Jean Corcos et Hakim El Karaoui |
J'ai eu le plaisir de recevoir le 12 février 2017 dans mon émission «Rencontre», Hakim El Karoui. Conseil
en stratégie, franco-tunisien, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, il a eu les plus hautes responsabilités dans le secteur public comme dans le privé,
notamment en tant que conseiller technique au cabinet du premier Ministre
Jean-Pierre Raffarin. Il a dirigé la rédaction du rapport «Un islam
français est possible», publié par la Fondation Montaigne au mois de
septembre.
Cette publication a eu un très
important écho médiatique ; selon les journaux on a eu des recensions
alarmistes, d'autres au contraire étaient beaucoup plus nuancées. Ce rapport,
très riche, 130 pages sans les annexes, peut être téléchargé [1]. Il donne d'abord une véritable radioscopie des
Musulmans de notre pays, basée sur un sondage. Il établit ensuite un diagnostic
sévère sur l'organisation actuelle de l'islam, et propose des pistes pour
mettre sur les rails un islam français authentique.
Mon invité a commencé par donner des
chiffres précis, à la fois sur la méthodologie de son enquête, et sur la
démographie, sujet qui hante la majorité des Français et en particulier ceux
qui sont juifs. L'enquête a été faite avec l'IFOP, avec une approche
scientifique. Environ 15.000 personnes ont été interrogées, pour identifier un
échantillon d'environ 1.000 Musulmans.
Quelle est l'estimation sur le pourcentage de Musulmans ? Le rapport aboutit au chiffre de 6 % (ceux qui se reconnaissent dans la religion ou qui sont de parents musulmans). Les gens ont une évaluation bien supérieure, car cette population est très concentrée en quelques foyers, ceux de la France industrielle (le Nord, l'Ile de France, Rhône Alpes, la façade méditerranéenne et un peu l'Alsace). A noter aussi, que selon le rapport, ce pourcentage est supérieur pour les jeunes générations, l'âge moyen des Musulmans dans notre pays étant d'environ 36 ans, soit nettement inférieur aux chiffres pour les autres populations.
Quelle est l'estimation sur le pourcentage de Musulmans ? Le rapport aboutit au chiffre de 6 % (ceux qui se reconnaissent dans la religion ou qui sont de parents musulmans). Les gens ont une évaluation bien supérieure, car cette population est très concentrée en quelques foyers, ceux de la France industrielle (le Nord, l'Ile de France, Rhône Alpes, la façade méditerranéenne et un peu l'Alsace). A noter aussi, que selon le rapport, ce pourcentage est supérieur pour les jeunes générations, l'âge moyen des Musulmans dans notre pays étant d'environ 36 ans, soit nettement inférieur aux chiffres pour les autres populations.
Mosquée d'Evry |
Le rapport fait une analyse détaillée
du rapport au religieux de l'échantillon, et il définit six catégories,
réparties en trois grands groupes, dont Hakim El Karoui a donné une description
synthétique. Un peu moins de la moitié a une religiosité supérieure à celle de
la majorité des Français, mais avec un système de valeurs totalement conformes
à ceux de la République, tout en étant plutôt conservateurs sur les plans des
mœurs. 20 à 25 % sont très conservateurs, mais ils ne considèrent pas leur
religion comme un projet politique. Par contre, environ 28 % ont adopté un
système de valeurs opposées à celles de la République, et ce pourcentage grimpe
à 50 % pour les jeunes.
Le rapport dit qu'ils sont en état
de «sécession idéologique» : pourquoi ? Pour notre invité,
les raisons sont multiples. D'abord, le rejet, 30 % des Français considérant
que les originaires du Maghreb ou leurs enfants ne sont pas des citoyens comme
les autres ; il y a aussi une discrimination évidente à l'embauche. Ensuite,
les deux tiers de ces jeunes sont des enfants d'ouvriers pour lesquels l'ascenseur
social ne fonctionne plus. Enfin, «l'islam c'est ce qui reste quand tout le
reste a disparu», et il joue le rôle d'identité universelle.
Mosquée de Fréjus |
Les réponses aux différentes
questions établissent un lien très clair entre les catégories socio
professionnelles et le rigorisme religieux. En gros, les plus éduqués sont ceux
qui à la fois exercent des professions stables, et sont les moins rigoristes,
en opposition à ceux dits en sécession. Mais il y a des marqueurs
communs à la grande majorité des Musulmans de France ; quels sont-ils ?
Notre invité les a résumés. Le premier est une «sur religiosité»,
comme d'ailleurs pour la religion juive (deux tiers de pratiquants) ; le Hallal
a pris une place très importante qu'il n'avait pas avant. Deux tiers des
Musulmans, enfin, défendent le port du voile, alors que seules un tiers des femmes
le portent effectivement. Hakim El Karoui pense que ce port du voile se fait
aussi pour des raisons de sécurité là où elles habitent.
Le rapport de l'Institut Montaigne souligne
les échecs du Conseil Français du Culte Musulman. Notre invité a brièvement
rappelé les origines du CFCM, conçu comme un interlocuteur unique des
Autorités, mais avec le choix de mettre en avant des gestionnaires et non des
vrais religieux. Presque toutes les institutions cultuelles sont liées à des
pays étrangers (Algérie, Maroc, Turquie) et défendent leur pré carré. Ainsi le
budget du CFCM est ridicule (30.000 Euros). Comment expliquer que les
gouvernements successifs aient favorisé ce qu'on appelle l'islam consulaire
? Plusieurs raisons existent. D'abord, on a imaginé que ces populations
retourneraient dans les pays d'origine. Ensuite, c'était pour les gouvernements
de ces pays une façon de les contrôler, car on craignait une contamination
islamiste. Enfin, ces Etats avaient une maîtrise théorique du sujet, car non
laïcs, ils forment chez eux et salarient les imams. Mais ceci ne marche plus,
car les nouvelles générations de Français musulmans ne se reconnaissent plus du
tout dans cette instance supposée représentative.
