient qu’en une économie de marché, sans intervention du gouvernement.
Ces leaders, qui ne sont pas suspects de brader la sécurité du pays et qui
connaissent les réalités de Tsahal se
retrouvent sur la nécessité de faire des compromis avec les Palestiniens pour
leur offrir un Etat plutôt que de participer à une annexion de la Cisjordanie.
La notion du Centre n’est pas nouvelle puisqu’elle date déjà de Ben Gourion qui
était à la tête d’un parti de centre gauche, le Mapaï. Mais il est vrai que le
centre n'a pas de contours ni de limités établies. C’est d’ailleurs le cas en France où Macron a balayé les partis de
droite et de gauche pour imposer En Marche. Le problème du Centre est
qu’il est souvent dévoyé par des extrêmes qui dénaturent sa vision politique
initiale.
L’histoire du Centre en Israël, que nous avons abordée succinctement,
prouve que ses échecs répétitifs sont dus à sa personnalisation intense. Les
partis n’ont pas survécu au départ de Yigal Yadin, d’Amnon Lipkin-Shahak et de
Tommy Lapid. De même il est probable que Koulanou de Moshé Kahlon et Hatnuah de
Tsipi Livni disparaîtront de la Knesset, au moins en tant que tels. En
fait les partis centristes succombent souvent au populisme et au culte de la
personnalité. Pourtant ceux qui souhaitent le rassemblement du Centre se justifient parce qu'il n'existe aucune différence idéologique probante entre les clans.
Mais ils doivent constituer un programme politique concret et réaliste car il ne s'agit pas de miser, avec la méthode Coué, sur la fin de l’ère Netanyahou. Ils ne peuvent pas venir au pouvoir sur la seule opposition au premier ministre, en utilisant parfois un slogan paradoxal : «Non à Netanyahou, oui au Likoud».
D'ailleurs, par comparaison, les difficultés actuelles d’Emmanuel Macron s’expliquent par un programme
politique nébuleux, par un entourage politique peu expérimenté, par un encrage local défaillant et par une
politique économique qui oscille entre celle de droite et celle de gauche sans réelles décisions courageuses.
Appelons l'union, union de Tsahal |
Selon un sondage du 28 janvier 2019, le front uni des partis de centre-gauche et
de gauche pourrait vaincre Netanyahou car il est crédité de 40 mandats contre
29 pour le Likoud. Mais il ne s’agit que de prévisions car le problème est de convaincre
l’électeur à long terme. Ce nouveau Centre israélien ne pourra réussir que s’il innove dans
le domaine économique pour réduire le coût de la vie et la pauvreté, que s’il
redistribue les dividendes du gaz et les richesses qui s’accumulent dans le
pays, que s’il supprime les inégalités entre ceux qui font l’armée et ceux qui
ne la font pas, que s’il améliore le système de santé mal classé à l’Ocde, et que s’il unit en une seule entité
les Israéliens quelles que soient leur religion et leur couleur de peau. Vaste programme!
Mise à jour du 29 janvier
Mise à jour du 29 janvier
Première étape d'union : Moshe Ya'alon, dirigeant du parti Telem, et Benny Gantz, dirigeant du Parti de la résilience israélienne, ont décidé de s'unir pour les prochaines élections d'avril.
Cher Jacques Benillouche brillante analyse. Et je vois que nous nous rappelons bien tous les deux des élections de 77 et des déconvenues qui en suivirent. Et pourtant on y croyait, dur comme fer, à la possibilité de faire alors évoluer les choses. A cette alliance parti démocratique de Y. Yadin et Shinouï d'Amnon Rubinstein. A la présence conjointe de personnalités comme Meïr Amit ou encore Stef Wertheimer qui promettait le changement.
RépondreSupprimerEt oui, cette expérience malheureuse ne fait que se répéter. Ad vitaem aeternam.
Très intéressant ! Et très bien documenté !
RépondreSupprimerLa dernière expérience remonte à 18 ans. Je ne sais pas si on peut raisonnablement extrapoler. La gauche s'est effondrée et la droite s'est radicalisée, la configuration n'est donc plus la même si on pense à l'électorat et pas à l'idéologie véhiculée. A mon sens, il y a une place pour ceux qui ne veulent plus voter Avoda et pour ceux de droite mais qui sont effrayés par les dérives du Likoud.
RépondreSupprimerEst-ce que ça se traduira en chiffres? Pour l'instant, ton analyse est juste mais l'électorat est inconstant dans sa majorité.
S'il y a de toute façon une erreur majeure, elle est dans le fait qu'au lieu de tabler sur les vases communicants (à qui je vais pouvoir piquer des mandats), il vaudrait mieux chercher à parler et à convaincre le plus grand parti d'Israël qui est celui des abstentionnistes.