LE DÉBAT SUR
L’EFFICACITÉ DES FRAPPES ALLIÉES
Par Jacques BENILLOUCHE
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base syrienne d'Al-Chaayrate après les frappes américaines |
Un
grand scepticisme règne sur l’efficacité des frappes alliées contre la Syrie qui
sont interprétées plutôt comme une action symbolique que comme une mesure
punitive. Chacun des protagonistes a sa propre perception de la victoire et il
donne l’impression de vouloir sauver la face de l’autre. Pourtant l’attaque
était justifiée par l'utilisation par la Syrie d'armes chimiques.
La longue
réflexion, sinon la longue hésitation, une semaine, qui a précédé l’attaque
donne l’impression que la Russie et les Etats-Unis se sont concertés. La
tactique militaire qui mesure l’efficacité d’une action à son degré de surprise,
n’a pas été respectée à la différence de celle qui a prévalu lors de la destruction
de la base T4 par les Israéliens.
Les
Russes et les Syriens ont tout fait pour convaincre l’opinion que leur système
de défense aérienne, datant pourtant de l’ère soviétique, a réussi à intercepter plus de 70% des missiles. En plus de la volonté de minimiser les
dégâts, il fallait justifier la passivité des Russes devant la violation de l’espace
aérien syrien.
Général Sergei Rudskoy |
Le
général russe Sergei Rudskoy, chef de direction opérationnelle de l'État-major
général, a donné sa version mais la propagande n’est pas tout à fait étrangère
à ses affirmations. Il a révélé que les systèmes de défense aérienne russes de
la base aérienne de Hmeimim et de Tartous ont localisé et contrôlé en temps
opportun tous les lancements navals et aériens. En revanche il a nié l’intervention
d’avions français, annoncés mais non enregistrés, comme s’il voulait rendre
service à Emmanuel Macron. Il a confirmé que des avions B-1B, F-15 et F-16 de
l'USAF ainsi que les avions Tornado de la RAF britannique ont été vus au-dessus
de la mer Méditerranée et que l'USS Laboon et l'USS Monterey s’étaient pointés dans
la mer Rouge durant l'opération. Les bombardiers stratégiques B-1B ont seulement
approché les installations sur le territoire syrien près d'al-Tanf. Bref, selon lui, seuls les avions américains ont frappé.
En fait selon les informations occidentales, un
certain nombre d'aérodromes militaires syriens, d'installations industrielles
et de recherche ont subi les frappes alliées. 103 missiles de croisière ont été
lancés, y compris des missiles navals Tomahawk ainsi que des bombes aériennes
guidées GBU-38 tirées du B-1B ; les avions F-15 et F-16 ont lancé des missiles
air-sol. Les avions Tornado de la RAF britannique ont lancé huit missiles Scalp
EG. Selon les Russes, 71 missiles de croisière ont été interceptés. Les
systèmes AD S-125, S-200, Buk, Kvadrat et Osa Syrian, datant de l’ère
soviétique, ont réussi à minimiser l'attaque. Il convient de souligner que la
Russie a choisi de ne pas fournir les systèmes AD S-300 à la Syrie mais que, suite
à ces frappes, il n’est pas impossible qu’elle reconsidère la question.
Aéroport Damas |
La
Russie reconnaît cependant que des bases aériennes étaient visées. Quatre
missiles ont visé l'aéroport international de Damas, 12 missiles - l'aérodrome
d'Al-Dumayr, 18 missiles ont visé l'aérodrome de Blai, mais tous ont été abattus.
Les 12 missiles qui ont visé la base aérienne de Shayrat ont été neutralisés. Cinq
missiles sur neuf ont été abattus alors qu’ils ciblaient l'aérodrome Mazzeh
inoccupé. Treize missiles sur seize ont été abattus en ciblant l'aérodrome de
Homs. 30 missiles ont ciblé des installations près de Barzah et de Jaramānah
mais sept d'entre eux ont été abattus. Un détail important cependant, aucun missile
de croisière n’a violé la zone de responsabilité russe.
