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samedi 13 janvier 2018

Le printemps arabe n'avait rien d'arabe ni de printemps



LE PRINTEMPS ARABE N’AVAIT RIEN D’ARABE NI DE PRINTEMPS

Par Jacques BENILLOUCHE
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          La Tunisie revient au devant de l’actualité. Un mouvement social de grande ampleur secoue à nouveau la Tunisie, sept ans après la révolution qui avait emporté le régime de Ben Ali. Les revendications de 2017 sont davantages économiques avec la poussée de l'inflation. Mais, en qualifiant les soulèvements de 2011 de Printemps arabes, les racines profondes des insurrections ont été éludées et les mesures nécessaires pour remédier aux lacunes des régimes n’ont pas été prises puisque le diagnostic était erroné dès le départ. 




            Mohamed Bouazizi, né le 29 mars 1984 à Sidi Bouzid et mort le 4 janvier 2011 à Ben Arous, deux semaines après s’être immolé par le feu le 17 décembre 2010, est à l'origine des émeutes qui ont déclenché la révolution tunisienne et qui ont évincé le président Zine el-Abidine Ben Ali du pouvoir. Sans qu’il y ait eu concertation, ce fut le signal des protestations et des révolutions dans d'autres pays arabes qui ont donné naissance à l’expression Printemps arabe.
            En fait, cette généralisation est incorrecte car il existait des spécificités politiques et culturelles distinctes dans le monde arabe. Ainsi, les révolutions de la Tunisie et du Bahreïn n’avaient rien de commun. Les politiques et les journalistes sont allés vite en besogne en comparant ces soulèvements au Printemps de Prague de 1968 durant lequel le parti communiste tchèque avait réclamé des libertés civiles et le droit de s’émanciper de la tutelle russe. Les chars soviétiques ont alors écrasé le soulèvement avec la sauvagerie qui caractérisait alors les régimes communistes.
Prague 1968

            À Prague les citoyens voulaient jouir de la liberté et de la démocratie comme en Occident. Les circonstances se démarquaient donc totalement des soulèvements arabes. En 1968, les Tchèques vivaient en pleine Guerre Froide, après avoir été occupés par les Soviétiques qui ne pouvaient tolérer aucune sécession pouvant donner des idées aux autres populations du Bloc de l’Est. Seul un espoir de liberté animait les révolutionnaires.
            En revanche, la Tunisie de 2010 était indépendante et n’hébergeait aucune armée étrangère tout comme les autres pays arabes. En s’inspirant de la sémantique de Printemps de Prague pour désigner les soulèvements arabes, on avait mis sur un pied d’égalité la quête des uns pour plus de liberté et de démocratie, avec l’exigence des autres pour bénéficier d’une bonne répartition des richesses.
            Bouazizi ne s’est pas suicidé pour réclamer plus de démocratie ni même pour exiger le départ du président Ben Ali.  Sa famille avait des difficultés financières et pour subsister en tant qu’élève de terminale, il vendait des légumes dans la rue. Le 17 décembre 2010, une policière zélée lui avait confisqué ses marchandises au motif qu’il n’avait pas de licence. Il s’est défendu comme il a pu auprès du gouverneur et à bout d’arguments, privé d’avenir, il s’est immolé pour protester contre ce qu’il trouvait injuste. Son immolation déclencha un cortège de protestations de masse et de revendications en faveur du changement, après des décennies de répression politique, de brutalités policières, de niveaux de chômage en constante augmentation, et de corruption à tous les étages.
Plage de Madhia

            La Tunisie avait pourtant la réputation d’être un pays sans histoires, justifiant ainsi le choc subi par l’Occident lors de cette révolte. Certes la Tunisie était un État policier, mais les politiques et les journalistes occidentaux la présentaient, malgré cela, comme un État modéré, un modèle pour le monde musulman. D’ailleurs en 1995, l’Union européenne (UE) avait signé un accord d'association avec la Tunisie qui rendit possible une grande libéralisation du commerce. Devant les émeutes qui s’étaient développées dans tout le pays, Ben Ali et sa femme préférèrent se réfugier le 14 janvier 201, en Arabie saoudite, en bénéficiant de l’immunité offerte par le roi.
            Le jour même de leur fuite, l’Égypte explosa à son tour dans une sorte de mimétisme politique. Les manifestants de la place Tahrir, chargés par la police, exigèrent la démission du président Hosni Moubarak et la fin de trente ans d’état d’urgence. C'était une révolte politique. À l’époque, les autorités égyptiennes avaient passé sous silence que des médecins, des conducteurs d’autobus, des ouvriers du textile et des milliers de milliers d’autres travailleurs s’étaient mis en grève. Rien n’avait transpiré. Et pourtant, l’Égypte de Moubarak était vraiment un modèle de libéralisation et de privatisation au milieu du monde arabe. Anouar el-Sadate avait, le premier, démantelé l’économie planifiée de Gamal Abdel Nasser et Hosni Moubarak avait achevé la tâche, grâce à l’aide de Washington et Bruxelles.
            Entre 1991 et 2009, Moubarak liquida 400 entreprises publiques pour un peu plus de 9 milliards de dollars dont une grande partie a fini dans les poches des élites riches et corrompues du pays, les militaires en particulier qui, dès janvier 2011, contrôlaient 25% de l’économie égyptienne. C’est pourquoi de nombreux manifestants avaient exigé le retour à l’État des anciennes entreprises bradées ou à la rigueur une renégociation des prix des anciennes transactions.
Quartier pauvre du Caire

