ISRAËL DE
PLUS EN PLUS ISOLÉ FACE À L’IRAN
Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
La réalité est dramatique car il y a peu d’illusion à se faire sur la volonté de Vladimir Poutine de favoriser, au moins en partie, les intérêts d’Israël au détriment de ceux de Bachar Al Assad ou de l’Iran. La délégation israélienne, encadrée de responsables sécuritaires, le chef du Mossad Yossi Cohen et le président du Conseil de sécurité nationale Meir Ben-Shabbat, est rentrée bredouille de Russie alors qu’elle avait pour objectif de contrer les dangers de l’Iran en Syrie.
La résidence balnéaire de Poutine |
En
se rendant dans la résidence d’été du président russe, Benjamin Netanyahou
espérait convaincre Poutine d’utiliser toute son influence pour contraindre les
Iraniens à réduire leur voilure en Syrie. Il voulait réentendre la phrase qu’avait
prononcée Poutine en privé, face à Ehud Olmert qui avait été mandaté pour
empêcher la livraison à l’Iran du système de défense aérienne S-300 : «je suis lié vis-à-vis des millions de Russes qui ont immigré en Israël depuis
1990 et qui sont eux-aussi mes citoyens». Il s’agissait d’une sorte d’engagement tacite
de protéger «ses» Juifs. Depuis cette boutade, tous les
premiers ministres israéliens n’ont eu de cesse que d’avoir la confirmation que
Poutine maintenait ses bons sentiments à l’égard d’Israël.
Qasem Soleimani |
Netanyahou
s’est senti abandonné par Donald Trump dont les intérêts nationaux divergent
puisque l’accord tacite entre la Russie et les Etats-Unis a donné en fait la
liberté d’action à l’Iran. Progressivement,
le général Soleimani, général du Corps des Gardiens de la Révolution et commandant
de la force d’élite Al Qods, responsable des opérations extérieures, a réussi à
établir une continuité territoriale entre l’Iran et le Liban, facilitant ainsi
les transferts d’armes vers le Hezbollah. Netanyahou a bien soulevé le fait que
l’Iran prenait la place laissée vacante par Daesh au fur et à mesure que les
djihadistes étaient défaits, que les Iraniens s’étaient infiltrés dans tout le
Yémen et se préparaient à investir le nord d’Israël, en vain.
Trump
a délaissé le Moyen-Orient pour l’Ukraine qu’il veut réarmer. Les États-Unis
ont renoncé à maintenir le rôle primordial d’Israël au Moyen-Orient alors que
Bachar Al Assad a supplanté des acteurs aussi importants que la Turquie et la
Jordanie. Cela est la conséquence de l’implication de l’armée russe, déployée
sur le sol syrien, qui a multiplié ses bombardements pour protéger le régime du
président Assad.
Déjà
en septembre 2015, dans un geste rare, Netanyahou s’était rendu en Russie avec
le chef d’État-major de Tsahal et le chef du renseignement militaire pour
exprimer sa préoccupation. Les résultats n’ont pas été convaincants. De cette
visite, il en est résulté d’une part la fin de la supériorité de
l’aviation israélienne dont les actions ont été bridées et d’autre part, une coordination
en temps réel pour que les forces aériennes russes et israéliennes puissent s’éviter
dans les airs. Depuis, aucun incident majeur n’est intervenu. Tsahal a même pu
lancer des frappes aériennes contre des convois d’armes du Hezbollah, sans
subir de représailles russes.
Tir d'un missile Tomahawk depuis un navire américain |
Les
États-Unis avaient fait illusion en frappant le territoire syrien, en avril 2017,
avec des missiles de croisière sous prétexte que les forces d’Assad utilisaient
des armes chimiques. Mais en fait il s’agissait d’un geste alors que Trump
avait déjà entériné, lors de la réunion du G20 à Hambourg, le 7 juillet 2017, l’idée
que la Syrie devenait la chasse gardée de la Russie. Israël n’a pourtant pas
cessé de mettre en garde les Américains, photos satellites à l’appui, contre la
création d’une continuité territoriale entre l’Iran et le Liban qui permettait
le libre transfert d’armement de pointe. Israël n’a pu que constater son échec à
empêcher cette continuité territoriale et a dû se rabattre sur un moindre
objectif consistant à interdire toute présence iranienne à moins de 40 kms des frontières.
Mais cela n’est pas encore tout à fait acquis.
La
Russie n’a jamais tenu compte des réserves israéliennes. Elle a livré des
batteries S-300 à l’Iran juste après l’accord nucléaire signé avec les
Américains en juillet 2015. Certes Israël avait réussi à convaincre les Russes
de ne pas fournir la dernière version des S-300 mais le système livré suffit à
contrôler toute incursion d’avions ennemis dans un rayon de 150 kms. Cette
limite conditionne les déplacements de l’aviation israélienne autour de l’Iran. Face à la volonté de Trump de respecter l’accord avec les Russes, Netanyahou a
tenté une mission de la dernière chance pour influencer les décisions russes. Il
a laissé les spécialistes sécuritaires se réunir entre eux, à l’abri des
caméras, mais rien n’a transpiré de ces discussions.
