Jean Corcos et Fatiha Dazi-Héni |
J’ai eu le plaisir de recevoir Fatiha
Dazi-Héni pour mon émission du 22 avril 2018. Docteur en Sciences politiques, elle est chercheure, spécialiste des monarchies du Golfe, et elle travaille à l'Institut de recherche Startégique de l'Ecole militaire. Elle a publié aux éditions Tallandier «L’Arabie Saoudite
en 100 questions», un livre qui m’a beaucoup appris sur un
pays où il y a un décalage entre la réalité et les perceptions. Il faut dire qu’elle
y va chaque année depuis vingt ans, et qu’elle l’a vue évoluer petit à petit,
en pressentant les bouleversements que veut précipiter maintenant le jeune
Prince héritier Mohammad Bin Salman, appelé familièrement « MBS ».
Son livre étant certes paru début
2017, il y a des évènements qu’elle ne pouvait pas prévoir. Mais elle décrit
parfaitement le tournant déjà pris par le roi actuel, Salman, et les projets de
transformation de son fils. Vu la richesse du sujet nous avons eu deux
entretiens, le premier en traitant de la société saoudienne et de sa nécessaire
évolution, et pour l’émission suivante, de la politique régionale et des enjeux
stratégiques.
Le Royaume a été créé au début du
siècle dernier à partir d’une mosaïque de tribus qui vont se soumettre à
l’alliance vieille de deux siècles entre le clan des Al-Saoud et celui des Wahhabites,
du nom du prédicateur Abdel Al Wahab. Comment s’est fait le partage du
pouvoir ? Mon invitée a précisé que le wahhabisme est en fait une variante
d’une des écoles juridiques sunnites, l’Hanbalisme, qui est déjà très rigoriste.
L’islamisation des autres tribus a permis d’asseoir peu à peu le pouvoir, mais
deux embryons de Royaume ont été détruits, l’un par les Ottomans, et l’autre
par des dissentions internes.
Lors de la naissance effective de
l’Etat, celui-ci s’est étendu par la force des armes à partir de la région
centrale du Nadjd. Le clan wahhabite qui avait participé à cette conquête par
une milice armée – les Ikhwan, à ne pas confondre avec les Frères
Musulmans – a été maté rapidement suite à une révolte. Fatiha Dazi-Héni voit
dans cette milice une force que l’on pourrait comparer au Daesh. Aujourd’hui les
Al-Saoud ont le pouvoir régalien, mais les principaux postes religieux sont
toujours entre les mains des Al Sheikh, du clan wahhabite,
qui ont en plus le contrôle judiciaire et celui de l’éducation. Cependant, peu
à peu leur pouvoir sur la société se réduit.
Parmi les idées reçues que l’on a
sur l’Arabie Saoudite, il y a celle que tous les habitants sont soumis au
wahhabisme. Or ce n’est pas vrai, et ce livre évoque les régions où un autre
islam est pratiqué : dans le Hijaz autour des villes saintes de La Mecque
et Médine ; dans le Sud, aux confins du Yémen ; mais surtout à l’Est,
dans les zones pétrolifères où vivent entre deux et quatre millions de Chiites.
Est-ce que cela menace l’unité du pays ? Pour mon invitée, la
discrimination envers les minorités concerne plus encore que les Chiites les
Ismaéliens du Sud du pays, ainsi que les Soufis, traités de Rawafid,
ceux qui rejettent le vrai islam.
Manifestation après assassinat de Nimr al Nimr |
Son livre révèle que l’opposition chiite
n’a pas été toujours religieuse, mais plutôt politique car ils ont été au
contact des ouvriers arabes immigrés travaillant pour l’ARAMCO, et qui ont
diffusé un moment l’idéologie du nationalisme arabe. L’Iran a ensuite exercé
une influence, surtout sous la direction du Cheikh Nimr Al Nimr, qui fut
exécuté en janvier 2016, ce qui provoqua des émeutes violentes mais surtout la
rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. Ceci étant, ces
Chiites sont religieusement beaucoup plus proches de la tradition de l’Irak que
de celle de l’Iran, et seule une minorité sont une cinquième colonne.
On confond l’Arabie avec les Emirats
du Golfe, beaucoup moins peuplés, et on imagine des Saoudiens tous richissimes.
Or ce n’est pas vrai, le livre cite par exemple un important déficit en termes
de logements. Dans la mesure où 90% des revenus viennent de la vente de pétrole
brut, comment se répartissent les richesses ? Fatiha Dazi-Héni a précisé
que ce pourcentage était vrai lorsque le baril de brut était vendu à un cours
élevé, aujourd’hui il n’est plus que de 75 %. La population saoudienne a
toujours été la « cliente » de l’Etat : les prix étaient
subventionnés, l’essence était gratuite, il n’y avait pas de TVA. Comment gérer
la pénurie ? Aujourd’hui, la population «se pose des questions sur
ce que les Princes se mettent dans la poche». A noter que son ouvrage
confirme l’opacité absolue des budgets, y compris de la comptabilité de
l’ARAMCO, mais il cite des chiffres «officieux» pour la part
des richesses que se réserve la famille royale : le pourcentage d’un tiers
est cité, ce qui est beaucoup, comparé par exemple au Koweït où il est de 5%.
