LA FICTION D’UN ISLAMISME MODÉRÉ EN ARABIE
Par Jacques BENILLOUCHE
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La Mecque investiture de MBS |
La tendance actuelle des intellectuels et des journalistes consiste à faire une distinction entre islam et islamisme sous prétexte que les islamistes sont une minorité extrémiste à ne pas confondre avec le reste des musulmans. Les «Printemps arabes» ont rendu les islamistes fréquentablesà l'instar de ceux de Tunisie. Or, la sémantique doit rester la même et ne pas varier en fonction des situations politiques. Alors, on se cache derrière la richesse du vocabulaire pour qualifier des hommes ou des pays terroristes en fonction de la gravité de leur implication : intégriste, fondamentaliste, salafiste, djihadiste, modéré.
Mais un terroriste
reste un terroriste et l’adjonction du terme «modéré» fait
double emploi. Pour ne pas s’aliéner les bonnes grâces d’Erdogan et ne pas
utiliser les gros mots alors, on qualife les Turcs d’islamistes modérés. De
même, les Américains, pour justifier de négocier avec leurs ennemis ont parlé
de discussions avec des «talibans modérés». La variation sémantique
a pour but de créer une confusion dans les esprits soit pour minimiser le rôle
des uns, soit pour aggraver les actes des autres.
L'islam est un
monothéisme rigoriste dont la croyance est basée sur l'unicité absolue de Dieu,
la sacralité indiscutable du Coran et l'authenticité de la prophétie
mohammadienne. Être musulman, c'est reconnaître «qu’il n'y a de Dieu
qu'Allah et que Mohamed est son prophète» et être pratiquant c’est
respecter la pratique de cinq obligations : la prière (Salat), le jeûne (Sawm), l'aumône (Zakat), le pèlerinage à la Mecque (Hajj) et la profession de foi (Shahada) qui constituent les cinq piliers de l'islam.
L’islamisme est
la version politique de l’islam. La doctrine islamiste crée un lien
indissociable et irrémédiable entre le religieux et le politique. L'islamiste
ajoute un sixième précepte concernant le combat contre les infidèles,
musulmans ou pas, ce qui entraîne par nature une utopie théocratique et
totalitaire. Pour l’islamiste, la loi de Dieu transcende et ordonne les lois
humaines et donc, entre foi et loi, son choix est vite fait et il refuse
d’être soumis aux règles législatives parlementaires. Il ne se plie qu'à la loi de Dieu.
Alors on nous
parle de pays islamistes modérés avec dans la liste d’hier la Tunisie et
la Turquie et dans celle d’aujourd’hui l’Iran depuis l'élection de Hassan Rohani. Où peut-on
instiller la modération ? À présent, actualité oblige, les islamistes
saoudiens sont devenus eux aussi modérés malgré la centaine de têtes
coupées au sabre tous les ans. En fait il n’existe qu’un seul islamisme qui
englobe tous les musulmans et qui n’a pas besoin d’être accolé à un
qualificatif qui l’atténue ou l’accentue. La jeunesse ou le modernisme du
Prince d'Arabie saoudite ne suffit pas à lui donner un certificat de bonne conduite et de
démocratie, encore moins le qualificatif de «modéré».
Lapidation |
Ainsi parler de
l’islam modéré du prince saoudien est une figure de style. En évoquant ses projets
à plusieurs milliards, il a certes donné sa vision de la diversification
économique : «Je vais ramener l’Arabie saoudite vers un islam modéré».
Mais l’islam est un et unique. Il n’existe pas plusieurs islams. Il
n’y a aucune modération dans le fait de martyriser les prisonniers politiques, de
réduire au silence les voix dissidentes et d’enfermer les militants de
l’opposition. En fait MBS veut que la communauté internationale croie que
l’Arabie est en train de devenir une société ouverte, au sein d’un islam modéré florissant.
S’il veut
mettre en place un islam réformé, il aura beaucoup de mal pour effacer les
dizaines d’années d’un régime qui a interprété de manière radicale la religion
pour contrôler et soumettre sa population. Jamais nulle part dans un pays
musulman, on n’a vu une tradition religieuse radicale et confessionnelle, celle
du wahhabisme appelé à tort «islam réformiste», devenir
religion d’État soutenue par le sabre et les pétrodollars. Au nom d’un Dieu
puissant et impitoyable, les notables d’État ont interprété les paroles divines
à travers leur propre intérêt, avec le droit d'excommunier ceux qui
n’acceptaient pas de se soumettre à leurs rituels.
