LA MISE EN GARDE DES PATRONS ISRAÉLIENS
Par Jacques BENILLOUCHE
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Shraga Brosh |
Ce
n’est pas un «gauchiste» qui le prédit ni un opposant au gouvernement
Netanyahou mais le patron des patrons, le véritable représentant de
l’ultra-libéralisme en Israël. L’économie israélienne a trop vécu sur ses
acquis et elle risque à présent de payer le prix d’une politique ministérielle
imprévoyante. Shraga Brosh, président de la fédération des industriels
israéliens, prévoit que les licenciements planifiés par la société Intel seront
le prélude à des dégraissages encore plus massifs de la part des entreprises
israéliennes. Après des années glorieuses, l’économie risque de connaître un
réveil brutal.
Intel Haïfa |
Son
diagnostic lors d’une conférence au ministère de l’économie est sans
appel : «L’économie fait face à une grande vague de mises à pied. Ils
disent que nous sommes une Nation start-up, mais il y a eu des licenciements
dans tous les secteurs industriels, et ce sera la même chose avec la prochaine
vague de mises à pied que j’anticipe». La mise en garde est claire et elle
n’est surtout pas partisane. Les chiffres officiels ne laissent aucun doute. L'économie israélienne tousse. Il faut se méfier des illusions d'optique trompeuses.
Depuis
le début de l’année 2015, 2.225 ouvriers ont été licenciés soit 0,5% de la
main-d’œuvre industrielle. D’autres licenciements sont à attendre dans tous les
domaines. Pour la première fois et c'est une nouveauté, les sociétés de high-tech sont en cause, celles sur lesquelles repose l'avenir économique du pays.
Les fleurons de l’industrie sont touchés à l’instar des sociétés de composants
électroniques, d’équipements électroniques, de matériel de communication,
d’équipements électriques et de machines. Les pertes d’emplois entraînent des
catastrophes en cascades avec, à la clef, un possible éclatement de la bulle
immobilière car les chômeurs ne peuvent plus payer leur crédit immobilier.
Selon
Shraga Brosh, les statistiques ont été biaisées parce que le secteur public a
embauché plus que de besoin pour éviter que le chômage n’atteigne 8%.
L’activité économique, ralentie pendant huit jours en raison des fêtes de
Pessah, doit rattraper son retard si l’on ne veut pas que les chiffres soient
dramatiques. Selon l’officiel Institut israélien de la Statistique, les
indicateurs de l’économie au cours du premier trimestre 2016 sont contrastés.
Les
importations de marchandises sont en hausse tandis que les exportations
connaissent une baisse ce qui rend moins lisible l’avenir. Les importations ont
augmenté de 5,6% en 2016. Les ventes du commerce de détail se maintiennent avec
0,6% d’augmentation après 3,7% au trimestre précédent. Les exportations se sont
contractées suite à la baisse de la compétitivité due à l'appréciation du
Shekel par rapport aux devises étrangères. Cette tendance a été compensée par
la consommation intérieure portée par une augmentation des salaires réels
(+3%). L'inflation a été négative (-1%) tandis que le taux directeur de la
banque centrale a été ramené à 0,1%, son plus bas niveau historique.
Les
statistiques montrent que le marché qui a montré la plus forte croissance dans
l'absorption des exportations israéliennes a été la Chine, passant de 2% du
total des exportations d'Israël à 6 %. Le marché turc a également montré une
augmentation significative. Mais l’inquiétude vient des États-Unis sans que
l’on sache s’il y a un lien avec la brouille entre Obama et Netanyahou :
en 2000 les États-Unis achetaient 32% des exportations d'Israël mais maintenant
le volume est tombé à 24%. Les marchés asiatiques ont également diminué, à
l'exception de la Chine et de l'Inde. C’est pourquoi Israël tente de développer
de nouveaux marchés en Asie, en Amérique latine et en Afrique.
Le
chômage est pour l’instant à son plus bas niveau incompressible avec 5,3%. Mais
il risque de connaître une hausse malgré le paradoxe d’une pénurie de main-d’œuvre ;
on évalue à 90.000 le nombre d’emplois non pourvus. Les exportations
connaissent une période difficile avec une chute de 14% en moyenne avec une
baisse de 24% pour les seuls produits de high-tech. La production industrielle
a reculé de 2,3%. Le pays s’enfonce dans une spirale déflationniste avec des
prix à la baisse de 0,8% mais la réalité devrait se situer à 2% si l’on exclue les
prix du logement en constante hausse.
Shlomo Maoz |
L’économiste
Shlomo Maoz [1] conseille
à la Banque Centrale de réduire les coûts d'emprunt en dessous de zéro pour
stimuler la croissance. Avec l’atonie des exportations, les prix à la
consommation chutent et le shekel est devenu une des monnaies les plus fortes
dans le monde. La Banque Centrale d'Israël devrait étendre ses achats en
devises étrangères pour modifier le cours du shekel. Pour éviter que le marché
du logement ne s’échauffe avec des prix qui ont doublé en moins d'une décennie, la
banque devrait réduire les prêts hypothécaires : «Si la Banque d'Israël
n’intervient pas, la situation mondiale va l'obliger à agir. L’inflation négative
est due à beaucoup d'effets ponctuels mais cela devient un problème si elle
persiste pendant une longue période».
