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samedi 23 juillet 2016

Kol-Israël : Retour sur un coup d’État d'amateurs en Turquie



Radio KOL-ISRAËL

RETOUR SUR UN COUP D’ÉTAT D’AMATEURS EN TURQUIE


Jacques BENILLOUCHE
Au micro de
Annie GABBAÏ

Les militaires bloquent le  pont du Bosphore illuminé aux couleurs de la France en hommage à Nice 

L’analyse que l’on peut faire à froid sur l’échec du coup d’État en Turquie révèle l’amateurisme de ceux qui l’on perpétré. Et cela étonne car figuraient à la tête du complot deux hauts gradés militaires : le général Akın Öztürk, ancien commandant de la Force aérienne turque qui a servi pendant plus de 40 ans en tant que pilote membre du Conseil militaire suprême. Ancien attaché militaire en Israël de 1996 à 1998, il était l'un des héros turcs les plus décorés. Son co-auteur, le général de division Metin İyidil, avait participé à de nombreux combats et était chargé de la formation des forces terrestres.
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Le général Kenan Evren lors du coup d'Etat réussi de 1980 

Les vétérans des coups d'État militaires, qui ont eu lieu en Turquie, doivent s’amuser face à une telle ampleur de négligences difficilement explicables. Même un profane, sans être expert en stratégie militaire, peut se poser avec naïveté plusieurs questions :
1/ Les meneurs n’ont pas occupé la télévision pour convaincre la population et les militaires hésitants. Au lieu de neutraliser les principales chaînes d’information, ils ont perdu un temps précieux à occuper ​​la chaîne de télévision d’État, la moins regardée, permettant au régime d’utiliser les autres canaux les plus populaires pour contester la tentative de coup d'État.
Speakerine de la TRT prise en otage par les mutins

2/ Le visage des meneurs n’est jamais apparu à l’écran pour rassurer une population qui croyait que le coup d’État était l’œuvre d’un colonel inconnu. Il s’agit d’une grosse lacune de communication à l’ère de la télévision. Selon un expert militaire, la réussite d’un coup passe toujours par la capture du leader, puis des médias, pour exposer le leader humilié. Or au moment du coup d’État, Erdogan était déjà sécurisé.
3/ Les tanks n’ont pas envahi l’assemblée nationale symbole de toute prise de pouvoir et ont attendu la riposte de l’aviation, en se cantonnant à occuper certains ponts peu stratégiques. Les mutins n’ont pas pris d’assaut le ministère de la défense pour bloquer toutes communications entre les corps d’armée et neutraliser les officiers de service.
4/ Les putschistes, qui savaient qu’Erdogan était en vacances dans la ville balnéaire méditerranéenne de Marmaris, peu défendue militairement, n’ont pas envoyé une équipe pour le neutraliser. Ils l’ont laissé librement voler depuis Marmaris jusqu’à Istanbul, en toute liberté et en toute sécurité pendant une heure, alors que les rebelles avaient l’avion d’Erdogan dans leur ligne de tir.
Marmaris

5/ Au lieu de pousser la population à manifester, les mutins lui ont conseillé de rester chez elle pour éviter les victimes civiles. Les partisans du régime ont donc eu la rue pour eux.
On pourrait continuer à égrainer la liste des erreurs. Cet amateurisme a même poussé certains observateurs à croire qu’il s’agissait d’une mise en scène d’Erdogan et que le coup d’État était bidon. Il est difficile de penser que l’on puisse pousser le machiavélisme, sinon le vice, d’Erdogan jusque-là. Il a eu la baraka grâce aux maladresses, les mêmes dont le général de Gaulle a bénéficié avec les conjurés du Petit-Clamart. Mais de là à penser qu’Erdogan, avec la bénédiction des forces occidentales, a organisé lui-même ce coup d'État, il y a un pas difficile à franchir. Il semble que le sort se soit joué sur le rôle du commandant en charge de la défense d’Istanbul. Il a joué le double jeu en faisant allégeance aux putschistes puis en demandant à Erdogan de venir à Istanbul, où il lui assurait sa sécurité.

Beaucoup de conséquences peuvent être tirées. D’abord la répression va être terrible et l’armée décapitée aura du mal à s’en remettre après les nombreuses purges qu’elle a déjà subies les années précédentes. Les dommages infligés seront graves. La réputation de la Turquie, comme pays islamiste modéré et bastion de stabilité dans une région volatile, va être ternie surtout après l’assassinat gratuit de centaines de soldats. On croyait que les coups d’État en Turquie étaient devenus une relique du passé et que les militaires étaient rentrés dans l’ordre. Le doute subsiste donc à présent. Par ailleurs, il est certain qu’une des armées de l’OTAN, l’une des plus puissantes de la région, est à présent contrôlée par une faction islamique qui a empêché le régime de tomber. L'Europe réfléchira à deux fois avant d'intégrer la Turquie parmi elle.
Les opérations militaires vont subir le contrecoup de cette désorganisation. Plus de 40 généraux sont parmi les 3.000 putschistes arrêtés avec parmi eux un général quatre étoiles, qui commande la deuxième armée responsable des régions proches de la Syrie et de l’Irak. Des dizaines de généraux des troupes terrestres et des unités de gendarmerie luttant contre les insurgés kurdes, et les unités de combat de la marine et la force aérienne sont impliqués. Un autre général quatre étoiles - commandant de la troisième armée - a également été arrêté.
Toutes ces mises en cause de militaires posent le problème des lacunes d’information de la part des services de renseignement turcs. Trop d’officiers étaient mêlés à ce complot pour qu’ils ne réussissent pas à l’éventer. Un doute subsistera donc sur l’étendue des compromissions et sur la complicité de ceux qui ont laissé faire, ce qui justifie la grande purge qui est en cours. L’armée mettra du temps à s’en remettre. Erdogan sort peut-être renforcé et il pourra imposer sa loi à son parlement mais son armée finit en lambeaux. Il risque pendant un certain temps de ne plus avoir les moyens de sa politique militaire face aux Kurdes et aux soldats de Bachar Al-Assad.  Le danger viendra pour lui de l'extérieur.
Le sentiment de panique qui étreint Erdogan actuellement explique sa décision d'instaurer l'état d'urgence pendant trois mois. Il n'a plus l'assurance qu'il affichait après sa victoire aux dernières élections législatives. Le danger rôde autour de lui et de son régime.  

1 commentaire:

  1. Emmanuel DOUBCHAK21 juillet 2016 à 08:31

    Voilà où mène la mégalomanie... Un pays affaibli sur tous les plans!

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