ERDOĞAN S'INSPIRE DE LA STRATEGIE DE
POUTINE
Par Jacques BENILLOUCHE
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Recep
Tayyip Erdoğan a pris exemple sur son modèle, Vladimir Poutine, qui a
progressivement affaibli un parlement aux ordres et consolidé les pouvoir du
président. Rien ne prédestinait cet homme à chausser les bottes d’un dictateur turc.
Il s’était lancé dans la politique en démocrate attaché au pluralisme et à la
paix. Il avait engagé des négociations avec les Kurdes du PKK, avait défendu
l’État de droit et la démocratie dans son pays avec pour seule référence un
nationalisme poussé au paroxysme, fondé sur le seul succès populaire.
Mais
en quinze années de pouvoir il a évolué pour s'ériger en nouvel Atatürk, non laïc et islamique, détenant le destin de son pays entre les mains. Le coup d’État raté de juillet
2016, avec 249 tués, l’a enjoint à faire tourner sa machine plus vite pour
prendre de vitesse ses opposants et gouverner avec une main de fer. La manière
forte est devenue son seul credo avec le renvoi de 97.000 fonctionnaires et la
suspension de 37.000 autres, avec le placement en détention de 41.000 citoyens,
l’ouverture de procès pour 1.094 prétendus mutins, la fermeture de 60 chaînes
de télévision, de 19 journaux, de 29 maisons d’édition et de 5 agences de presse, accusés
d’être favorables aux thèses de l’opposition. La presse libre a été neutralisée et ses membres réduits au chômage forcé. Cela a toujours été le rôle des
dictateurs de museler leurs citoyens mais, ce qui désole, la population suit les yeux fermés son
leader et ce qui plus grave encore les Turcs vivant en Europe et
pétris de démocratie ont voté en masse pour le nouveau dictateur. Il est vrai
qu’ils sont eux bien à l’abri à l'étranger.
Son ancien premier ministre Ahmet Davutoğlu a mesuré le danger pour décider de rompre avec lui en février 2015. De manière indirecte, il avait proposé un projet de loi sur la transparence qui devait obliger tous les
dépositaires de l’autorité à déclarer leurs ressources. Erdoğan était ainsi visé. Au cours du congrès de
l’AKP, il s’est frontalement opposé à lui pour finalement démissionner. Des décisions importantes les ont séparés. Il n’avait pas admis l’ordre donné par Erdogan d’abattre l’avion
de chasse russe. Dans un discours à Diyarbakır il marqua aussi un désaveu de la
politique gouvernementale en déclarant que la question kurde ne pouvait être
résolue uniquement par des moyens militaires.
L’ancien président turc, Abdullah Gül, et l’ancien ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu |
Davutoğlu était un dirigeant très respecté par
l’Union européenne avec il négociait et surtout par Washington qui l’avait
invité à une visite en mai. Cela n’était pas du goût d’Erdoğan qui n’aimait pas
qu’on lui vole la vedette. Davutoğlu a constitué un groupe
d’opposants avec Abdullah Gül, ancien premier ministre, et Bülent Arınç,
président du parlement ; Fatma Bostan Ünsal, vice-présidente et Ertuğrul Güney,
ministre de la Culture. On ne peut exclure les rivalités à l’intérieur du parti
mais tous ces dirigeants avaient émis de sérieuses réserves sur les véritables
intentions d’Erdoğan de transformer la démocratie parlementaire en présidence
exécutive.
Moscou 1993 |
En
fait Erdoğan, qui a fait tuer 249 turcs après le coup d’État manqué, s’est
inspiré de ce que Boris Eltsine avait fait en 1993 en Russie lorsqu’il avait
envoyé des chars tirer contre le siège du parlement soviétique. Cela a permis
aux Russes d’avoir un régime présidentiel autoritaire, ouvrant ainsi la voie à
Poutine qui l’a consolidé.
Mais
le referendum turc a prouvé la solitude du président. Sa soif de pouvoir l’a
éloigné de ses amis historiques qui n'ont permis qu'une victoire étriquée, 51,4% des voix. Il aura
du mal à réaliser toutes ses réformes constitutionnelles. Le Parti de la justice et du développement (AKP) est la force dominante
de la politique turque depuis près de quinze ans, qui a compté de nombreux
leaders mais qui ont en majorité décidé de se mettre en retrait de la politique d’Erdoğan. Il n’est pas impossible qu’ils s’unissent à
nouveau pour former un nouveau parti conservateur de centre droit, ce qui risque
de gêner l’AKP pour le vote des amendements constitutionnels.
Un
autre point fondamental a été constaté : le silence de l’armée pourtant
garante de la Constitution. Elle a été décapitée et ses généraux emprisonnés.
Elle n’a pas pris part à la campagne électorale. Le dernier coup d’État raté
lui a enlevé toute crédibilité de pouvoir intervenir pour changer le cours de
la trajectoire vers une dictature acceptée et vers des changements les plus
radicaux dans l'histoire moderne de la Turquie, en particulier le rétablissement de la peine de mort qui sera appliquée aux officiers mutins.
Combattantes kurdes |
Erdoğan pourra
dorénavant gouverner seul, nommer des ministres et des représentants du gouvernement, la
moitié des membres de la plus haute juridiction du pays, d'émettre des décrets
et de déclarer l'État d'urgence. Mais de nouveaux défis l’attendent
en particulier avec les Kurdes. Le cessez-le-feu s’est effondré en 2015, et
environ 2.000 personnes sont mortes depuis, dont près de 800 membres des forces
de sécurité. Erdoğan a perdu le soutien de la communauté kurde. Il aura besoin
de son armée exsangue et de victoires décisives pour rehausser son prestige. Il
risque de perdre le soutien des pays occidentaux qui voient d’un mauvais œil s’installer
officiellement une dictature islamiste en Europe.
Rencontre entre diplomates israéliens et turcs le 1er février 2017 |
Israël
considère ce vote comme une affaire intérieure à la Turquie et n’a pris de
position officielle. La reprise des relations diplomatiques est toute fraîche
pour la contrecarrer par des déclarations intempestives qui risquent de choquer les suceptibilités. En tout état de cause,
les changements constitutionnels n’interviendront qu’en 2019 en Turquie. D’ici là, de l’eau
aura coulé sous les ponts turcs. Wait and see.
Merci Jacques Benillouche. Je partage pour que les admirateurs de Poutine et Erdocon connaissent la vérité. Bonne journée
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