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lundi 30 avril 2018

Le débat sur l'efficacité des frappes alliées



LE DÉBAT SUR L’EFFICACITÉ DES FRAPPES ALLIÉES
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
            
base syrienne d'Al-Chaayrate après les frappes américaines

          Un grand scepticisme règne sur l’efficacité des frappes alliées contre la Syrie qui sont interprétées plutôt comme une action symbolique que comme une mesure punitive. Chacun des protagonistes a sa propre perception de la victoire et il donne l’impression de vouloir sauver la face de l’autre. Pourtant l’attaque était justifiée par l'utilisation par la Syrie d'armes chimiques. 



          La longue réflexion, sinon la longue hésitation, une semaine, qui a précédé l’attaque donne l’impression que la Russie et les Etats-Unis se sont concertés. La tactique militaire qui mesure l’efficacité d’une action à son degré de surprise, n’a pas été respectée à la différence de celle qui a prévalu lors de la destruction de la base T4 par les Israéliens.
            Les Russes et les Syriens ont tout fait pour convaincre l’opinion que leur système de défense aérienne, datant pourtant de l’ère soviétique, a réussi à intercepter plus de 70% des missiles. En plus de la volonté de minimiser les dégâts, il fallait justifier la passivité des Russes devant la violation de l’espace aérien syrien.  
Général Sergei Rudskoy

            Le général russe Sergei Rudskoy, chef de direction opérationnelle de l'État-major général, a donné sa version mais la propagande n’est pas tout à fait étrangère à ses affirmations. Il a révélé que les systèmes de défense aérienne russes de la base aérienne de Hmeimim et de Tartous ont localisé et contrôlé en temps opportun tous les lancements navals et aériens. En revanche il a nié l’intervention d’avions français, annoncés mais non enregistrés, comme s’il voulait rendre service à Emmanuel Macron. Il a confirmé que des avions B-1B, F-15 et F-16 de l'USAF ainsi que les avions Tornado de la RAF britannique ont été vus au-dessus de la mer Méditerranée et que l'USS Laboon et l'USS Monterey s’étaient pointés dans la mer Rouge durant l'opération. Les bombardiers stratégiques B-1B ont seulement approché les installations sur le territoire syrien près d'al-Tanf. Bref, selon lui, seuls les avions américains ont frappé.
            En fait selon les informations occidentales, un certain nombre d'aérodromes militaires syriens, d'installations industrielles et de recherche ont subi les frappes alliées. 103 missiles de croisière ont été lancés, y compris des missiles navals Tomahawk ainsi que des bombes aériennes guidées GBU-38 tirées du B-1B ; les avions F-15 et F-16 ont lancé des missiles air-sol. Les avions Tornado de la RAF britannique ont lancé huit missiles Scalp EG. Selon les Russes, 71 missiles de croisière ont été interceptés. Les systèmes AD S-125, S-200, Buk, Kvadrat et Osa Syrian, datant de l’ère soviétique, ont réussi à minimiser l'attaque. Il convient de souligner que la Russie a choisi de ne pas fournir les systèmes AD S-300 à la Syrie mais que, suite à ces frappes, il n’est pas impossible qu’elle reconsidère la question.
Aéroport Damas

            La Russie reconnaît cependant que des bases aériennes étaient visées. Quatre missiles ont visé l'aéroport international de Damas, 12 missiles - l'aérodrome d'Al-Dumayr, 18 missiles ont visé l'aérodrome de Blai, mais tous ont été abattus. Les 12 missiles qui ont visé la base aérienne de Shayrat ont été neutralisés. Cinq missiles sur neuf ont été abattus alors qu’ils ciblaient l'aérodrome Mazzeh inoccupé. Treize missiles sur seize ont été abattus en ciblant l'aérodrome de Homs. 30 missiles ont ciblé des installations près de Barzah et de Jaramānah mais sept d'entre eux ont été abattus. Un détail important cependant, aucun missile de croisière n’a violé la zone de responsabilité russe.
            La Russie pointe cependant du doigt le fait que l'attaque a eu lieu le jour où la mission spéciale de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) devait commencer à enquêter dans la ville de Douma. 
Frégate Languedoc