La
Russie pointe cependant du doigt le fait que l'attaque a eu lieu le jour où la
mission spéciale de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques
(OIAC) devait commencer à enquêter dans la ville de Douma.
Frégate Languedoc |
Le
doute s’est emparé des assertions du général russe lorsqu’il a nié la
participation de la France aux frappes alors que cinq avions Rafale, des frégates
polyvalentes D653 Languedoc FREMM, quatre Mirage 2000-5, deux AWACS et six
ravitailleurs aériens КС-135F ont participé à l’opération.
Pour
justifier que des missiles de défense aérienne ont repoussé les frappes menées
par les alliés, les Russes ont utilisé la seule preuve tangible mais réchauffée
de la chute d’un F-16 israélien le 10 février : «un avion de
chasse d'un pays voisin qui a fait des efforts pour s'immiscer dans l'espace
aérien de la République arabe syrienne». En cette ère spécialement médiatique, les
alliés ont diffusé peu de photo et aucune vidéo des dégâts syriens tandis que de
leur côté, les Russes et les Syriens n’ont apporté aucune preuve des missiles
interceptés. Israël a toujours publié les conséquences de ses frappes, avant et
après une opération, pour certifier l’intérêt de son action militaire. La seule
photo diffusée par le ministère syrien de la défense d’un débris de missile est
une preuve légère compte tenu des moyens engagés.
Débris de missile |
Il
est difficile de faire la part entre information réelle et propagande. La
revendication par les Américains de 76 missiles est difficile à vérifier. Le général
Kenneth McKenzie, directeur des Etats-majors du Pentagone, a déclaré que les
Syriens « ont lancé des missiles sol-air sur une trajectoire balistique
et que la plupart des lancements ont eu lieu après la fin de notre frappe »
disant ainsi implicitement que Damas avait tiré en l’air à des fins de
propagande.
Général Kenneth McKenzie |
Mais
le récit américain comporte plusieurs ombres, en particulier en ce qui concerne
le nombre de missiles qui ont frappé les bâtiments du Centre de recherche et de
développement de Barzah à Damas. Les experts estiment que seuls six missiles
auraient suffi à sa destruction et qu’un nombre supérieur aurait créé des
cratères visibles autour du site, ce qui n’est pas le cas. Le nombre semble
avoir été volontairement grossi selon les Syriens pour ne pas reconnaître que
des missiles ont été bloqués ou interceptés. Tout porte à croire cependant que les Américains ont voulu éviter de porter atteinte à la susceptibilité de Bachar Al-Assad.
En
revanche les dégâts infligés aux Syriens ont été minimisés grâce aux mises en
garde étonnantes des Américains, plusieurs jours avant la frappe. La Syrie a eu
le temps de déplacer ses avions en lieu sûr, dans les bases russes en
particulier. S’il est peut-être vrai que les anciennes défenses aériennes
soviétiques ont montré une certaine efficacité, les observateurs militaires sont
convaincus que la Syrie, via la Russie informée par les Alliés, a eu connaissance
des objectifs et de l'heure approximative des frappes dans le cadre d’un accord
tacite pour ne pas que la Russie ne perde la face. Tout porte à croire que tout a été fait pour ne pas réveiller l'ours russe.
Missile MdCN |
Cependant, le
seul intérêt de ces frappes, hormis leur éventuelle efficacité, est la
coordination militaire qui a été vérifiée entre alliés sur l’usage simultané de
différents types de missiles. Certains matériels nouveaux ont été testés au
combat pour la première fois en mode réel. Il s’agit des missiles de croisière
français MdCN et des missiles américains Agm-158B Jassm-er dans une sorte d’action
publicitaire pour intéresser des nouveaux clients à cet armement. Les frappes
auront eu au moins l’objectif de concourir à la course aux armements au
Moyen-Orient.
Cher monsieur Benillouche,
RépondreSupprimerLa principale qualité de votre "débat", consistera en ce qu'il permettra à chacun des protagonistes d'y trouver son compte.
Quant au lecteur lambda, il en retirera la furieuse impression d'avoir été la victime d'un grand bluff.
Très cordialement.