RONIT ELKABETZ, LA PASSIONARIA SÉFARADE
Par Jacques BENILLOUCHE
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à Cannes en 2015 |
Ronit
Elkabetz était née le 27 novembre 1964 à Beer-Shev’a. Elle ne pouvait pas naître
ailleurs que dans une zone de développement. Bien sûr, ce fut une immense actrice, bien sûr
elle crevait l’écran de son visage torturé et mélancolique. On comprend mieux aujourd’hui puisque la maladie rongeait son corps depuis plusieurs
mois sans qu’elle n’ait émis une
quelconque plainte.
Cliquer sur la suite pour voir et entendre la dernière intervention publique d'Elkabetz
Mais
ce qu’il faut retenir d’elle c’est son combat pour le sort des séfarades en
Israël. On peut toujours dire qu’il s’agit d’un combat périmé d’arrière-garde,
d’un combat de revanchards, du combat de ceux qui s’acharnent à mettre ce sujet
à la pointe de l’actualité alors qu’il semble dépassé. C’est un sujet qui s’est certes estompé en France au fil du mixage des populations juives, mais il dure et
perdure en Israël. N’ayons pas peur des mots, la discrimination existe et a
existé dans certains milieux artistiques qui voulaient en fait se protéger de
cette arrivée massive de séfarades à la recherche des bons postes, voire des sinécures.
Elle
avait eu tort de représenter une communauté marocaine pas suffisamment évoluée,
la pire aux yeux de certains pour pouvoir prétendre figurer au sommet des
affiches, en gros caractères. Au temps de ses débuts, la discrimination était là partout,
vivace parce que les Juifs orientaux étaient assimilés à des Arabes juifs sans que l’on puisse expliquer le mystère de
cette entité antinomique. Il était difficile d’expliquer que certaines
populations séfarades parlaient l’arabe
et non le yiddish, préféraient les chansons orientales aux musiques klezmer.
Manifestation des Panthers à Jérusalem |
Elkabetz
s’est pour ainsi dire identifiée, par son œuvre, aux intellectuels et militants orientaux de la
deuxième génération, celle née en Israël après l’immigration massive de Juifs
du Maghreb et du Moyen-Orient dans les années 1950/1960. Boudée par les milieux
intellectuels en raison de ses origines, elle a été contrainte à une critique
radicale de la société israélienne façonnée par les ashkénazes. Son origine
marocaine l’a poussée à s’élever contre
l’hégémonie culturelle ashkénaze et à voir d’un œil indulgent les mouvements de
protestation et de résistance orientaux qui émergeaient en Israël. C’était le
temps des Panthères noires d’Israël, ces jeunes maghrébins juifs issus des
quartiers défavorisées et des cités populaires de Jérusalem. Ces groupes, qui avaient des revendications légitimes, ont été récupérés pour leur malheur par
les partis d’extrême gauche et communiste, pour être finalement écartés de la
société israélienne.
La
suite fut pire pour les Juifs orientaux qui passèrent en 1980, d’un carcan à un
autre, de l’idéologie communiste à l’idéologie
aussi contraignante orthodoxe avec ses leaders d’un autre âge, anachroniques au
point de singer leurs maîtres ashkénazes. La «sionisation» des Arabes
juifs fut un désastre social et culturel. En niant l’Orient arabe puis les
Palestiniens, le sionisme a fini par nier les Juifs orientaux dont la voix a
été systématiquement étouffée.
Elle
était devenue une comédienne qui vivotait en Israël malgré son talent. La
France et sa culture universelle l’ont sauvée. Rejetée en Israël, elle a trouvé
sa place en France et surtout le succès. Elle a choisi de tout quitter pour un
lieu où elle était inconnue et dont elle ne connaissait ni la langue et ni les
coutumes qui avaient été celles de son père au Maroc : «Le plus beau cadeau que
je me suis offert, c’est cette seconde naissance. J’aurais très bien pu
continuer d’enchaîner les projets en Israël, mais j’avais besoin d’ouvrir une
nouvelle porte : pour la trouver, le seul moyen était de rompre avec mes
repères et de recommencer ailleurs, à zéro».
