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dimanche 25 septembre 2016

L'espace exigu d'un grand centre israélien


L’ESPACE EXIGU D’UN GRAND CENTRE ISRAÉLIEN
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps

Lapid à Ashdod
Les tentatives de positionnement au centre de nouveaux partis israéliens n’ont jamais manqué, surtout à l’approche d’élections, avec plus ou moins de réussite. La plupart n’ont eu qu’une existence limitée à une seule législature une fois que le rêve est estompé. Seul Ariel Sharon avait pu insuffler une véritable stratégie du centre avec son parti Kadima qui regroupait des personnalités travaillistes, dont Shimon Pérès, des transfuges du Likoud comme Tsipi Livni ou des indépendants. Mais ce parti n’a pas survécu à la disparition de son leader.





Ariel Sharon et Tomy Lapid, père de Yaïr

Il existe une sorte de malédiction qui pèse sur les tentatives centristes en Israël. Pourtant, aujourd’hui comme hier, face à l’effondrement prévisible des travaillistes, nombreux sont ceux qui pensent qu'un nouveau centre, sous l’impulsion de Yaïr Lapid, reste la seule alternative au régime de droite de Netanyahou. Mais il n’est pas le seul à choisir cette voie qui est aussi convoitée par Moshé Yaalon, Ehud Barak, Tsipi Livni et l’ancien chef d’État-major Gaby Ashkénazi. 
Pour l’instant, les sondages placent Lapid en tête de tous les dirigeants capables d'être premier ministre mais les sondages ne sont pas des votes réels et ils se trompent souvent. Il est vrai que le souhait de changement est fort auprès des électeurs depuis que le Likoud a été cédé aux mains des nationalistes et que Netanyahou a offert une voie royale aux orthodoxes religieux. C’est pourquoi Lapid a choisi la stratégie de ni-droite, ni-gauche, et il vise les déçus de tous bords parmi les Juifs religieux et laïcs, les sympathisants de gauche et même parmi les habitants des implantations qui pour certains, ont choisi cette voie non pas par idéologie, mais par intérêt économique.
Shimon Péres et Lipkin-Shahak

Mais les sondages israéliens sont peu fiables. Sans aller trop loin dans l’histoire centriste, la tentative de 1999, celle de l’ancien chef d’État-major, Amnon Lipkin-Shahak, avait été vouée à l'échec. La situation politique d’alors était pratiquement similaire à celle de 2016 comme si l’Histoire bégayait. Après avoir quitté l'armée, il avait exprimé des opinions pacifistes et avait sévèrement critiqué le Premier ministre d’alors, Benjamin Netanyahou. Il avait donc appelé à la création d'un parti centriste incluant des représentants de tout le spectre politique. 
Son diagnostic fut sévère et d'actualité : «Le Parti travailliste seul ne sera pas en mesure de parvenir à la paix en raison de l'image de gauche qui lui est attachée, tandis qu'un nouveau parti centriste qui inclurait des forces de droite pourrait réussir». Mais les résultats n'avaient pas suivi les sondages qui lui prédisaient 30 sièges alors qu’il n’obtint que 6 députés sur 120 aux élections du 17 mai 1999. Le parti, artificiellement créé, explosa d’ailleurs à la fin de la législature.
Netanyahou, Olmert, Sharon et Péres

Les électeurs sont souvent conservateurs face aux urnes et préfèrent éviter l’aventure en revenant à leurs fondamentaux. De leur côté, les partis s’identifient à un homme et non à ses idées. Ainsi, à la mort d’Ariel Sharon, Kadima n’a obtenu en 2009 que 29 mandats sans possibilité réelle de bâtir une coalition viable. Et pourtant il existe bien un vote centriste en Israël qui n’arrive à s’exprimer qu’en présence d’un leader charismatique.
Aujourd’hui, l’opinion publique israélienne a viré à droite, voire à l’extrême-droite. Yaïr Lapid est conscient du défi auquel il doit faire face. Il a fait le choix de s’attacher à des thèmes fédérateurs sans se fourvoyer sur les solutions diplomatiques non consensuelles.

