APRÈS DES ANNÉES DE SOUMISSION, LES
KURDES D’IRAN SE REBIFFENT
Par Jacques BENILLOUCHE
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On parle peu des Kurdes d’Iran, ignorés par les Occidentaux, alors que leurs frères syriens accumulent chaque jour de nombreuses victoires sur Daesh. Ils ne font pas parler d’eux parce qu’ils sont soumis à la répression des mollahs iraniens qui veulent absolument les éloigner du rêve kurde. Le régime estime en effet que ces Kurdes sont avant tout iraniens et qu’ils n’ont aucune revendication à exprimer.
Ils combattent pourtant le régime depuis les années 1920, en vain. Ils
militent au sein de partis iraniens d’opposition dont les membres ont dû
s’installer depuis 1984 au Kurdistan irakien pour fuir la répression.
Représentant 13% de la population, ils mènent un combat pour la reconnaissance
de leurs droits politiques et culturels. Ils avaient franchi une première étape
jusqu’à créer le 22 janvier 1946 la République de Mahābād, au nord-ouest de
l’Iran. Qazi Muhammad fut président de la République, et Moustafa Barzani
ministre de la Défense. Cette république éphémère fut battue moins d'un an plus
tard par l’armée iranienne. Qazi Muhammad fut exécuté en public au centre de sa
nouvelle capitale Mahābād.
Cela mit fin aux prétentions d’une minorité qui subit bien plus tard, dans
les années 1980 à l’avènement du régime islamiste, une répression brutale et sanglante traduite
par l’exécution des principaux opposants kurdes. Mais la faiblesse des Kurdes
iraniens, encore aujourd’hui, s’explique par leur division qui affaiblit leur
combat au sein d’une opposition éclatée. Trois partis d’opposition regroupent
cette minorité : le PDKI (parti démocratique du Kurdistan), le
Komala (parti kurde communiste) et le PJAK (parti pour une vie libre
au Kurdistan), branche iranienne du PKK turque (Parti des travailleurs
kurdes). Contraints à l’exil au Kurdistan irakien, leur influence s’est trouvé
limitée en Iran. Par ailleurs, Téhéran a tout fait pour éliminer ceux qui
pouvaient avoir la prétention de devenir leader charismatique.
Abdul-Rahman Kasimlu |
Tous les chefs historiques ont été assassinés. Le plus célèbre, Abdul-Rahman Kasimlu, leader du PDKI a été abattu à la table des négociations à
Vienne. En 1979, il avait soutenu la révolution contre Mohammad Reza Shah
Pahlavi mais Khomeiny avait imposé que tous ceux qui avaient combattu le Shah déposent
leurs armes, ce qu’a refusé Kasimlu car il exigeait auparavant l’autonomie
pour les Kurdes. Ce fut alors le début d’un conflit ouvert avec les mollahs
dont la rancune n’avait d’égale que la patience. En effet, le gouvernement
iranien avait suscité une rencontre pour convenir d’un arrangement acceptable. Plusieurs
réunions avaient été organisées à Vienne. Ainsi le 13 Juillet 1989, dans la
salle même où la négociation avait lieu, il fut assassiné de trois balles
tirées à bout portant par un membre de la délégation iranienne. Il fut enterré le
20 Juillet à Paris au cimetière du Père Lachaise.
Combattants du PDKI à la frontière irano-irakienne |
Les Kurdes iraniens, contrairement à ceux d’Irak et de Syrie, sont les
oubliés de l’opinion internationale qui n’est occupée qu’à neutraliser Daesh
sans mesurer l’importance de l’autre combat contre l’extrémisme religieux de
Téhéran. Cependant les victoires accumulées par les Kurdes des pays voisins ont attisé le
sentiment combatif des Kurdes d’Iran qui ont intensifié les opérations armées.