Il y a déjà eu
des tentatives dans les années 1990 d’orienter l’Arabie vers l’islam de base
avec le mouvement Sahwa qui s’était affirmé dans les années 1960/70 sous
forme d’un vaste mouvement social se réclamant d’un activisme islamique
jusqu’alors absent du paysage saoudien, le mouvement du «réveil islamique»
(al-Sahwa al-Islamiyya). S’appuyant sur les institutions mêmes de l’État, il était
parvenu à étendre son emprise à une génération entière de jeunes Saoudiens qui
voulaient combattre la soumission totale à leurs
dirigeants autocratiques. Sahwa prônait une séparation de la religion et
de la politique. Mais le mouvement fut sévèrement réprimé, ses membres
emprisonnés et le rêve envolé.
MBS veut, à
présent, à lui seul réformer la religion sans l’aide des cercles islamiques
mais avec un contrôle étatique. Pour l’instant sa tâche primordiale consiste à
réduire par la force la critique, à ruiner ses opposants, à neutraliser
l’éventuelle dissidence et à combattre l’activisme pacifique. Le prince héritier a supervisé l’arrestation de centaines de personnes, y compris des membres de la famille royale, des ministres et des magnats des affaires. Il ne réussira ses réformes que s’il instaure une véritable démocratie. La qualification abusive de son islam «modéré»
ne suffit pas car il doit abolir la peine de mort, interdire la polygamie, libérer
le débat religieux, autoriser la création de syndicats et redéfinir la nature
même d’un gouvernement islamique. Il devrait mettre en place une assemblée
nationale élue (aujourd'hui les députés sont nommés par le roi), un gouvernement représentatif et surtout une Constitution (aujourd'hui existe une Loi fondamentale qui précise que la gouvernance du royaume est basée sur la choura).
Mais ce serait
trop demander d’un coup. Le Prince n’en est pas encore à envisager ces mesures «extrêmes».
Le droit des femmes à conduire n’est qu’une péripétie anecdotique. La «société ouverte» fait partie des utopies promises
par le prince car cette société ouverte doit être une démocratie à part
entière, où les droits civils et politiques seraient protégés, où la liberté d'expression
serait assurée, où le droit d’association accordé et la liberté de religion et
de non-religion autorisée.
Certes l’Arabie
saoudite veut s’ouvrir au capital international et aux entreprises mondiales
mais sur le plan interne, il ne s’agit pas de tendre vers une société ouverte et
encore moins de réformer l’islam. La religion telle qu’elle est imposée en
Arabie a donné mauvaise réputation à l’islam et aux musulmans. L’État de droit
n’existe pas en Arabie et seul le fait du Prince reste la règle absolue dans
cette dictature royale. Pour l'instant, l’islamisme de MBS n’a de modéré que le nom.
Armée saoudienne |
Alors
en Israël, on ferme les yeux sur les manigances de MBS car c’est un allié militaire
potentiel avec lequel on peut neutraliser les Iraniens mais le seul danger iranien ne sera probablement pas suffisant pour rapprocher
ouvertement l'Arabie saoudite et Israël. De toute façon, les Israéliens n’ont
pas l’habitude d’interférer dans les affaires intérieures des États. Ils veulent lui laisser le temps pour juger au final de sa volonté de réformes. Alors on
ferme les yeux sur un pays qui applique la charia de la manière la plus
rigoriste, à coups d’amputations, de lapidations et de décapitations ; est-ce l’exemple même d’un islamisme «modéré», le même que
celui qui est appliqué par les sanguinaires de Daesh ?
Il faut oublier l’adjectif modéré quand il est aussi mal appliqué.
Quartier arabe de Sur Baher au sud deJérusalem : pancarte avec l'inscription « Allahu akbar ». |
Il faut oublier l’adjectif modéré quand il est aussi mal appliqué.
Certains pensent que Mohamed Ben Salman, alias MBS, est en train de transformer l'Arabie Saoudite en un Pays Moderne et Modéré.