Claude Giorno |
Claude
Giorno, économiste principal à l'OCDE, originaire d’une famille juive tunisienne,
a un diagnostic sévère : «le
coût de la vie en Israël est de 10% supérieur à celui du Japon, de l’Italie et
des États-Unis; 20% supérieur à celui de l'Espagne, 30-40% plus élevé que dans
la Corée du Sud et les pays d'Europe de l'Est. Mais ce n’est pas tout ; on
ne doit pas seulement pointer des prix plus élevés mais les heures de travail sont plus longues et
les salaires sont plus bas». Alors effectivement nous sommes loin de
l’image d’un Israël Nation Start-up.
L’image est trompeuse quand on compte
les nombreuses entreprises internationales installées en Israël, à l’instar
d’Intel et d’Apple. Mais ces grands groupes n’ont aucune influence sur les
autres secteurs de l’économie. La frontière n’est pas poreuse. Giorno pense que
cela est dû à «un niveau de
solidarité sociale faible». Il est vrai qu’un grand travail a été effectué
pour la croissance et pour la réduction du ratio de la dette avec en
particulier une baisse des dépenses du gouvernement. Mais «la croissance est
seulement un moyen et non une fin en soi. En fin de compte, la société devrait
offrir une vie meilleure plus égalitaire». Pour 2016, la banque centrale
table sur une croissance du PIB de 2,8%.
Jacques Adda |
Claude
Giorno n’est pas un fonctionnaire d’Israël mais une partie de sa famille y vit.
Donc il touche du doigt la réalité quotidienne à chacun de ses déplacements. Par
ailleurs il a effectué son rapport avec l’aide d’un économiste israélien de haut
niveau, Jacques Adda [2], originaire de
Tunisie lui-aussi. Ils ont ensemble expliqué la réalité complexe d'Israël en
abordant «des questions sensibles telles que l'intégration des Harédim (orthodoxes) dans la société générale et les
pensions de vieillesse». Il est convaincu que depuis la déréglementation des
années 1990, «même si Israël a une forte exposition au commerce mondial.
Israël n’est pas une économie ouverte. La valeur des échanges commerciaux
d'Israël par rapport à l'économie est de 50% inférieur à la moyenne pour les
autres pays de l'OCDE».
Les
prix resteront à un haut niveau tant que la concurrence ne joue pas à fond et que
des acteurs étrangers ne s’installent pas en Israël. Par exemple, dans le
secteur des supermarchés en France, des chaînes allemandes comme Aldi et
Lidl sont installées ainsi que des chaînes britanniques comme Marks
& Spencer. En Israël le secteur est entièrement aux mains d’acteurs
israéliens qui s’organisent entre eux pour fixer les prix. Le nouveau groupe Victory
se bat pour avoir sa place parmi les grands avec une politique de
discounter qui dérange. Mais il a du mal à importer des produits moins chers à travers un marché parallèle. Certes le marché
est limité à huit millions d’habitants en Israël mais le volume du panier de la
ménagère est bien plus important que celui de pays plus peuplés.
Réseau Victory |
La
loi est ainsi faite que les concurrents n’ont pas accès au marché local.
L’exemple des boissons non alcoolisées est éloquent. Les normes israéliennes
imposent un quota de concentration de fruits le plus haut du
monde qui n'est pas respecté par tous les produits étrangers classiques; ces produits ne peuvent pas entrer sauf à
faire une fabrication spéciale coûteuse. Avec l’aide des législateurs, le
marché local se protège. Mais il semble que le député Elie Elalouf ait décidé de libérer le marché de ces contraintes par une loi applicable en principe au 1er
juin 2016. L'absence de concurrence étrangère concerne aussi les banques et même les opérateurs de
téléphone.
Enfin
le prix de l’immobilier a atteint des sommets excessifs par comparaison aux
prix européens. Malgré ses promesses, le gouvernement n’a pas légiféré pour
faire baisser de manière significative les prix par la distribution gratuite de
terrains appartenant au domaine national. Mais il a surtout peu développé les
transports en commun dans certaines banlieues nouvelles, seule condition pour attirer
de nouveaux investisseurs dans des zones de développement.
Le risque est ainsi grand pour
l’économie israélienne. Les Israéliens en sont à se demander s’ils ont vraiment
besoin d’un shekel fort, l’une des monnaies les plus fortes du monde.
[1] Shlomo Maoz est économiste en chef de sociétés d’investissements. De 1992 à 1997, il a
occupé le poste de conseiller économique du ministre des Finances à Londres.
[2] Jacques Adda est maître-assistant à
l'université Bar-Ilan (Israël), où il enseigne l'économie politique
internationale. Jusqu'en 1992, il était économiste à l'OFCE (Observatoire
français des conjonctures économiques) et enseignait à l'Institut d'études
politiques de Paris. Il est l’auteur de l’ouvrage «La mondialisation de
l’économie».
Qui est le propriétaire de la chaîne Victory?
RépondreSupprimer@ André
RépondreSupprimerLa chaîne Victory comprend 41 supermarchés. Elle est la propriété de la famille RAVID:
Victor RAVID le père, directeur financier
Avi RAVID le fils, directeur de la logistique
Eyal RAVID le fils, directeur des achats.
Elle vient d'entrer à la bourse de Tel-Aviv