Ainsi le président de Yesh Atid a dévoilé, le 18 septembre 2016, son plan en sept points quand il a vu les résultats de nouveaux sondages qui le placent avant le Likoud. Le programme de Lapid concernait la sécurité, les alliances stratégiques, la diplomatie régionale, la révision et le nettoyage de la politique, le renforcement de l'application de la loi, l'économie et la promotion de la science et de l'éducation. Vaste programme qui met cependant en sourdine le sujet clivant des négociations avec les Palestiniens, au profit des problèmes de la société israélienne.
Sur la sécurité, Lapid a critiqué la guerre de 2014 à Gaza en estimant que «l'armée israélienne ne doit pas se perdre dans des campagnes prolongées. 51 jours d’opérations étaient trop longs. Une guerre tous les deux ans c’est est trop Nous devons nous efforcer de mener des campagnes courtes et puissantes avec des gains tangibles».
Sur le plan diplomatique il veut qu’«Israël mette en action une initiative régionale de paix qui devrait inclure l'Arabie Saoudite, l'Égypte et les pays du Golfe - toutes ces nations qui sont menacées par l'Iran». Pour atteindre cet objectif, il envisage d’organiser une conférence régionale dont le «premier objectif serait d'installer un mécanisme pour la reconstruction de Gaza en échange de sa démilitarisation ».
Sur le plan interne, il envisage de sérieux efforts pour lutter contre la corruption et soutiendra toute législation qui empêchera des criminels de devenir ministres, députés ou maires. La loi israélienne ne prévoit pas cette limitation.
Mais depuis quelques jours il semble que la concurrence s’exprime pour le leadership du centre avec des revenants politiques que l’on croyait déjà promus au musée de l’Histoire. Ehud Barak et Tsipi Livni ont effacé les griefs qui les séparaient pour se retrouver à une session de la Clinton Global Initiative (CGI) qui s’était tenue en marge de la 71ème session de l’Assemblée générale de l’ONU. La CGI fait venir des membres provenant des quatre coins du monde pour traduire les bonnes idées en résultats concrets sur le terrain.
Barak et Livni s’inquiètent cependant de l’ascension du «jeunot» de la politique qui piétine leurs plates-bandes. Ils en sont à réclamer des primaires centristes pour éviter un combat fratricide destructeur mais cela n’entre pas dans la stratégie de Lapid. Il a fait comprendre qu’il n’est pas question pour lui de s’associer avec ces deux anciens dirigeants démonétisés. Il s’agit peut-être d’une tactique temporaire car on ne voit pas l’émergence d’un grand parti centriste sans ceux qui ont fait les beaux jours travaillistes ou centristes. Par ailleurs, l’ancien ministre de la défense, Moshé Yaalon, n’a pas encore fait son choix, ni Gaby Ashkénazi qui à eux deux représentent la caution sécuritaire pour tout nouveau parti qui veut ratisser large.  
Yaalon, Lapid et Livni

Mais l'évolution stratégique de Lapid inquiète les laïcs qui se sentent abandonnés par les dirigeants politiques israéliens alors qu’ils représentent un matelas de voix non négligeable. La crise du travail durant le Shabbat dans les chemins de fer a pourtant montré qu’ils savaient se mobiliser et faire intervenir la Cour Suprême pour annuler une décision ministérielle. Mais l’homme qui a toujours combattu la coercition religieuse des orthodoxes a mis une pédale douce puisqu’il n’est pas intervenu sur le sujet. Les laïcs ont été attristés par son silence et l’interprètent comme une volonté de ne pas se couper du milieu orthodoxe qui pourrait apporter son soutien à une éventuel gouvernement de coalition.

Il est vrai que Lapid ménage l’avenir et qu’il avait déjà fait appel, aux élections de 22 janvier 2013, au rabbin orthodoxe Dov Lipman qui avait été élu sur sa liste à la Knesset.  Par ailleurs, le ministre de l'Intérieur et chef de file du parti orthodoxe sépharade Shass, Arie Déry, a reconnu sur les ondes de Kol Israël qu'il n'était pas impossible que sa formation entre dans un gouvernement dirigé par Yaïr Lapid.  Enfin, il compte surfer sur la pression des ultra-orthodoxes, du Shass en particulier, qui envisagent d'ajouter de nouvelles activités publiques à leur liste d’interdiction. Mais cette position ambigüe et hésitante déçoit beaucoup de ses partisans. Ils ne comprennent pas que le thème anti-orthodoxes, qui a fait de lui une vedette politique, soit remisé au rayon du passé, pour des calculs politiques.
L’ancien ambassadeur d’Israël, Arie Avidor, est sceptique sur l’avenir d’un nouveau centre : «les autres forces politiques, les ultra-orthodoxes et les nationaux-messianiques, membres de la coalition, la gauche qui ne représente plus qu'un peu moins de 15% et un centre amorphe (20%) regroupé derrière Lapid. Il faut bien se rendre à l'évidence que le rêve sioniste a été kidnappé, dérouté et dépravé par une coalition politique des forces populistes, ultraorthodoxes et nationales-messianistes qui ont exploité à leur profit un système électoral inadapté, le scrutin à la proportionnelle intégrale».

2 commentaires:

Marco KOSKAS a dit…

Quand la droite est usée et la gauche discréditée, une nouvelle force finit par émerger. C'est pourquoi Lapid est au contraire le prochain PM, en tous cas c'est Yesh Atid qui fera la majorité ou la défera. Avec la fin du mandat d'Obama, que Bibi a contenu avec une grande maestria pendant 8 ans, l'électeur israélien sent qu'il faut maintenant un peu d'air frais. Lapid remplira non pas l'espace traditionnel du Centre mais un besoin de faire le ménage de Pessah dans les institutions.

דוב קרבי dov kravi a dit…

Tout le monde sait, surtout ceux à qui profite le mode de scrutin actuel, qu'une politique saine ne se peut concevoir qu'avec l'abandon du scrutin à la proportionnelle intégrale. Les petits partis sectoriels dictent leurs desiderata par chantage. Bonne chance aux politiciens qui s'attaqueraient À cette réforme électorale.