RépondreSupprimerJacques Benillouche explique pourquoi c'est une erreur de croire cela.
En Arabie Saoudite, les Femmes ont maintenant le Droit de Conduire.
Mais pour conduire, il faut un Permis de Conduire. Et pour avoir un Permis de Conduire, il faut apprendre dans une auto-école avec une Femme comme professeur. Et les Femmes ne peuvent être "Professeur" puisqu'Elles n'ont pas le Permis de Conduire. En clair : un "Progrès" fictif.
Pour vous donner envie de lire cet Article, voici sa conclusion sous forme de la dernière phrase : " Il faut oublier l’adjectif modéré quand il est aussi mal appliqué"
Parler de '' modération '' et commencer par, et ce très rapidement, emprisonner à tout va, sans autre forme de procès, me paraît très contradictoire
RépondreSupprimerCertes Wait and see, mais pour l instant, il semble flotter surtout, un petit air de purge
J espère me tromper
Cher monsieur Bénillouche,
RépondreSupprimerJ'espère que vous n'êtes pas en train, mine de rien, de jeter la suspicion sur le nouveau petit camarade du président Macron ?
Ce serait d'autant plus décevant que l'Élysée nous a relaté comment le Président avait expliqué par le menu, au prince Ben Salam qu'il ne fallait avoir "aucune politique jusqu'au boutiste qui viendrait créer des déséquilibres, voire des chaos dans la région." Et celui que vous appelez MBS, aurait assuré le président Macron "qu'il ne souhaitait pas une guerre au Liban et était très attaché à la stabilité du pays."
Reste le problème concernant Saad Hariri. A-t-il été contraint de démissionner ? Est-il assigné à résidence ? Il paraît que le chef de la diplomatie française, Jean-Yves le Drian, va régler la question la semaine prochaine.
Donc tout va bien !
Ma chère Marianne,
RépondreSupprimerVous savez bien que je ne suis ni un militant et ni un idéologue mais un analyste des faits et uniquement des faits.
Il m’arrive donc d’évoluer en préférant Juppé à Hollande et à Fillon, Il m’arrive par nécessité de choisir Macron contre Marine le Pen. Mais cela ne m’empêche pas de garder ma lucidité politique et d’égratigner les hommes qui nous gouvernent. Je suis une "indépendant".
En ce qui concerne MBS, j'ai trouvé indécent cet amour fou et immodéré à l'égard d'un anachronique avant qu'il ne réussisse ses réformes. Je ne jugerai que sur pièces. J'espère qu'il apportera la révolution moderne dans son pays mais en attendant je pose les problèmes.
Amitiés.
Jacques, ton article est tres bien documente, il y a seulement une affirmation qui me semble legerement erronnee: l'Islam est un. Non, l'Islam n'est pas un.
RépondreSupprimerD'abord, si on prend la majorite de l'Islam contemporin (85% des fildeles deans le monde). ils sont divises en 4 ecoles qui regissement leur comportement et leur approche de l'Islam. On pourrait meme citer une 5e ecole, le soufisme, en voie de disparition.
Il reste 15% qui ne sont pas sunnite. Ils sont en general chiites, 92 courants dans le monde actuel, dont le principal est le chiisme duodecimain (=iranien). A cote on peut cite le chiisme septicemain (nombreux dans la peninsule indienne), ou ismaelite. Il y a d'autres courants importants comme les Alevites en Turquie (a ne pas confondre avec les Alaouites en Syrie, qui bien que se pretendant chiites, ne sont pas veritablement musulmans. Ils ne le sont d'autant moins qu'ils n'ont pas la permission de faire le pelerinage a la Mecque - le Hajj). D'autres courants se sont detaches de l'Islam chiite (il n'y a jamais eu de scission dans l'Islam sunnite) pour fonder des religions syncretiques, on peut citer les Ahmedites, les Bahais et les Druzes. Il y en a d'autres.
Bon article avec une dose de scepticisme, l'Arabie Saoudite ou le present dirigeant veut reformer son pays/peuple; Mustapha Kemal avait réussi parce que la Turquie était complètement perdue, ruinée, défaite, morcelée et a reconstruire
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