Juste
avant son retour en Israël, Netanyahou avait menacé d’autoriser Tsahal à agir
pour empêcher le développement de la présence iranienne en Syrie. Les mauvaises
langues l’ont pris pour du bluff. On ignore en effet les cartes qu’il détient
pour mettre en œuvre sa menace. On sait que le sort de la région appartient
dorénavant à Vladimir Poutine et Israël devra subir, malgré lui, la présence de
bases iraniennes en Syrie. Netanyahou se rassure à sa façon car il pense que,
dans le fond, Poutine est aussi inquiet que lui de la présence imprévisible iranienne
en Syrie. La Russie ne partage pas la même idéologie que les Iraniens tandis
que leur coopération est une nécessité sachant que les deux puissances
divergent dans leurs propres objectifs. Elle n’a pas les moyens de s’offrir une
guerre qui affaiblirait encore plus le régime et son économie.
Poutine
soutient donc toute solution diplomatique qui lui permettrait de sortir du
bourbier syrien qui lui coûte beaucoup de roubles, de rapatrier ses troupes, de
contrôler la Syrie à distance et de songer à sa reconstruction pour maintenir
Assad au pouvoir. De son côté l’Iran, qui agissait jusqu’à présent par
Hezbollah interposé, semble vouloir augmenter ses prétentions en étant directement
présent en Syrie et au Liban. Israël s’inquiète donc de voir ces pays
transformés en une base de lancement de missiles.
D’autres
observateurs enclins à l’optimisme pensent que l’Iran, qui ne cherche qu’une
légitimité en prouvant qu’il sait respecter sa signature dans ses accords, n’a
aucun intérêt à entrer en conflit direct avec Israël qui mettrait en danger
l’existence fragile de son régime. Mais le suicide politique a toujours été
l’arme des faibles. L’Iran cherche seulement à consolider, dans l’immédiat, sa
présence au Moyen-Orient pour la rendre pérenne. L’opposition iranienne bien
informée précise que 70.000 combattants sont déjà répertoriés en Syrie, en
incluant les troupes iraniennes, les milices du Hezbollah, les groupes chiites
d’Irak, les mercenaires afghans et pakistanais ainsi que les milices chiites locales
syriennes.
Des combattants d'Harakat al-Nujaba, une milice irakienne soutenue par l'Iran |
Les
services israéliens de renseignements ont identifié les bases syriennes qui
accueillent des Iraniens, en particulier à Sweida, qui sont armées de batteries
anti aériennes SAM-1. Des troupes
supplémentaires sont en permanence transférées depuis l’Iran ainsi que de
nombreux officiers supérieurs. Mohsen Rezaei, ancien commandant de la Garde
révolutionnaire de 1980 à 1988, secrétaire général du puissant Conseil du
discernement, est devenu le bras droit du général Qasem Soleimani. En déplaçant
ses hauts officiers, l’Iran montre ainsi la nouvelle tournure que prend sa
stratégie militaire en Syrie.
Sweida |
La
Russie orchestre cependant la présence étrangère et la répartition des forces
pour éviter toute action non planifiée. Pour l’instant, elle interdit l’accès
des Iraniens au sud, le long des frontières israélienne et jordanienne. Par ailleurs, l’Iran engrange des victoires diplomatiques puisqu’il a réussi à convaincre le
Qatar de renouer ses liens diplomatiques. En revanche, tout prouve que l’Arabie
saoudite n’a plus d’influence dans la stratégie régionale alors qu’il était
considéré comme l’ennemi irréductible des Iraniens.
Poutine
détient toujours le pouvoir d’interdire à l’Iran de mettre en danger le régime
d’Assad par un nouveau conflit militaire régional et d’ouvrir un front
militaire avec Israël. Ce serait la promesse reçue par Netanyahou. Poutine peut
imposer le type d’armement iranien en Syrie en excluant éventuellement les
missiles pour éviter les représailles de Tsahal. Il peut délimiter les zones où
les milices iraniennes peuvent stationner. Il reconnaît qu’Israël n’a jamais
menacé l’existence du régime de Bachar Al Assad et que toute action
inconsidérée de l’Iran remettrait en cause cet équilibre précaire. Mais rien ne
peut empêcher les Iraniens d’utiliser la Syrie et le Liban comme moyen de
dissuasion et d’y développer leur capacité de nuisance. Face aux promesses
russes et aux faibles engagements des Américains, tout donne à penser qu’Israël est totalement isolé sur la
scène internationale, l’Europe étant bien sûr totalement absente de cette scène
internationale.
L'article est très poussé, merci Jacques.
RépondreSupprimerMais ce n'est pas pour autant que l'article ne nous glace pas le sang ou ne nous laisse pas perplexes dans l'anxiété !
Oui, merci pour ce travail d'information...mais c'est pas la joie...Savoir que les Iraniens sont à Sweida n'est pas rassurant du tout..
RépondreSupprimer