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jeudi 12 mai 2016

La mise en garde des patrons israéliens



LA MISE EN GARDE DES PATRONS ISRAÉLIENS

Par Jacques BENILLOUCHE
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Shraga Brosh

          Ce n’est pas un «gauchiste» qui le prédit ni un opposant au gouvernement Netanyahou mais le patron des patrons, le véritable représentant de l’ultra-libéralisme en Israël. L’économie israélienne a trop vécu sur ses acquis et elle risque à présent de payer le prix d’une politique ministérielle imprévoyante. Shraga Brosh, président de la fédération des industriels israéliens, prévoit que les licenciements planifiés par la société Intel seront le prélude à des dégraissages encore plus massifs de la part des entreprises israéliennes. Après des années glorieuses, l’économie risque de connaître un réveil brutal.



Intel Haïfa

            Son diagnostic lors d’une conférence au ministère de l’économie est sans appel : «L’économie fait face à une grande vague de mises à pied. Ils disent que nous sommes une Nation start-up, mais il y a eu des licenciements dans tous les secteurs industriels, et ce sera la même chose avec la prochaine vague de mises à pied que j’anticipe». La mise en garde est claire et elle n’est surtout pas partisane. Les chiffres officiels ne laissent aucun doute. L'économie israélienne tousse. Il faut se méfier des illusions d'optique trompeuses.
          Depuis le début de l’année 2015, 2.225 ouvriers ont été licenciés soit 0,5% de la main-d’œuvre industrielle. D’autres licenciements sont à attendre dans tous les domaines. Pour la première fois et c'est une nouveauté, les sociétés de high-tech sont en cause, celles sur lesquelles repose l'avenir économique du pays. Les fleurons de l’industrie sont touchés à l’instar des sociétés de composants électroniques, d’équipements électroniques, de matériel de communication, d’équipements électriques et de machines. Les pertes d’emplois entraînent des catastrophes en cascades avec, à la clef, un possible éclatement de la bulle immobilière car les chômeurs ne peuvent plus payer leur crédit immobilier.  


            Selon Shraga Brosh, les statistiques ont été biaisées parce que le secteur public a embauché plus que de besoin pour éviter que le chômage n’atteigne 8%. L’activité économique, ralentie pendant huit jours en raison des fêtes de Pessah, doit rattraper son retard si l’on ne veut pas que les chiffres soient dramatiques. Selon l’officiel Institut israélien de la Statistique, les indicateurs de l’économie au cours du premier trimestre 2016 sont contrastés.
            Les importations de marchandises sont en hausse tandis que les exportations connaissent une baisse ce qui rend moins lisible l’avenir. Les importations ont augmenté de 5,6% en 2016. Les ventes du commerce de détail se maintiennent avec 0,6% d’augmentation après 3,7% au trimestre précédent. Les exportations se sont contractées suite à la baisse de la compétitivité due à l'appréciation du Shekel par rapport aux devises étrangères. Cette tendance a été compensée par la consommation intérieure portée par une augmentation des salaires réels (+3%). L'inflation a été négative (-1%) tandis que le taux directeur de la banque centrale a été ramené à 0,1%, son plus bas niveau historique.
            Les statistiques montrent que le marché qui a montré la plus forte croissance dans l'absorption des exportations israéliennes a été la Chine, passant de 2% du total des exportations d'Israël à 6 %. Le marché turc a également montré une augmentation significative. Mais l’inquiétude vient des États-Unis sans que l’on sache s’il y a un lien avec la brouille entre Obama et Netanyahou : en 2000 les États-Unis achetaient 32% des exportations d'Israël mais maintenant le volume est tombé à 24%. Les marchés asiatiques ont également diminué, à l'exception de la Chine et de l'Inde. C’est pourquoi Israël tente de développer de nouveaux marchés en Asie, en Amérique latine et en Afrique.

            Le chômage est pour l’instant à son plus bas niveau incompressible avec 5,3%. Mais il risque de connaître une hausse malgré le paradoxe d’une pénurie de main-d’œuvre ; on évalue à 90.000 le nombre d’emplois non pourvus. Les exportations connaissent une période difficile avec une chute de 14% en moyenne avec une baisse de 24% pour les seuls produits de high-tech. La production industrielle a reculé de 2,3%. Le pays s’enfonce dans une spirale déflationniste avec des prix à la baisse de 0,8% mais la réalité devrait se situer à 2% si l’on exclue les prix du logement en constante hausse.
Shlomo Maoz

            L’économiste Shlomo Maoz [1] conseille à la Banque Centrale de réduire les coûts d'emprunt en dessous de zéro pour stimuler la croissance. Avec l’atonie des exportations, les prix à la consommation chutent et le shekel est devenu une des monnaies les plus fortes dans le monde. La Banque Centrale d'Israël devrait étendre ses achats en devises étrangères pour modifier le cours du shekel. Pour éviter que le marché du logement ne s’échauffe avec des prix qui ont doublé en moins d'une décennie, la banque devrait réduire les prêts hypothécaires : «Si la Banque d'Israël n’intervient pas, la situation mondiale va l'obliger à agir. L’inflation négative est due à beaucoup d'effets ponctuels mais cela devient un problème si elle persiste pendant une longue période».
Claude Giorno

