LE PRINTEMPS ARABE N’AVAIT RIEN D’ARABE NI DE PRINTEMPS
Par
Jacques BENILLOUCHE
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La Tunisie revient au devant de l’actualité. Un mouvement social de grande ampleur secoue à nouveau la Tunisie, sept ans après la révolution qui avait emporté le régime de Ben Ali. Les revendications de 2017 sont davantages économiques avec la poussée de l'inflation. Mais, en qualifiant les soulèvements de 2011 de Printemps arabes, les racines profondes des insurrections ont été éludées et les mesures nécessaires pour remédier aux lacunes des régimes n’ont pas été prises puisque le diagnostic était erroné dès le départ.
Mohamed Bouazizi, né le
29 mars 1984 à Sidi Bouzid et mort le 4 janvier 2011 à Ben Arous, deux semaines
après s’être immolé par le feu le 17 décembre 2010, est à l'origine des émeutes
qui ont déclenché la révolution tunisienne et qui ont évincé le président Zine
el-Abidine Ben Ali du pouvoir. Sans qu’il y ait eu concertation, ce fut le signal
des protestations et des révolutions dans d'autres pays arabes qui ont donné
naissance à l’expression Printemps arabe.
En fait, cette généralisation est incorrecte car il
existait des spécificités politiques et culturelles distinctes dans le monde
arabe. Ainsi, les révolutions de la Tunisie et du Bahreïn n’avaient rien de
commun. Les politiques et les journalistes sont allés vite en besogne en
comparant ces soulèvements au Printemps de Prague de 1968 durant lequel
le parti communiste tchèque avait réclamé des libertés civiles et le droit de
s’émanciper de la tutelle russe. Les chars soviétiques ont alors écrasé le
soulèvement avec la sauvagerie qui caractérisait alors les régimes communistes.
Prague 1968 |
À Prague les citoyens voulaient jouir de la liberté et de
la démocratie comme en Occident. Les circonstances se démarquaient donc
totalement des soulèvements arabes. En 1968, les Tchèques vivaient en pleine
Guerre Froide, après avoir été occupés par les Soviétiques qui ne pouvaient
tolérer aucune sécession pouvant donner des idées aux autres populations du
Bloc de l’Est. Seul un espoir de liberté animait les révolutionnaires.
En revanche, la Tunisie de 2010 était indépendante et
n’hébergeait aucune armée étrangère tout comme les autres pays arabes. En s’inspirant
de la sémantique de Printemps de Prague pour désigner les soulèvements
arabes, on avait mis sur un pied d’égalité la quête des uns pour plus de
liberté et de démocratie, avec l’exigence des autres pour bénéficier d’une
bonne répartition des richesses.
Bouazizi ne s’est pas suicidé pour
réclamer plus de démocratie ni même pour exiger le départ du président Ben Ali.
Sa famille avait des difficultés
financières et pour subsister en tant qu’élève de terminale, il vendait des
légumes dans la rue. Le 17 décembre 2010, une
policière zélée lui avait confisqué ses marchandises au motif qu’il n’avait pas
de licence. Il s’est défendu comme il a pu auprès du gouverneur et à bout
d’arguments, privé d’avenir, il s’est immolé pour protester contre ce qu’il
trouvait injuste. Son immolation déclencha un cortège de protestations de masse
et de revendications en faveur du changement, après des décennies de répression
politique, de brutalités policières, de niveaux de chômage en constante
augmentation, et de corruption à tous les étages.
Plage de Madhia |
La Tunisie avait pourtant la
réputation d’être un pays sans histoires, justifiant ainsi le choc subi par
l’Occident lors de cette révolte. Certes la Tunisie était un État policier,
mais les politiques et les journalistes occidentaux la présentaient, malgré cela, comme un
État modéré, un modèle pour le monde musulman. D’ailleurs en 1995, l’Union
européenne (UE) avait signé un accord d'association avec la Tunisie qui rendit
possible une grande libéralisation du commerce. Devant les émeutes qui
s’étaient développées dans tout le pays, Ben Ali et sa femme préférèrent se
réfugier le 14 janvier 201, en Arabie saoudite, en bénéficiant de l’immunité
offerte par le roi.
