PRÉTENDANTS À LA SUCCESSION DE NETANYAHOU
1/ Naftali BENNETT, Foyer juif
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Le Général de
Gaulle avait dit à une conférence qu’il «ne craignait pas le vide
après lui mais le trop plein». C’est le cas en Israël où le Likoud
veut faire croire que Netanyahou est irremplaçable au poste de premier ministre
et qu’il est le seul à pouvoir tenir tête aux Américains, aux Arabes et aux
Iraniens. Il s’agit d’une vue étroite de l’esprit de ceux qui pensent que sa place
lui est tellement taillée tellement sur mesure qu’aucun successeur ne peut être
envisagé. Or, les candidats ne manquent pas. Nous allons donc passer
régulièrement en revue le portrait des nominés qui prétendent au poste suprême.
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Hanita Fridman (à gauche), avec Minister Naftali Bennett and Shimon de Karmisoft |
Naftali Bennett, né le 25 mars 1972 de parents d'origine américaine, est le jeune trublion qui
vient des milieux du high-tech après avoir créé sa propre start-up, qu’il a
d’ailleurs revendue en 2005 pour 145 millions de dollars ; un bon pactole pour
se lancer en politique. Parallèlement à ses affaires, il était entré en
politique au Likoud pour influer sur les décisions du chef de
l'opposition de l’époque, en tant que directeur discret du cabinet de
Netanyahou de 2006 à 2008. Mais il s’était vite trouvé à l’étroit face à un
premier ministre réputé pour étouffer ses seconds, à l’instar de Moshé Kahlon parti
lui-aussi tenter sa chance ailleurs, au sommet de sa gloire politique.
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Bennett à son meeting |
Au début de sa carrière politique autonome, Bennett
avait été adoubé par les francophones religieux, dont il ne parlait pas la
langue, mais qui étaient orphelins d’un leader charismatique capable de
s’élever au-dessus des querelles personnelles et des ambitions partisanes. Mais
il a déçu les nouveaux venus qui croyaient qu’il allait «casser la
baraque».
En quittant le Likoud, Naftali Bennett avait
décidé de voler de ses propres ailes politiques en prenant les commandes d’un
parti vieilli, issu du PNR, parti national religieux, créé au temps de l’avènement
de l’État d’Israël, rebaptisé Habayit Hayehudi, «Foyer Juif», un peu
comme on reprend une société commerciale en perdition pour la sortir du
marasme. Il imposa à ses membres une image modernisée, loin des longs manteaux
noirs, des grandes chaussettes montantes et de fameux Shtreimel, chapeau
noir aux bords ornés de fourrure, hérités de la vieille Pologne. Il préfère
porter la kippa tricotée, signe des sionistes religieux.
Mais sous cette apparence bon enfant, Bennett
reste très attaché à ses doubles convictions religieuses et nationalistes. Au
Likoud, il faisait partie des militants à l’extrême-droite du parti, qui
n’avaient rien à envier à ceux d’Israël Beitenou d’Avigdor Lieberman et qui
prônaient de ne rien céder aux Palestiniens. Pour donner du poids à sa nouvelle
carrière politique, il se fit nommer en janvier 2010 à la tête du Conseil de
Yesha, acronyme hébreu pour Judée, Samarie, Gaza, regroupant les maires des
implantations de Cisjordanie. Son esprit irréductible l’avait poussé à
sévèrement critiquer la fin des hostilités de Gaza lors de l’opération «pilier
de défense» en promettant aux Israéliens que, sous sa conduite, Israël «finirait par éradiquer la menace des missiles du Hamas». Des promesses non
suivies d’effet.
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Bennett et Derhy à la Knesset |
Ce quadra au visage poupon et souriant, qui a
hanté les conseils d’administration du high-tech, sait jouer de l’influence
pour attirer à lui les déçus à la fois du Likoud et du parti orthodoxe séfarade
Shass, qui est donné en chute dans les sondages. L’un de ses leaders
historiques Arie Derhy, a voulu se défendre face à ses militants en usant de la
«diabolisation ethnique» consistant à renouer avec les conflits
inter-communautés des années 1970 pour opposer Juifs de l’Est et Juifs
orientaux, séfarades et ashkénazes. Dehry alla jusqu’à accuser Bennett d'être le représentant «arrogant
et suffisant des Russes et des Blancs».
Mais Bennett a déçu parce que sa stratégie politique
n’a pas eu de résultat concret. Le jeune loup à la tenue décontractée de
fonceur, qui roulait des mécaniques, est resté bien encadré par ses suivants de
liste, fidèles des habitants des implantations, qui l’ont fait évoluer sur des
voies tortueuses en fonction du moment. Il a dû éluder son projet d’annexer la
Cisjordanie, est resté évasif sur la création d’un État palestinien alors que ses
soutiens sont totalement contre le principe de deux «États pour deux
peuples». Beaucoup l’ont donc abandonné pour revenir à leur parti
d’origine, le Likoud.