            Claude Giorno, économiste principal à l'OCDE, originaire d’une famille juive tunisienne,  a un diagnostic sévère : «le coût de la vie en Israël est de 10% supérieur à celui du Japon, de l’Italie et des États-Unis; 20% supérieur à celui de l'Espagne, 30-40% plus élevé que dans la Corée du Sud et les pays d'Europe de l'Est. Mais ce n’est pas tout ; on ne doit pas seulement pointer des prix plus élevés mais  les heures de travail sont plus longues et les salaires sont plus bas». Alors effectivement nous sommes loin de l’image d’un Israël Nation Start-up
          L’image est trompeuse quand on compte les nombreuses entreprises internationales installées en Israël, à l’instar d’Intel et d’Apple. Mais ces grands groupes n’ont aucune influence sur les autres secteurs de l’économie. La frontière n’est pas poreuse. Giorno pense que cela est dû  à «un niveau de solidarité sociale faible». Il est vrai qu’un grand travail a été effectué pour la croissance et pour la réduction du ratio de la dette avec en particulier une baisse des dépenses du gouvernement. Mais «la croissance est seulement un moyen et non une fin en soi. En fin de compte, la société devrait offrir une vie meilleure plus égalitaire». Pour 2016, la banque centrale table sur une croissance du PIB de 2,8%.
Jacques Adda

            Claude Giorno n’est pas un fonctionnaire d’Israël mais une partie de sa famille y vit. Donc il touche du doigt la réalité quotidienne à chacun de ses déplacements. Par ailleurs il a effectué son rapport avec l’aide d’un économiste israélien de haut niveau, Jacques Adda [2], originaire de Tunisie lui-aussi. Ils ont ensemble expliqué la réalité complexe d'Israël en abordant «des questions sensibles telles que l'intégration des Harédim  (orthodoxes) dans la société générale et les pensions de vieillesse». Il est convaincu que depuis la déréglementation des années 1990, «même si Israël a une forte exposition au commerce mondial. Israël n’est pas une économie ouverte. La valeur des échanges commerciaux d'Israël par rapport à l'économie est de 50% inférieur à la moyenne pour les autres pays de l'OCDE».
            Les prix resteront à un haut niveau tant que la concurrence ne joue pas à fond et que des acteurs étrangers ne s’installent pas en Israël. Par exemple, dans le secteur des supermarchés en France, des chaînes allemandes comme Aldi et Lidl sont installées ainsi que des chaînes britanniques comme Marks & Spencer. En Israël le secteur est entièrement aux mains d’acteurs israéliens qui s’organisent entre eux pour fixer les prix. Le nouveau groupe Victory se bat pour avoir sa place parmi les grands avec une politique de discounter qui dérange. Mais il a du mal à importer des produits moins chers à travers un marché parallèle. Certes le marché est limité à huit millions d’habitants en Israël mais le volume du panier de la ménagère est bien plus important que celui de pays plus peuplés.
Réseau Victory

            La loi est ainsi faite que les concurrents n’ont pas accès au marché local. L’exemple des boissons non alcoolisées est éloquent. Les normes israéliennes imposent un quota de concentration de fruits le plus haut du monde qui n'est pas respecté par tous les produits étrangers classiques; ces produits ne peuvent pas entrer sauf à faire une fabrication spéciale coûteuse. Avec l’aide des législateurs, le marché local se protège. Mais il semble que le député Elie Elalouf ait décidé de libérer le marché de ces contraintes par une loi applicable en principe au 1er juin 2016. L'absence de concurrence étrangère concerne aussi les banques et même les opérateurs de téléphone.   
            Enfin le prix de l’immobilier a atteint des sommets excessifs par comparaison aux prix européens. Malgré ses promesses, le gouvernement n’a pas légiféré pour faire baisser de manière significative les prix par la distribution gratuite de terrains appartenant au domaine national. Mais il a surtout peu développé les transports en commun dans certaines banlieues nouvelles, seule condition pour attirer de nouveaux investisseurs dans des zones de développement.
            Le risque est ainsi grand pour l’économie israélienne. Les Israéliens en sont à se demander s’ils ont vraiment besoin d’un shekel fort, l’une des monnaies les plus fortes du monde.

[1] Shlomo Maoz est économiste en chef de sociétés d’investissements. De 1992 à 1997, il a occupé le poste de conseiller économique du ministre des Finances à Londres.


[2] Jacques Adda est maître-assistant à l'université Bar-Ilan (Israël), où il enseigne l'économie politique internationale. Jusqu'en 1992, il était économiste à l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) et enseignait à l'Institut d'études politiques de Paris. Il est l’auteur de l’ouvrage «La mondialisation de l’économie».

2 commentaires:

  1. Qui est le propriétaire de la chaîne Victory?

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  2. Jacques BENILLOUCHE9 mai 2016 à 14:17

    @ André

    La chaîne Victory comprend 41 supermarchés. Elle est la propriété de la famille RAVID:

    Victor RAVID le père, directeur financier

    Avi RAVID le fils, directeur de la logistique

    Eyal RAVID le fils, directeur des achats.

    Elle vient d'entrer à la bourse de Tel-Aviv

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