Les cours de l’or noir se sont
effondrés à partir de la fin 2014 ; on est passé de 120 dollars le baril à
40 dollars. Par ailleurs, la part du pétrole saoudien dans la production
mondiale est maintenant inférieure à 10%, car il y a des nouveaux producteurs
comme les Etats-Unis et le Canada. Le Royaume doit donc prévoir un changement
de cap sur le long terme, et le Prince héritier Mohammad Bin Salman a fait
appel à des sociétés de Conseil comme Mc Kinsey. Un plan national appelé «Vision
2030» a été lancé : que prévoit-il ? D’abord sortir de la
dépendance totale aux revenus pétroliers, en diversifiant l’économie. Il
prévoit aussi d’inverser la courbe pour les emplois saoudiens : 70%
d’entre eux sont dans le secteur public, où la majorité ne fait pas
grand-chose. En revanche, les travailleurs étrangers représentent 85% de la
force de travail du secteur privé, qui est productif. Pour mon invitée, il est
illusoire d’imaginer les Saoudiens travailler dans le bâtiment. Cependant, il y
a une industrialisation à faire pour les matériels militaires, qui sont
presqu’entièrement importés aujourd’hui, et là une «saoudisation»
serait possible. Il y aussi le développement du tourisme, et en particulier la
mise en valeur de sites archéologiques pré islamiques, ce qui était «haram»
jusqu’à une époque très récente.
La famille royale est pléthorique,
il y a environ 6.000 Princes dont 1.000 ont le rang d’Altesse Royale. Ce sont
les descendants du premier Roi, Abdelaziz Ibn Saoud qui a eu 43 fils avec 22
épouses. Tous les Souverains qui lui ont succédé sont ses fils. Or cette
famille tentaculaire a accaparé tous les pouvoirs, l’appareil bureaucratique,
le gouvernement, et l’équilibre entre ses 13 branches était assuré en théorie
par un «Conseil de famille» totalement opaque. Le Roi Salman
bouleverse tout cela à son accession au trône en 2015, et son fils MBS fait un
véritable coup de force en novembre 2017 : que s’est-il passé ?
Mohammed Bin Nayef |
Fatiha Dazi-Héni a d’abord précisé
que la première révolution de palais a évincé en juin 2017 le prince héritier
précédent, Mohammed Bin Nayef, le cousin de MBS et celui qui était à la tête de
la sécurité et incarnait en quelque sorte «l’Etat profond»,
avec la toute confiance des Américains. En novembre, une purge inédite a
ensuite mis en prison des dizaines de Princes et d’hommes d’affaires, sous
prétexte d’anti-corruption. En fait le Roi et son fils ont rompu avec un «pouvoir
horizontal» au profit «d’un pouvoir vertical», ce
que certains intellectuels jugent risqué pour l’avenir du régime.
La majorité de la population a moins
de 30 ans, 30% des moins de 25 ans sont au chômage. Quelles sont les attentes
de cette jeunesse, et va-t-elle adhérer aux bouleversements que prépare le
Prince héritier ? Mon invitée a évoqué une centaine d’heures de
discussions passées avec la jeunesse saoudienne, qui l’ont confirmé dans l’idée
que cette jeunesse le soutient. Ils attendent surtout du travail, mais déjà la
libéralisation en matière de spectacles et de mixité dans l’espace public a été
très favorablement accueillie. Cette jeunesse utilise massivement les réseaux
sociaux ; j’ai appris par ce livre que les Saoudiens sont les premiers au
monde pour l’utilisation de YouTube, Fatiha Dazi-Héni a évoqué aussi une
fondation créée il y a quelques années par le Prince héritier, pour encourager
l’utilisation massive de multi médias.
Les Femmes sont un marqueur pour une
société. On a commenté avec ironie le droit qui vient d’être accordé aux
Saoudiennes de conduire des voitures. Il y a les tenues vestimentaires
imposées, et il y a surtout la ségrégation hommes-femmes dans le domaine public
qui, clairement, rend impossible le progrès économique du pays : y a-t-il
eu quand même d’autres changements ? Pour mon invitée, les changements
sont frappants à Ryad : il y a des zones de loisirs, des espaces mixtes pour
les familles au moins.
La Mutawwa, police des mœurs, ne se substitue plus au rôle de la police. Depuis vingt ans a été entrepris une politique de formation pour les jeunes femmes. La religion reste un socle très important pour l’enseignement (environ 20% des programmes), mais peu à peu les nouvelles technologies viennent apporter des changements à l’école, qui en plus se privatise en partie. Ceci étant, le livre révèle aussi qu’un long chemin reste à parcourir : dans un pays où les élections sont limitées aux conseils municipaux, les femmes ne représentent que 1% des élus.
¨Police religieuse |
La Mutawwa, police des mœurs, ne se substitue plus au rôle de la police. Depuis vingt ans a été entrepris une politique de formation pour les jeunes femmes. La religion reste un socle très important pour l’enseignement (environ 20% des programmes), mais peu à peu les nouvelles technologies viennent apporter des changements à l’école, qui en plus se privatise en partie. Ceci étant, le livre révèle aussi qu’un long chemin reste à parcourir : dans un pays où les élections sont limitées aux conseils municipaux, les femmes ne représentent que 1% des élus.
Bref, le moyen âge dans toute son horreur !!, 1500 décapitations en 2017, et les droits de l'homme et de la femme largement bafoués ! et donc tous les pays occidentaux font leur "beurre" en vendant des armes, Youpi la connerie "humaine"
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