            Le doute s’est emparé des assertions du général russe lorsqu’il a nié la participation de la France aux frappes alors que cinq avions Rafale, des frégates polyvalentes D653 Languedoc FREMM, quatre Mirage 2000-5, deux AWACS et six ravitailleurs aériens КС-135F ont participé à l’opération.
            Pour justifier que des missiles de défense aérienne ont repoussé les frappes menées par les alliés, les Russes ont utilisé la seule preuve tangible mais réchauffée de la chute d’un F-16 israélien le 10 février : «un avion de chasse d'un pays voisin qui a fait des efforts pour s'immiscer dans l'espace aérien de la République arabe syrienne».  En cette ère spécialement médiatique, les alliés ont diffusé peu de photo et aucune vidéo des dégâts syriens tandis que de leur côté, les Russes et les Syriens n’ont apporté aucune preuve des missiles interceptés. Israël a toujours publié les conséquences de ses frappes, avant et après une opération, pour certifier l’intérêt de son action militaire. La seule photo diffusée par le ministère syrien de la défense d’un débris de missile est une preuve légère compte tenu des moyens engagés.
Débris de missile

            Il est difficile de faire la part entre information réelle et propagande. La revendication par les Américains de 76 missiles est difficile à vérifier. Le général Kenneth McKenzie, directeur des Etats-majors du Pentagone, a déclaré que les Syriens « ont lancé des missiles sol-air sur une trajectoire balistique et que la plupart des lancements ont eu lieu après la fin de notre frappe » disant ainsi implicitement que Damas avait tiré en l’air à des fins de propagande.
Général Kenneth McKenzie

            Mais le récit américain comporte plusieurs ombres, en particulier en ce qui concerne le nombre de missiles qui ont frappé les bâtiments du Centre de recherche et de développement de Barzah à Damas. Les experts estiment que seuls six missiles auraient suffi à sa destruction et qu’un nombre supérieur aurait créé des cratères visibles autour du site, ce qui n’est pas le cas. Le nombre semble avoir été volontairement grossi selon les Syriens pour ne pas reconnaître que des missiles ont été bloqués ou interceptés. Tout porte à croire cependant que les Américains ont voulu éviter de porter atteinte à la susceptibilité de Bachar Al-Assad.
            En revanche les dégâts infligés aux Syriens ont été minimisés grâce aux mises en garde étonnantes des Américains, plusieurs jours avant la frappe. La Syrie a eu le temps de déplacer ses avions en lieu sûr, dans les bases russes en particulier. S’il est peut-être vrai que les anciennes défenses aériennes soviétiques ont montré une certaine efficacité, les observateurs militaires sont convaincus que la Syrie, via la Russie informée par les Alliés, a eu connaissance des objectifs et de l'heure approximative des frappes dans le cadre d’un accord tacite pour ne pas que la Russie ne perde la face. Tout porte à croire que tout a été fait pour ne pas réveiller l'ours russe.
Missile MdCN
  
            Cependant, le seul intérêt de ces frappes, hormis leur éventuelle efficacité, est la coordination militaire qui a été vérifiée entre alliés sur l’usage simultané de différents types de missiles. Certains matériels nouveaux ont été testés au combat pour la première fois en mode réel. Il s’agit des missiles de croisière français MdCN et des missiles américains Agm-158B Jassm-er dans une sorte d’action publicitaire pour intéresser des nouveaux clients à cet armement. Les frappes auront eu au moins l’objectif de concourir à la course aux armements au Moyen-Orient.

1 commentaire:

  1. Marianne ARNAUD29 avril 2018 à 09:30

    Cher monsieur Benillouche,

    La principale qualité de votre "débat", consistera en ce qu'il permettra à chacun des protagonistes d'y trouver son compte.
    Quant au lecteur lambda, il en retirera la furieuse impression d'avoir été la victime d'un grand bluff.

    Très cordialement.

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