Le
jour même de leur fuite, l’Égypte explosa à son tour dans une sorte de
mimétisme politique. Les manifestants de la place Tahrir, chargés par la
police, exigèrent la démission du président Hosni Moubarak et la fin de trente
ans d’état d’urgence. C'était une révolte politique. À l’époque, les autorités égyptiennes avaient passé sous
silence que des médecins, des conducteurs d’autobus, des ouvriers du textile et
des milliers de milliers d’autres travailleurs s’étaient mis en grève. Rien
n’avait transpiré. Et pourtant, l’Égypte de Moubarak était vraiment un modèle
de libéralisation et de privatisation au milieu du monde arabe. Anouar
el-Sadate avait, le premier, démantelé l’économie planifiée de Gamal Abdel
Nasser et Hosni Moubarak avait achevé la tâche, grâce à l’aide de Washington et
Bruxelles.
Entre
1991 et 2009, Moubarak liquida 400 entreprises publiques pour un peu plus de 9
milliards de dollars dont une grande partie a fini dans les poches des élites
riches et corrompues du pays, les militaires en particulier qui, dès janvier 2011,
contrôlaient 25% de l’économie égyptienne. C’est pourquoi de nombreux manifestants avaient exigé le retour à l’État des
anciennes entreprises bradées ou à la rigueur une renégociation des prix des
anciennes transactions.
Quartier pauvre du Caire |
Au
même moment, un quart de la population environ vivait en dessous du seuil de
pauvreté, deux dollars par jour, pendant que 17 % de la population subissait
quotidiennement l’insécurité alimentaire. Et pourtant, année après année, le
Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ne tarissaient pas
d’éloges à la gloire de Moubarak, ses acolytes et leurs politiques néo
libérales. Le sommet de la pyramide devenait de plus en plus riche alors que la
base égyptienne voyait ses conditions de vie se détériorer. D’ailleurs, les slogans
des manifestants n’étaient pas dirigés contre Moubarak, mais contre les banques
et les sociétés d’investissement.
Ces
bouleversements majeurs que les Occidentaux ont à tort baptisés «printemps» n’ont généré que le chaos, la mort, la haine, l’exil et la désolation
dans plusieurs pays arabes. Et les chiffres sont éloquents à ce sujet. Ce «printemps» a causé, en cinq ans, plus de 1,4 million de victimes, morts et
blessés, et plus de 14 millions de réfugiés. Il a coûté aux pays arabes au
moins 833 milliards de dollars, dont 461 milliards de pertes en infrastructures
détruites et en sites historiques dévastés. D’autre part, la région a perdu ses
103 millions de touristes, entraînant une vraie calamité pour l’économie.
Les
origines des mouvements sont diverses ; certains pensent qu’ils ont été télécommandés et non pas spontanés. Certes, les pays arabes étaient, avant ces
événements, dans un réel état de décrépitude : absence d’alternance politique,
chômage élevé, démocratie embryonnaire, mal de vivre, droits fondamentaux
bafoués, manque de liberté d’expression, corruption à tous les niveaux,
favoritisme, exode des cerveaux. Tout cela représentait un terreau fertile à la
déstabilisation. Les manifestants qui ont paralysé les villes arabes et qui ont
déboulonné les vieux autocrates arabes assis sur le pouvoir depuis des
décennies, représentaient pourtant une jeunesse pleine de fougue et de
promesses. Une jeunesse instruite, maniant avec brio les techniques de la
résistance non violente et ses slogans percutants. Une jeunesse férue de
nouvelles technologies dont les leaders ont été ciblés, formés, réseautés et
soutenus par les géants américains du Net. Ce fut un gâchis.