Téhéran ne pouvait pas prendre le risque d’une contamination qui pousserait
d’autres combattants ou d’autres minorités à rallier leur cause. Des
escarmouches quotidiennes sont devenues routinières depuis la ville irakienne
de Koya d’où les rebelles du PDKI mènent une guérilla contre les forces armées
de l’Iran. Le 6 septembre, un groupe de combattants est entré dans la ville de
Sardacht, dans l’ouest de l’Iran, en tuant six soldats iraniens au cours d’un
affrontement.
Chefs du PKDI |
Les Kurdes connaissent parfaitement la frontière montagneuse à travers
laquelle ils se mesurent aux unités d’élite des Gardiens de la révolution
islamique. Leur infiltration a pour but de sensibiliser et de soulever les
populations kurdes iraniennes pour les rallier à leur cause. Ils estiment
qu’ils n’ont pas d’autre option que la lutte armée s’ils veulent obtenir
quelques avancées politiques. Le régime iranien a toujours refusé d’engager un
dialogue pour trouver une solution pacifique et il persiste à priver de leurs
droits les Kurdes qui subissent une discrimination en les privant de
représentation politique équitable et en les pénalisant sur le plan économique.
À chaque tentative de soulèvement, ils font alors l’objet d’une répression
brutale.
Les victimes kurdes de Rohani |
La minorité kurde avait beaucoup espéré de l’arrivée au pouvoir du
président Rohani. Mais il n’a jamais cessé de traiter la question kurde, aussi
bien l'aspect économique que sociétal et culturel, de manière uniquement
sécuritaire. Pourtant Rohani avait pris l’engagement d’améliorer la condition
de sa minorité kurde. Mais l’inaction de l’administration dite «modérée»
de l’Iran, ainsi qu’une répression accrue, ont poussé les Kurdes d’Iran à réévaluer
leur stratégie de résistance.
La situation des Kurdes d’Iran a été rarement abordée. Il a fallu des
manifestations en mai 2015 pour mettre en relief la réelle indignation au sein
de cette minorité de sept millions d'individus à l'égard de la politique
iranienne. Débutant à Mahābād, à la suite de la mort d’un jeune kurde de 25 ans
tombé du quatrième étage pour échapper à un militaire iranien, elles ont rapidement
pris un caractère national, en s’étendant dans plusieurs autres villes.
Mais le concept même de la République islamique d'Iran, fondée sur le
principe du «peuple unique», les Perses, avec une religion d'État, le
chiisme, et une seule langue, le persan empêche toute émergence d’une
quelconque autonomie. Cela explique les discriminations non seulement envers
les Kurdes mais aussi envers les Arabes et les Baloutches.
Les Kurdes sont exclus de l'appareil du pouvoir ; ministres et ambassadeurs
appartiennent au sérail islamique. Le
Kurdistan iranien a volontairement été abandonné par le régime des mollahs qui
a sous-investi dans l'agriculture et dans les entreprises de cette région,
entrainant une pauvreté et un chômage en moyenne cinq fois supérieurs à la
moyenne nationale. Les prisonniers politiques, en surnombre, sont détenus dans
des établissements pénitentiaires, sous le joug du corps des gardiens de la
révolution, où le droit ne s'applique pas puisqu’ils subissent toutes sortes de tortures physiques
et psychologiques.
Mais la situation politique a depuis changé dans la région. La montée en
puissance des Kurdes en Irak et en Syrie met à présent en évidence la gravité
du problème. Alors le gouvernement a tenté quelques réformes comme l'ouverture
à d'autres langues dans les universités. Les étudiants au Kurdistan iranien
peuvent, depuis mars 2015, choisir le kurde dans les écoles de l'Iran
occidental. Sur le plan économique, un gazoduc a été mis en place pour
alimenter directement l'Ouest iranien afin de créer de petites industries de
produits semi-raffinés et de fabrication de matière plastique et chimique. Mais
le gouvernement n’est pas conscient de son erreur dans sa logique
d'intégration. Il est persuadé que les Kurdes n'ont aucune volonté de se
détacher par la force et qu’ils souhaitent faire valoir leur identité
culturelle à l'intérieur de l'Iran. Avec ce raisonnement, il y a donc peu de
chances de les voir obtenir une quelconque autonomie. La plupart quittent le
pays vers de nouveaux horizons.
