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dimanche 14 mai 2017

Le pèlerinage juif de la Ghriba en panne



LE PÈLERINAGE JUIF DE LA GHRIBA EN PANNE

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps

            

          Le pèlerinage juif de la Ghriba aura lieu, cette année, du 12 au 14 mai 2017. Les autorités tunisiennes espèrent un retour en force des pèlerins juifs qui, l’an dernier selon les organisateurs, ont été 600 à venir de l’étranger, chiffre contesté par les témoins visuels présents à Djerba. En effet de nombreux invités officiels juifs avaient pris l’avion de Paris pour rehausser le prestige de la Ghriba.  La Tunisie n’a toujours pas amélioré son image auprès du monde occidental et n’a pas cherché à régler le contentieux avec les Juifs dans le monde, les Israéliens originaires de Tunisie en particulier. En tout état de cause, nous sommes encore loin des 5.000 pèlerins qui avaient foulé le sol tunisien il y a quelques années, du temps du régime de Ben Ali, pour retrouver leurs racines.



Le président Essebsi

            On ne comprend pas l’entêtement des Tunisiens à être plus royalistes que le roi, plus palestiniens que les Palestiniens et plus arabes que les Arabes. Leur volonté de maintenir chez eux une base stratégique pour les Palestiniens, pour ne pas dire terroriste, bloque toute évolution en faveur d’un retour à la normale. Alors que les Jordaniens envisagent avec Israël la construction d’un canal Mer Rouge-Mer Morte, alors que les Égyptiens collaborent ouvertement contre le terrorisme islamiste au Sinaï, alors que les Marocains commercent avec les Israéliens et les accueillent avec leur passeport bleu, alors que l’Arabie saoudite a mis les jalons pour une ouverture des liens diplomatiques avec Israël, la Tunisie s’enferme dans sa position intransigeante, inébranlable et stérile d'opposition systématique au «régime sioniste».
Zouari à Sfax

            Il est vrai que certains incidents ont émaillé les relations avec la Tunisie, mais elle n’a jamais été touchée en tant que telle. Seuls étaient visés les terroristes qui utilisent la faiblesse sécuritaire tunisienne pour en faire leur point de repli en Afrique du Nord. Le 15 décembre 2016, Mohamed Zouari, ingénieur tunisien expert en drones et travaillant pour le Hamas, avait été assassiné alors qu’il se trouvait dans sa voiture au bas de son domicile de Sfax. Il avait été abattu de trois balles dans la tête. Un travail de pro, sans bavures et avec une froideur professionnelle, dans le silence de la nuit. Son erreur : Il s’était rapproché des Palestiniens lorsqu’ils s’étaient repliés en Tunisie avec Yasser Arafat. 
          Il s’était mis à leur service et à celui du Hezbollah depuis les années 1990, après avoir quitté sa Tunisie natale. Il avait progressé dans l’organisation du Hamas jusqu’à être le chef du programme de fabrication des drones. Mais il était en train de mettre au point un sous-marin miniature télécommandé, dans le but avoué d'atteindre des cibles navales et donc de mettre en danger la libre navigation des navires israéliens et la sécurité des champs gaziers au large de Haïfa. Le Mossad avait été accusé d’être à l’origine de l’opération mais Israël avait démenti et l’enquête n’a rien prouvé à ce jour. Mais en tout état de cause, l’homme du Hamas était visé.
            Cet échec a poussé des hommes politiques tunisiens à accuser leur gouvernement de garder le silence pour masquer l’incompétence des services tunisiens de sécurité, incapables d’avoir empêché un commando d’au moins dix personnes de circuler librement et de s’évaporer sans être inquiété. Toutes les hypothèses les plus farfelues ont été soulevées pour tenter d’expliquer l’impunité des meurtriers. La guerre des clans en Tunisie ne permet cependant aucune explication rationnelle. Elle ne fait qu’envenimer les conséquences de l’assassinat.
Ben Hadj Ali