C’est
ainsi qu’en 1997 elle frappe à la porte d’Ariane Mnouchkine pour un stage mais
se retrouve surtout à faire la vaisselle, faute d’emploi possible. «Pendant
que je briquais, mon téléphone sonnait. On me proposait de faire Lady Macbeth
ou Cléopâtre en Israël. C’était très irréel ce double emploi : une vie de femme
de ménage que j’avais choisie, tandis qu’en Israël, on continuait de me parler
comme à une star. (...) Sans la connaître, j’étais amoureuse de cette culture,
et je savais que pour progresser, il fallait que je la rencontre de près. (...)
De toute manière, aussi bien en tant qu’actrice que comme cinéaste, je n’ai pas
suivi de formation».
Mais
ce séjour en France lui donna une plus grande crédibilité puisqu’il lui ouvrit
les horizons internationaux loin de l’audience étriquée du pays juif. Israël la redécouvre alors et lui donne les
grands rôles qu’elle méritait. Les prix d’interprétation lui sont attribués d’année
en année, à Cannes en 2004. Ses origines lui collent à la peau et lui
inspireront plusieurs films où elle abordera l’histoire des couples, les
problèmes de famille et les incongruités de la religion appliquée à la femme. Elle ne s’en cachait pas : «Je suis en
permanence à la recherche de mes racines. Je suis née de parents immigrés du
Maroc. Mes fondements et ma culture sont pluriels, mais mon histoire, c'est
Israël».
Elle avait fini par se réconcilier avec le pays qui l’avait
ignorée pendant longtemps. Une perte pour le cinéma israélien, une perte pour
les séfarades, une perte immense pour Israël.
Un bel hommage vous avez très bien fait, il aurait été dommage de passer à côté
RépondreSupprimerBernard Meyer
Bonjour,
RépondreSupprimerBel hommage à une grande actrice. Utile rappel des problèmes d'intégration d'intégration des séfarades.
Cependant si sa carrière vivotait pourquoi lui proposait on des rôles prestigieux (Cléopatre, Lady mac Beth).
"on continuait de me parler comme à une star" dit elle.
Le départ pour la France n'avait il pas d'autres motifs que celui que vous avancez?
Au revoir Ronit
RépondreSupprimerTu as été belle, grande, douée et courageuse: l' Estrella du cinéma israélien.
Et la fierté de tous les israélo-marocains.
Devant l'inéluctable, les mots sont impuissant et faibles parce que nous savons que cet inéluctable est inévitable
Tu es partie trop jeune, tu avais encore beaucoup à faire... mais nous garderons de toi l'image étincelante de la star mais surtout celle de la femme accomplie par sa propre volonté et en cela tu es et restera une SABRA
Nous te regrettons
Shalom
@ Lafite
RépondreSupprimerJe pense que Ronit Elkabetz a utilisé une boutade pour faire comprendre qu’on a pensé à elle que dès qu’elle était partie alors que le téléphone ne sonnait pas quand elle était sur place. Son départ était justifié parce qu’elle avait jugé que son talent n’était pas suffisamment exploité. L’appel du large. A mon avis il n’y avait pas d’autre raison. Elle a d’ailleurs prouvé qu’elle avait du talent qui a été reconnu à l’étranger. Et puis la France a toujours été le pays pour les comédiens et la culture.
Ronit, séfarade née à Beer Sheva était avant tout une israélienne avec un mélange de culture israélienne, marocaine et française .
RépondreSupprimerElle était plus que belle, elle était fascinante.
On pleure la femme disparue trop jeune. On peut se lamenter sur cet immense talent qui aurait pu se déployer davantage. Un destin cruel , une tragédie de tragédienne.