Institut des cultures de l'islam paris 18° |
En ce qui concerne les financements
actuels de l'islam de France, le rapport pointe l'opacité des rentrées en
provenance de deux pays du Golfe qui pratiquent le «soft power»
en diffusant l'islam wahabbite, l'Arabie Saoudite et le Qatar. Qu'est-ce qui
empêche la transparence ? Pour notre invité, ces financements sont très habiles
: ils n'interviennent pas directement dans la gestion du culte, mais en amont
et en aval. L'amont représente la diffusion idéologique par télés satellitaires
et Internet, où l'investissement a été massif ; cela a formaté les nouvelles
générations au Maghreb, par Al-Jazeera, Ikraa Tv, etc. L'aval correspond au
secteur associatif, le caritatif. Hakim El Karoui qui a vécu en Egypte il y a
vingt ans retrouve la même chose en France aujourd'hui. L'enseignement de l'arabe,
que refuse de faire l'Education Nationale, se fait dans des mosquées et a donc
aussi une influence idéologique. Il pense qu'il faut cesser cela, en disant aux
pays du Golfe « que ce n'est plus possible ».
Fondation islam de France |
Pour permettre d'éviter cette opacité
des ressources, le rapport propose une mutualisation des ressources et des
budgets, qui relèvent pour le moment de chaque lieu de culte et des grandes
fédérations cultuelles. Il préconise aussi la création, à côté de la Fondation
pour l'islam de France qui fixerait le cadre général, une Association
musulmane pour un islam de France (AMIF) : de quoi s'agit-il ? Notre invité
a rappelé que la Fondation a été remise sur les rails récemment, sous la
présidence de Jean-Pierre Chevènement - à noter que la Mosquée de Paris, puis
l'UOIF ont dit qu'ils la boycotteraient.
L'association cultuelle serait une
sorte de Consistoire ; elle collecterait les fonds, financerait les imams et
surtout, serait un référent théologique ; les fonds pourraient venir d'une taxe
sur la viande Hallal, d'une taxe sur l'argent du Pèlerinage à la Mecque, et des
dons des fidèles. Si les mosquées dominent dans le Conseil d'Administration, on
aurait conflit d'intérêt car elles aussi se financent sur la même base.
Dirigeants de l'islam de France |
Ma dernière question a porté sur la mouvance
des Frères Musulmans au travers de l'UOIF (Union des Organisations Islamiques
de France). Elle s'est largement implantée depuis une trentaine d'années. Le
rapport dit que c'est la seule Fédération implantée en profondeur, à la fois
géographiquement par un maillage complet du pays, et par tout un réseau
d'associations socio professionnelles, étudiants, femmes, etc. Ils sont aussi
intégrés au niveau européen, avec notamment l'autorité théologique du Conseil
européen de la Fatwa et de la Recherche : quel est leur agenda, et ont-ils
des chances de réussir ? Karim El Karoui pense que l'UOIF s'est affaiblie au
niveau de sa direction, qui sont des immigrés en décalage envers les nouvelles
générations.
Le but des Frères Musulmans est de diffuser leur idéologie, pour avoir prise sur la population musulmane, en leur vendant «l'islamisation de la modernité».Ils veulent devenir les interlocuteurs des pouvoirs politiques. Le drame, c'est qu'en face, il n'y a personne pour leur répondre. 90 % du trafic vers les sites de théologie musulmane en français sont salafistes, et les Frères Musulmans sont aussi présents. Il faut donner les moyens aux théologiens qui sont contre leur idéologie, être aussi présents sur Internet, et offrir une autre lecture de l'islam.
Le but des Frères Musulmans est de diffuser leur idéologie, pour avoir prise sur la population musulmane, en leur vendant «l'islamisation de la modernité».Ils veulent devenir les interlocuteurs des pouvoirs politiques. Le drame, c'est qu'en face, il n'y a personne pour leur répondre. 90 % du trafic vers les sites de théologie musulmane en français sont salafistes, et les Frères Musulmans sont aussi présents. Il faut donner les moyens aux théologiens qui sont contre leur idéologie, être aussi présents sur Internet, et offrir une autre lecture de l'islam.
[1] Lien pour
télécharger :
Je serais tentée de conclure : "Et voilà pourquoi votre fille est muette !"
RépondreSupprimerMais plus sérieusement, qu'il me soit permis de citer Pascal Bruckner, interrogé par Le Figaro, à l'occasion de la sortie de son ouvrage : "Un racisme imaginaire" :
"... Une politique intelligente est une politique qui évite la guerre civile. Critiquer l'intégrisme, ce n'est pas ouvrir la voie aux meurtriers, c'est au contraire permettre une réforme d'une religion tentée, au niveau mondial, par une dérive fanatique inquiétante. D'ailleurs, les premières victimes de cette dérive sont les musulmans eux-mêmes...
Une politique intelligente des cultes en France doit à la fois exercer une répression sans pitié contre les mosquées fondamentalistes, les imams douteux et tendre la main aux réformateurs.
Pendant des années, nous nous sommes agenouillés devant les fous de Dieu et nous avons bâillonné les libre-penseurs. N'oublions pas que le but des salafistes est de couper les "musulmans" du reste de la population en leur répétant qu'ils sont opprimés par les "infidèles". Il est urgent de fonder dans la loi un islam de France..."