RUPTURE
CONSOMMÉE ENTRE L'ÉGYPTE ET L'ARABIE
Par Jacques BENILLOUCHE
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Le Roi Salmane d'Arabie et Al-Sissi |
La crise entre l’Égypte et l’Arabie saoudite ne fait pas les
manchettes des media et pourtant elle risque de changer la donne géopolitique
au Moyen-Orient. Elle se fait discrète, comme si les protagonistes étaient gênés
d'avoir à s’expliquer sur les raisons d’une rupture consommée. La décision
de l’Arabie saoudite de ne plus fournir de produits pétroliers, sous forme de
dons ou de tarifs préférentiels, met en danger l’économie du président Al-Sissi.
Elle intervient sur fond de divergences sérieuses au sujet du conflit de Syrie
et du Yémen.
L’Arabie saoudite exerce une pression militaire et diplomatique
forte sur la Syrie pour forcer Bachar Al-Assad à quitter le pouvoir après une
période de transition durant laquelle les opposants syriens pourraient
s’entendre sur un successeur consensuel. En revanche, l’Égypte ne fait plus
mystère de sa volonté de sauver à tout prix le régime syrien et elle l’a
démontré en votant au Conseil de Sécurité de l’ONU en faveur de la
contre-proposition de résolution russe sur Alep, contre l’avis des États-Unis
et des pays du Golfe. L’ambassadeur saoudien à l’Onu n’a pas manqué à cette
occasion de fustiger l’attitude égyptienne : «il est pénible que les
Sénégalais et les Malaisiens aient des positions plus proches du consensus
arabe, que celle du représentant arabe au Conseil de sécurité, l'Égypte».
Ambassadeur d'Arabie à l'ONU |
Le président Sissi a défendu sa position en utilisant l’alibi de
la souveraineté de chaque pays : «Nous tenons beaucoup à nos relations
historiques avec nos frères dans le Golfe mais dans le cadre du respect mutuel
de la souveraineté des pays. Si l'on veut une véritable souveraineté dans les
prises de décision, il faut savoir que les nations qui sont souveraines dans
leurs décisions souffrent, elles souffrent beaucoup. Ceux qui veulent exercer
leur libre-arbitre doivent endurer».
Ce vote égyptien est à rapprocher de la stratégie d’abandon
d’Al-Sissi par Barack Obama qui a permis une entrée en force des Russes au
Moyen-Orient, et en Égypte en particulier. Les États-Unis ont été à l’origine
de la recomposition du paysage politique dans la région qui a entraîné une
rupture entre ses deux principaux alliés historiques. Alors, les Russes n’ont
pas perdu de temps pour s’engouffrer dans la brèche taillée par les Américains.
Paras russes |
Ainsi, sous prétexte de lutte antiterroriste, des manœuvres menées
par des unités de parachutistes russes et égyptiens ont eu lieu du 15 octobre
au 26 octobre 2016. Au cours des manœuvres, les militaires russes et égyptiens se
sont entraînés à localiser et à éliminer les formations militaires illégales
dans un environnement désertique. Les avions des forces aérospatiales russes, en
commun avec l'unité aéroportée, ont transporté sur le continent africain des
véhicules de combat BMD-2, des véhicules blindés BTR-D, ainsi qu'un équipement
spécial sur roues avec une haute capacité de franchissement. Plus de 100 tonnes
de matériel militaire et spécialisé ont été transportées à partir de six
aérodromes ; plus de 15 hélicoptères et avions à usage multiple, ainsi que
dix unités de combat parachutées et plus de 500 militaires égyptiens et russes
ont participé à l’exercice.
Nous sommes donc revenus à l’époque où des «conseillers
militaires russes» intervenaient en Afrique. Après la Guerre Froide, la
Russie ne s’y était plus impliquée militairement sauf pour y vendre ses armes.
Moscou a recommencé à s’intéresser au continent africain sur un plan essentiellement
économique. Les relations entre l’Égypte, qui bénéficie d’une aide militaire
américaine, et la Russie sont globalement bonnes. Cependant les deux pays ont
connu quelques tensions commerciales lorsque Moscou avait gelé les importations
de citrons égyptiens par représailles au refus d’une cargaison de blé russe par
les autorités sanitaires égyptiennes.
Les Houthis avec leurs missiles |
Mais un autre sujet empoisonne les relations entre Saoudiens et Égyptiens.
Al-Sissi a refusé de mettre ses troupes à la disposition de la coalition qui
combat les Houthis pro iraniens au Yémen. Les Saoudiens, qui ont soutenu le
régime d’Al-Sissi à coup de milliards de dollars, n’ont pas toléré
l’ingratitude des Égyptiens qui les ont lâchés au moment crucial où ils avaient
le plus besoin d’eux dans la guerre d'influence contre l'Iran.
L’Égypte a pris de gros risques, compte tenu de la froideur de
ses relations avec les États-Unis. L’arrêt de l’aide saoudienne risque
d’aggraver la crise économique et la stabilité sociale. L’Arabie ne pourra pas
pardonner à Al-Sissi d’avoir rejoint ses détracteurs et surtout d’avoir envisagé
une normalisation des relations avec l’Iran. Par ailleurs, l’Arabie
est très choquée par l'attitude égyptienne envers la Russie. Cette rupture
modifiera les futures alliances dans la région.
Mais Israël ne peut pas abandonner son allié égyptien dont les
relations n’ont subi aucune détérioration. Alors il envisage de venir à son
secours économique grâce à une série de projets économiques à grande échelle.
Selon Ynet, des discussions communes sur les projets reflètent non seulement un
rapprochement entre les deux pays, mais aussi un besoin urgent d'amélioration
de l'infrastructure en Égypte, compte tenu de la grave crise économique qui menace
la stabilité politique du pays. L’Égypte envisage des projets avec Israël pour la
désalinisation de l'eau de mer afin de compenser les problèmes du niveau d'eau
dans le Nil avec un risque de pénurie d'eau pour la consommation ou
l'irrigation. Israël se prépare également à fournir une assistance dans les
domaines de l'énergie solaire, la production d'électricité, l'agriculture,
l'irrigation, le gaz mais aussi dans le secteur du tourisme. Israël tient
absolument à sauvegarder la stabilité du régime égyptien car il s’agit d’une
protection contre la montée des Frères musulmans dans les rues avec, à la clef, un risque d’ébranler le régime du président Abdel Fatah al-Sissi.
La stratégie sécuritaire d’Israël passe par une alliance avec l’Égypte,
la Jordanie et l’Arabie saoudite. La rupture entre les deux principaux États
arabes sunnites risque donc de modifier ses plans. Le comble serait qu’Israël
soit à l’initiative d’une médiation entre les deux pays arabes pour restaurer
des relations rompues.
La dernière phrase de votre article est succulente, M. Benillouche : Israël médiateur entre deux puissances arabes, on croit rêver !
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