Pour exister, la nouvelle vague de religieux
sionistes qu’il inspirait a sonné définitivement le glas de la séparation de la
religion et de l’État. Par ailleurs, Bennett s’est fait doubler au gouvernement
par les orthodoxes qui ont réussi à obtenir des millions de dollars pour leurs écoles
talmudiques et pour la construction de logements dans les implantations, au
profit des classes défavorisées devenus leurs bons électeurs.
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Bennett Sayeret Maatkal |
Les sondages l’avaient placé temporairement au
firmament puisqu’on le créditait de 13 à 18 députés mais la réalité du scrutin
avait déçu. Aux élections de 2015 son parti était arrivé 6ème et n’avait
obtenu que 8 sièges ; la grande déception malgré la droitisation de
l’électorat israélien et l’effondrement des partis de gauche et centriste. Ceux
qui l’avaient adoubé ont mesuré son inexpérience politique alors qu’ils espéraient
beaucoup de cet ancien officier de la prestigieuse unité d'élite de l’État-major,
«Sayeret Maatkal». Pour une unité où l’obéissance est une
marque de fabrique, il s’était permis d’affirmer qu’il refuserait de participer
à une évacuation des implantations, préférant aller en prison.
La Bennett-o-mania n’a duré que quelques mois
puis le soufflé est vite retombé lorsque l’image du renouveau religieux
installé au sommet de l’État s’estompa. Ses adversaires le suivirent à la trace,
à l’instar d’Avigdor Lieberman qui espérait récupérer ses électeurs
nationalistes déçus. Les laïcs, qui
avaient fui le centre pour rejoindre le monde des religieux modernes, découvrirent
tardivement que son programme politique, faussement ouvert, était verrouillé
vers plus de religion.
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Avec Netanyahou |
Certes le «jeunot», sorti
de nulle part, a glissé un caillou dans la chaussure de Netanyahou qui a vite
réagi en demandant au Likoud de pointer l'extrémisme religieux du Foyer Juif,
particulièrement pour ce qui concerne les droits de la femme, point faible
éludé par Bennett pour ne pas s’attirer les foudres de ses amis orthodoxes. Mais
aujourd’hui, Bennett ne se décourage pas et se prépare à la succession du
premier ministre. Il a été le seul ministre à critiquer ouvertement
Benjamin Netanyahu lorsque la police a recommandé son inculpation. C’est sa
stratégie pour rassembler la droite israélienne dans une nouvelle ère politique.
Vidéo au lendemain de la demande d'inculpation, Bennett commence "gentiment" puis envoie son karcher sur Netanyahou
Son discours a été violent et pour ceux qui ne
l’auraient pas entendu il l'a retranscrit sur sa page Facebook. Il avait décidé
de défier le premier ministre par une salve de critiques avec bien sûr
l’intention de prendre date. Après quelques compliments, ses attaques ont fusé : «Recevoir des cadeaux
aussi longtemps, ne répond pas aux attentes des citoyens de l'État d'Israël».
Contrairement au Likoud, il a ouvertement soutenu la police dans ses enquêtes.
C’était une façon pour lui de contrer le ressentiment de Netanyahou à son
égard. Il a pris certains risques face à une icone de la droite mais il a
manqué de courage en restant au gouvernement. S’il veut vraiment faire tomber le
gouvernement pour anticiper sa victoire aux élections, alors il devrait quitter
la coalition ; mais ce genre de comportement n’appartient qu’à certains
dirigeants charismatiques.
Il
veut déjà préparer ses fers contre Israël Katz ou Gidéon Saar l’ancien
ministre qui caracolait en tête des primaires du Likoud. Il a voulu être le
premier à annoncer sa candidature car avec l’évolution de la situation
judiciaire de Netanyahou, Bennett sait qu’une fenêtre d'opportunité s’est
ouverte devant lui. Il sait qu’il peut compter sur les «colons» mais
il veut aussi attirer des centristes et même des gens de gauche. C’est dans cet esprit que l’on interprète
l’attribution du prix d'Israël à un auteur réputé «gauchiste»,
David Grossman, qui a toujours condamné l'occupation israélienne des
territoires pendant plus de trois décennies et qui est surtout l'un des
critiques les plus acérés de Netanyahou.
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Grossman |
Dans une interview à Haaretz,
Bennett a qualifié Grossman «d’auteur merveilleux et un Israélien qui
aime son peuple et son pays. Il n'a pas besoin de prouver son patriotisme à qui
que ce soit», de quoi rendre furieux le premier ministre. Bennett ne
doit plus rien au Likoud ni à Netanyahou, contrairement aux autres ministres qui se tiennent à carreau pour éviter d’hypothéquer leurs chances et pour ne
pas être accusés de pousser le leader Maximo vers la sortie. Mais Bennett devra
surtout se méfier de la concurrence au sein de son propre parti, en particulier de
celle qu’on qualifie de nouvelle Golda Meir, à savoir la ministre de la
justice, Ayelet Shaked.
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