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jeudi 7 juillet 2016

Rencontres avec Rocard et Wiesel par Alain PIERRET



RENCONTRES AVEC ROCARD ET WIESEL

Par Alain PIERRET

Ancien Ambassadeur de France




          Diplomate, ambassadeur, j’ai eu le privilège de croiser la route de personnalités exceptionnelles au premier rang desquelles je place Simone Veil. Mais il y en eut d’autres. J’ai rencontré Michel Rocard en Yougoslavie. D’abord, par l’expérience du système autogestionnaire mis en place par Tito, au lendemain de sa courageuse rupture d’avec le marxisme-léninisme stalinien en 1948. Gestion des travailleurs en principe assurée librement, elle était en fait contrôlée par le parti communiste yougoslave.


Dès mon arrivée en 1975, je réalisais combien cette vision idéale de la société était devenue chimérique. Au PSU, Rocard en avait fait le symbole de l’évolution socialiste qu’il prônait. Rapidement, il devait lui aussi en réaliser le caractère irréaliste. Je note que ces jours-ci les éloges à sa mémoire, au demeurant justifiés, occultent généralement cette orientation politique du disparu.
Funérailles Tito

Je devais le retrouver, si je peux dire physiquement cette fois, aux funérailles de Tito le 8 mai 1980. Si le président de la République s’était abstenu de se montrer, nos interlocuteurs nous dirent leur stupéfaction d’avoir à accueillir deux délégations officielles du parti socialiste. L’une était dirigée par François Mitterrand. Venu en avion privé avec Lionel Jospin, il ignora l’ambassade. L’autre comprenait Michel Rocard et Jean-Pierre Cot qui avait eu la courtoisie de m’informer par téléphone de son arrivée par Air France. Je suis allé les accueillir à l’aéroport. De cette grandiose manifestation, on a surtout retenu l’accolade donnée par Rocard à Arafat, la première manifestation française d’amitié accordée de façon aussi ostentatoire au président de l’OLP.

Devenu Premier ministre, je l’ai retrouvé fin 1989 en Israël pour l’inauguration «privée» d’une rue Pierre Mendès-France longeant la clôture de la résidence à Jaffa. À la surprise générale, Yitzhak Shamir le reçut à dîner chez lui, avec plusieurs ministres travaillistes. Le lendemain, après un vin d’honneur auquel Michel Rocard s’entretint avec les participants, il présida un déjeuner officiel avec les dirigeants israéliens présents, incluant également le président de la communauté arabe locale. 
18 décembre 1989 avec Haïm Herzog 

À Jérusalem, il rencontra le chef de l’État Haïm Herzog, son homologue Yitzhak Shamir, de nouveau Shimon Pérès et Moshé Arens. Le bulletin de «Chronologie de politique internationale» du Quai d’Orsay n’en fit pas mention, mais cita ses entretiens au consulat général avec «une délégation composée de treize personnalités palestiniennes de Cisjordanie et de la bande de Gaza».
Des visites gouvernementales à Paris et celle du chef de l’État en octobre 1988 m’ont encore donné l’occasion de revoir celui qui venait, à contrecœur, d’être appelé à Matignon par notre président. À Bruxelles, j’entendrai justement parler de ces rapports conflictuels. Pour son petit déjeuner, ma femme apporte les journaux à Danièle Mitterrand (accueillie trois fois à notre résidence). Bref échange en regardant les gros titres barrant les unes à propos du big-bang rocardien : «Ah ! Celui-là, j’ai toujours dit à François de s’en méfier !».
Inauguration rue Mendes-France avec Shimon Péres et Michel Rocard

En Israël, j’ai vu Elie Wiesel à deux reprises. Tout d’abord, à l’occasion de réceptions empreintes qui lui furent offertes pour son prix Nobel de la paix. J’avais alors bien accroché avec ce francophone francophile. En janvier 1991, angoissé par la guerre du Golfe qui commençait, les premiers missiles irakiens tombant sur Tel Aviv alors même que de nombreux Israéliens ont préféré trouver refuge loin du pays y compris aux États-Unis, il débarque apporter au soutien à son peuple.
Elie Wiesel et Alain Pierret à Jérusalem décembre 1986

Au King David, sa fenêtre donne sur les murailles de la vieille ville de Jérusalem. Il me fait part de l’émotion qui le saisit chaque fois qu’il vient dans cette cité au moins trois fois millénaire que se disputent les hommes. «Je ne percevrai jamais mieux qu’en cet instant la signification et la valeur du terme "judéo-chrétien" s’appliquant à cette culture et à ces traditions que nous partageons – ou devrions partager». [*]
Avant de nous quitter, Elie Wiesel me suggère de rencontrer le président Mitterrand à mon prochain voyage à Paris et il s’emploiera à faciliter cette audience car, y faisant escale, il le verra ces prochains jours. Le message a été transmis. J’y serai moi-même quelques semaines plus tard accompagnant le ministre des Affaires étrangères, malgré l’attitude négative de mes interlocuteurs du Quai qui ont refusé de prendre à charge mon billet d’avion. À l’issue de l’entretien qu’il accorde à David Lévy, le président se tourne vers moi et, devant Roland Dumas, un bref dialogue s’établit : «Monsieur l’ambassadeur, vous avez demandé à me voir. […] C’est d’accord. On va arranger cela». L’audience n’aura pas lieu, à l’Élysée comme au Quai, on n’a pas bougé.


[*] (Ambassadeur en Israël, 1999).

2 commentaires:

  1. Véronique ALLOUCHE5 juillet 2016 à 11:08

    Merci Monsieur l'ambassadeur d'avoir écrit quelques mots sur Elie Wiesel alors que d'autres ici n'ont pas pris cette peine.
    Permettez-moi d'apporter ma pensée le concernant: C'est une banalité que de vous dire l'admiration que je vous portais. Je suis fière d'avoir été votre contemporaine et vous remercie Monsieur, pour votre œuvre et votre grandeur d'âme.
    Bien cordialement
    Veronique Allouche

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  2. La dernière femme de Rocard était israélienne. Ce que j'aurais aimé savoir c'est si cette union aura changé quelque chose sur sa perception du Moyen-Orient.

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