Bien sûr, la réussite des Kurdes dans les pays voisins reste pour eux une
référence. En Irak, le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) a déjà acquis
une large autonomie et prépare même son indépendance. En Syrie, les Kurdes ont
accaparé une région dans le nord du pays qu’ils n’entendent pas rendre.
L’exemple turc les encourage à envisager une solution militaire en Iran. Le
PDKI estime que le moment est venu de lancer une offensive contre l’armée
iranienne espérant, en fait, obtenir un soutien de certains pays arabes
inquiets de la capacité de nuisance des Iraniens. Les troupes kurdes sont déjà bien
réparties à travers la chaine de montagnes qui longent la frontière et se font
aider par les contrebandiers d’alcool.
Entrainement à Erbil des combattants du PDKI |
Quatre combats ont déjà eu lieu entre l’armée iranienne et les Peshmergas
ce qui a contraint l’Iran à consolider sa défense à la frontière. Le combat est
cependant déséquilibré face aux forces iraniennes super armées. Mais les Kurdes
d’Iran sont fiers d’avoir renoué avec un combat en sommeil depuis 25 ans. Ils
sont courageux car ils manquent d’armement sophistiqué, de matériel lourd et de
missiles. La seule bonne volonté ne suffit pas et il leur est difficile de se
mesurer à la puissante armée iranienne.
Mais une évolution se fait jour ;
au PDKI s’est joint le PAK considéré comme le plus belliqueux. Ses combattants sont
pour l’instant déployés sur le front de Kirkūk et à proximité de Mossoul, où
ils cherchent à contenir Daesh. Mais ils comptent rejoindre leurs frères en
Iran lorsque leur mission contre l’État islamique sera achevée. Ils auront alors
acquis beaucoup d’expérience pour lutter contre les Gardiens de la révolution.
Blindage de fortune sur un véhicule kurde |
Mais, pour des raisons politiques, ces deux groupes s’opposent sur
l’objectif final. Le PDKI aspire à une autonomie au sein d’une région en Iran
tandis que le PAK met la barre haute en exigeant l’indépendance. Dans
l’immédiat et c’est une lacune, les combattants du PAK sont installés en Irak
et il est difficile pour eux de lancer des attaques en Iran.
Combattant du PAK dans la montagne |
La troisième composante kurde, le PJAK (parti pour une vie libre au
Kurdistan) a choisi pour l’instant la neutralité car l’Iran et Bachar
al-Assad ont conclu un pacte avec son allié, le PKK de Syrie. Le PJAK se trouve donc dans une phase de
trêve virtuelle avec l’Iran depuis 2012 à la suite de cet accord. Le PJAK
attend une solution en Syrie pour se libérer de ses engagements. Ses troupes
constitueraient alors une force beaucoup plus puissante que le PDKI. Les Kurdes
pourraient alors intervenir pour faire évoluer la situation et pour susciter
une insurrection en Iran.
Les Israéliens ne verraient pas d’un mauvais œil des troubles fomentés à
l’intérieur du territoire des mollahs car ce serait un point de fixation pour
les troupes d’élite iraniennes qui, en plus de leur engagement en Syrie, risquent de s’enliser dans une région
difficile d’accès. Ils espèrent aussi que les Kurdes iraniens, comme leurs
frères, seront ouverts à des relations avec l’État hébreu.
L'Occident a sa part de responsabilité dans le dépeçage de l'espace kurde entre les 4 pays Turquie, Iran, Irak et Syrie... par conséquent il a cette obligation d'aider les Kurdes à retrouver leur identité pleine et leurs régions propres, surtout au moment où les forces haineuses, belliqueuses, (l'islamisme, le bellicisme iranien....) deviennent un vrai danger pour la paix dans cette région du monde.
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