            Au même moment, un quart de la population environ vivait en dessous du seuil de pauvreté, deux dollars par jour, pendant que 17 % de la population subissait quotidiennement l’insécurité alimentaire. Et pourtant, année après année, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ne tarissaient pas d’éloges à la gloire de Moubarak, ses acolytes et leurs politiques néo libérales. Le sommet de la pyramide devenait de plus en plus riche alors que la base égyptienne voyait ses conditions de vie se détériorer. D’ailleurs, les slogans des manifestants n’étaient pas dirigés contre Moubarak, mais contre les banques et les sociétés d’investissement.
            Ces bouleversements majeurs que les Occidentaux ont à tort baptisés «printemps» n’ont généré que le chaos, la mort, la haine, l’exil et la désolation dans plusieurs pays arabes. Et les chiffres sont éloquents à ce sujet. Ce «printemps» a causé, en cinq ans, plus de 1,4 million de victimes, morts et blessés, et plus de 14 millions de réfugiés. Il a coûté aux pays arabes au moins 833 milliards de dollars, dont 461 milliards de pertes en infrastructures détruites et en sites historiques dévastés. D’autre part, la région a perdu ses 103 millions de touristes, entraînant une vraie calamité pour l’économie.
            Les origines des mouvements sont diverses ; certains pensent qu’ils ont été télécommandés et non pas spontanés. Certes, les pays arabes étaient, avant ces événements, dans un réel état de décrépitude : absence d’alternance politique, chômage élevé, démocratie embryonnaire, mal de vivre, droits fondamentaux bafoués, manque de liberté d’expression, corruption à tous les niveaux, favoritisme, exode des cerveaux. Tout cela représentait un terreau fertile à la déstabilisation. Les manifestants qui ont paralysé les villes arabes et qui ont déboulonné les vieux autocrates arabes assis sur le pouvoir depuis des décennies, représentaient pourtant une jeunesse pleine de fougue et de promesses. Une jeunesse instruite, maniant avec brio les techniques de la résistance non violente et ses slogans percutants. Une jeunesse férue de nouvelles technologies dont les leaders ont été ciblés, formés, réseautés et soutenus par les géants américains du Net. Ce fut un gâchis.
            Cependant, les révoltés arabes n’ont réussi qu’à étêter les régimes. Ils ont mené à bien la chute du sommet de la pyramide du pouvoir. Mais ils n’avaient aucune compétence dans la marche à suivre lorsque les autocrates ont été chassés et que le pouvoir devint vacant. Ils n’étaient pas préparés à la relève. Ils n’avaient aucune aptitude politique pour mener à bien cette transition démocratique qui devait suivre ce changement majeur. Ainsi, dès que le rôle des contestataires s’est achevé, les vieilles forces politiques en place, à l’affût de tout changement majeur, ont occupé le vide créé par la disparition de l’ancien pouvoir. Dans le cas de la Tunisie et de l’Égypte, les mouvements islamistes ont profité dans un premier temps de la situation pour gangrener la vie politique, même actuellement.
Manifgestations au Bahreïn

            Ce «printemps» n’avait rien à voir avec les slogans scandés par les jeunes manifestants dans les rues arabes ; la démocratie n’était qu’un miroir aux alouettes. Des questions légitimes peuvent se poser lorsqu’on constate que les seuls pays arabes touchés ont été des républiques. Aucune monarchie arabe n’a subi de tsunami «printanier», comme si ces pays étaient des sanctuaires de la démocratie, de la liberté et des droits de l’homme. L’unique tentative de soulèvement antimonarchique, celle du Bahreïn, a été étouffée par la collaboration militaire du Conseil de coopération du Golfe (CCG).
            Ce «printemps» a visé la déstabilisation de certains pays arabes bien ciblés dans le cadre géopolitique du «Grand Moyen-Orient». Cette doctrine préconisait le remodelage des frontières des pays arabes pour mettre fin à celles héritées des accords Sykes-Picot.
            Le monde arabe a effectivement été ébranlé par un mouvement contestant les gouvernements autoritaires auxquelles il était soumis depuis des décennies. Parti de Tunisie, ce mouvement a gagné rapidement l'Égypte, puis plusieurs pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Certains régimes ont réussi à désamorcer la contestation soit par des concessions pour maintenir à tout prix la paix sociale (Maroc, Algérie, Arabie Saoudite, Oman, Koweït), soit par la répression (Bahreïn, Syrie, Yémen), soit enfin au prix d'une coûteuse guerre civile (Libye).
            Mais les soulèvements qui ont touché les pays arabes n’étaient pas uniformes puisqu’ils avaient chacun leurs propres particularités. Ils n’avaient rien à voir avec leurs équivalents tunisiens et égyptiens. Ils n’avaient de surcroît rien de spécifiquement arabes, rien qui permette de les qualifier de Printemps arabe. Les protestations avaient plus à voir avec les mouvements contre Wall Street ou contre l’austérité en Espagne ou en Grèce. Le Printemps arabe ne fut absolument pas seulement arabe car il s’agissait d’un besoin de justice sociale.


2 commentaires:

  1. Il y a des printemps plus long qu'une longue nuit d'hiver. Il y a des guerres qui dure "Cent ans". Je suppose que "Notre" instabilite mondial et surtout local sera affecte tant que l'occident profitera de l'Afrique et du Moyen-Orient.

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  2. Cher monsieur Benillouche,

    Nous allons devoir payer la note de cent ans de politique inconsidérée au Moyen-Orient. Elle sera d'autant plus lourde à payer, que les dirigeants occidentaux n'ont pas encore eu le courage de prendre la vraie mesure des problèmes qu'ils ont eux-mêmes créés. En auraient-ils conscience, qu'il serait sans doute trop tard pour renverser la vapeur. Alors advienne que pourra ! C'est l'Histoire qui jugera.

    Très cordialement.

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