Cependant, les révoltés arabes n’ont réussi qu’à étêter les régimes. Ils ont mené à bien
la chute du sommet de la pyramide du pouvoir. Mais ils n’avaient aucune
compétence dans la marche à suivre lorsque les autocrates ont été chassés et
que le pouvoir devint vacant. Ils n’étaient pas préparés à la relève. Ils n’avaient
aucune aptitude politique pour mener à bien cette transition démocratique qui
devait suivre ce changement majeur. Ainsi, dès que le rôle des contestataires s’est
achevé, les vieilles forces politiques en place, à l’affût de tout changement
majeur, ont occupé le vide créé par la disparition de l’ancien pouvoir. Dans le
cas de la Tunisie et de l’Égypte, les mouvements islamistes ont profité dans un
premier temps de la situation pour gangrener la vie politique, même actuellement.
Manifgestations au Bahreïn |
Ce
«printemps» n’avait rien à voir avec les slogans scandés par les
jeunes manifestants dans les rues arabes ; la démocratie n’était qu’un
miroir aux alouettes. Des questions légitimes peuvent se poser lorsqu’on
constate que les seuls pays arabes touchés ont été des républiques. Aucune
monarchie arabe n’a subi de tsunami «printanier», comme si
ces pays étaient des sanctuaires de la démocratie, de la liberté et des droits
de l’homme. L’unique tentative de soulèvement antimonarchique, celle du
Bahreïn, a été étouffée par la collaboration militaire du Conseil de
coopération du Golfe (CCG).
Ce
«printemps» a visé la déstabilisation de certains pays arabes bien
ciblés dans le cadre géopolitique du «Grand Moyen-Orient». Cette
doctrine préconisait le remodelage des frontières des pays arabes pour mettre
fin à celles héritées des accords Sykes-Picot.
Le
monde arabe a effectivement été ébranlé par un mouvement contestant les
gouvernements autoritaires auxquelles il était soumis depuis des décennies.
Parti de Tunisie, ce mouvement a gagné rapidement l'Égypte, puis plusieurs pays
du Maghreb et du Moyen-Orient. Certains régimes ont réussi à désamorcer la
contestation soit par des concessions pour maintenir à tout prix la paix
sociale (Maroc, Algérie, Arabie Saoudite, Oman, Koweït), soit par la répression
(Bahreïn, Syrie, Yémen), soit enfin au prix d'une coûteuse guerre civile
(Libye).
Mais
les soulèvements qui ont touché les pays arabes n’étaient pas uniformes
puisqu’ils avaient chacun leurs propres particularités. Ils n’avaient rien à
voir avec leurs équivalents tunisiens et égyptiens. Ils n’avaient de surcroît rien
de spécifiquement arabes, rien qui permette de les qualifier de Printemps
arabe. Les protestations avaient plus à voir avec les mouvements contre
Wall Street ou contre l’austérité en Espagne ou en Grèce. Le Printemps arabe
ne fut absolument pas seulement arabe car il s’agissait d’un besoin de justice
sociale.
Il y a des printemps plus long qu'une longue nuit d'hiver. Il y a des guerres qui dure "Cent ans". Je suppose que "Notre" instabilite mondial et surtout local sera affecte tant que l'occident profitera de l'Afrique et du Moyen-Orient.
RépondreSupprimerCher monsieur Benillouche,
RépondreSupprimerNous allons devoir payer la note de cent ans de politique inconsidérée au Moyen-Orient. Elle sera d'autant plus lourde à payer, que les dirigeants occidentaux n'ont pas encore eu le courage de prendre la vraie mesure des problèmes qu'ils ont eux-mêmes créés. En auraient-ils conscience, qu'il serait sans doute trop tard pour renverser la vapeur. Alors advienne que pourra ! C'est l'Histoire qui jugera.
Très cordialement.