            Une thèse, qui a peu de consistance, pointe du doigt la complicité du gouvernement dans ce meurtre avec préméditation. En effet le directeur de la sécurité nationale, Abderrahmane Ben Hadj Ali, avait eu le tort de démissionner de son poste la veille de l’élimination de l’expert ce qui le rendait d’office coupable, sans preuve consistante. Il s’agissait d’accuser le gouvernement sous prétexte que le directeur était une figure importante du régime Ben Ali dont il était le responsable de la sécurité présidentielle. Pourtant, grâce à lui, la lutte contre les groupes terroristes avait conduit à la découverte de nombreuses cellules dormantes. En tant que véritable expert sécuritaire, il avait réussi à réduire les attentats terroristes contre les forces de l’ordre et à organiser de nombreuses arrestations dans les rangs des groupes extrémistes religieux.
            Bien que sa démission fût un hasard du calendrier, il avait été accusé d’avoir démissionné la veille de l’assassinat de l’expert du Hamas parce qu’il savait ce qui devait se tramer le lendemain. En fait, à travers lui, est visé le gouvernement pour son faible engagement pour la cause palestinienne ainsi que le ministre des affaires étrangères tunisien, Khemaïs Jhinaoui, accusé de «sionisme» parce qu’il avait occupé le poste d’ambassadeur de Tunisie en Israël sous le régime de Ben Ali.
            Tout est bon en Tunisie pour ceux qui veulent impliquer Israël pour les malheurs du pays. Sans que l’on comprenne le lien avec la mort de l’expert du Hamas, l’opposition estime que le meurtre de Zouari n’aurait pas eu lieu si l’article constitutionnel interdisant la normalisation des relations avec Israël avait été voté par l’assemblée constitutive. Elle a aussi trouvé indécent que la chaîne-10 israélienne émette en direct depuis Sfax et depuis l’avenue Habib Bourguiba de Tunis en diffusant un reportage sur Zouari. C’était la preuve qu’Israël représentait une menace pour la souveraineté de la Tunisie. Toujours sans expliciter le lien, les opposants justifient l’aggravation de la dette de la Tunisie, plus de 60% du PIB, parce qu’elle est détenue en grande partie par des pays occidentaux favorables à Israël. Cette accusation tend à masquer le fait que la Tunisie est au cœur de l’exportation du terrorisme.
            Certains dirigeants tunisiens, influencés par les islamistes, n’ont plus de raisonnement logique lorsqu’il s’agit de marquer leur haine persistante contre Israël. Ils pensent que la Tunisie n’en fait pas assez pour la cause palestinienne alors que cette cause occupe une place centrale, certes passive, dans les pays arabes. Il est vrai qu’Habib Bourguiba avait adopté une attitude médiane à l’égard de l’État juif, sans cependant sauter le pas et imiter la position courageuse de l’Égypte et de la Jordanie. Beaucoup de pays arabes l’avaient accusé de n’avoir pas fait preuve d’activisme pour exiger la «libération totale de la terre palestinienne» et d’avoir été l’un des premiers à suggérer la solution à deux États. En fait, sa modération était justifiée par sa volonté de renforcer l’alliance de la Tunisie avec les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne accusés d’être pro-israéliens.
Ben Ali et Bourguiba

            Les nouveaux censeurs accusent Ben Ali d’avoir été favorable aux accords d’Oslo de 1995 qui ont normalisé les relations avec Israël. L’histoire israélo-tunisienne est jalonnée de rendez-vous manqués durant lesquels les Juifs ont été rendus coupables de la fragilité de la situation économique et sociale en Tunisie. On ne prête qu’aux riches. Et pourtant la Tunisie n'est pas à l’abri de critique. Béji Caïd Essebsi, le président tunisien déteste Israël et il l’a prouvé à plusieurs reprises. En 1967, en tant que ministre de l’intérieur, il avait laissé la rue aux émeutiers pendant deux jours pour leur permettre de brûler la grande synagogue de Tunis. En tant que ministre des affaires étrangères en 1985 il avait qualifié les attaque israéliennes d’«actes terroristes» et déclaré que «la Tunisie ne tolérerait aucune violation de son territoire». Aujourd’hui, devant l’échec de ses services de sécurité pour résoudre l’énigme de l’assassinat de Zouari, il force les Tunisiens à tourner le regard vers un accusé tout trouvé. Comme le dit un proverbe tunisien : «la tête du chauve est plus proche de Dieu». 
            Au lieu de promouvoir une image d’un pays «sûr» aux yeux des investisseurs étrangers, la Tunisie donne l’impression qu’elle contribue mal à la lutte contre le terrorisme ou alors qu’elle est débordée. Les Tunisiens ont défendu Mohamed Zouari alors qu’il était affilié au Hamas et n’ont pas compris qu’en faisant cela, ils écornaient l’image de la Tunisie accusée de soutien au terrorisme. L’attitude du président est très ambiguë. Alors qu’Essebsi avait mis Israël en accusation suite à l’attaque lancée en 1985 par Tel-Aviv contre le quartier général de l’OLP à Hammam Chat, il ne s’est pas manifesté depuis l’assassinat de Zouari laissant planner un doute sur les commanditaires. Les Tunisiens l’accusent donc de complicité de meurtre et d’incompétence pour réduire le sentiment d’insécurité allant jusqu’à dire qu’il est un facteur aggravant du risque de soulèvements.

            On ne comprend pas que la Tunisie, qui est dans un état de dépendance économique vis-à-vis de l’Occident, axe sa stratégie contre Israël sans rechercher les intérêts des Tunisiens. Cela ne favorise pas l’apaisement et surtout l’arrivée de touristes au pèlerinage de Djerba qui reste le thermomètre par lequel on mesure le danger en Tunisie. 
        Tant que Caïd Essebsi, allié des islamistes tunisiens, sera au pouvoir alors Israël sera voué aux gémonies. Tant qu’aucun ambassadeur israélien ne sera installé en Tunisie, les 55.000 originaires de Tunisie et leurs descendants en Israël bouderont leur terre natale. Encore une fois de plus, le pèlerinage juif de la Ghriba est en panne.

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