MAJED FARAJ, NOUVEL HOMME FORT PALESTINIEN
Par Jacques BENILLOUCHE
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Faraj, Erekat et Netanyahou |
Les
Palestiniens auraient-ils trouvé l’homme fort qui leur manquait après la
disgrâce de Mohamed Dahlan ? C’est l’impression qui résulte des derniers
développements en Cisjordanie après la guerre sourde qui se trame entre le
directeur des renseignements Majid Faraj et le dauphin désigné Saeb Erekat. Les
deux hommes ont en commun d’être des fidèles du président de l’Autorité Mahmoud
Abbas et des collaborateurs loyaux qui attendent cependant leur heure. Ils ont jusqu’à
présent refusé la violence et leur langage prône une résistance pacifique. Mais
il s’agit de deux personnages totalement différents avec des parcours originaux.
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Yasser Abed Rabbo |
Saeb
Erekat, vient d’être nommé secrétaire général de l’OLP (Organisation de libération
de la Palestine) en remplacement de Yasser Abed Rabbo, ancien proche de Yasser
Arafat. Abed Rabbo avait été accusé de s’être allié avec l’ancien premier
ministre Salam Fayyad et avec Mohamed Dahlan, pour évincer Mahmoud Abbas. Le
président l’Autorité soupçonnait les trois hommes de conspirer pour favoriser
le retour de Dahlan au pouvoir suprême. Saeb Erekat, tout dévoué à Mahmoud
Abbas, occupe depuis de nombreuses années le poste de négociateur en chef avec
les Israéliens. Animal politique de formation occidentale, il parcourt tous les
studios de télévision de langue anglaise et tous les colloques internationaux
où il peut vendre la cause palestinienne. C’est la personnalité qui sait exploiter
les medias au mieux.
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camp palestinien Deheishe |
À
l’opposé, le général Majid Faraj, né dans le camp de réfugiés de Deheishe fondé
en 1949 dans les limites de la ville de Bethléem, est un personnage très
discret. C’est la nature même de ses fonctions qui l’exige. Il dirige les
puissants services de renseignements palestiniens après avoir gravi les
échelons en tant que soldat dans l'ombre, d'abord dans les Tanzim, la branche
armée du Fatah, et puis dans la sécurité préventive de l'Autorité palestinienne.
Il évite la presse et ne donne pas d’interview ce qui rend difficile de tracer
son portait exact avec certitude.
Il
est connu des Israéliens car il a passé de nombreuses années dans leurs prisons
avant de devenir commandant du district de Bethléem, puis chef du renseignement
militaire. Le combat semble héréditaire dans la famille car son père, âgé de 62
ans, a été tué par les forces israéliennes en 2002 alors que, selon la légende
que les Palestiniens aiment diffuser, il était allé acheter du lait et du pain
quand on a tiré sur lui. En fait la réalité est tout autre ; il avait violé le couvre-feu à une période où
de nombreux attentats-suicides étaient déclenchés dans tout Israël. L’armée n’a
pas voulu prendre de risques.
Erekat
et Faraj sont entièrement dévoués au président Abbas mais cela n’empêche pas qu’une
guerre feutrée soit menée entre les deux clans. Deux incidents, où sont
impliqués des proches d’Erekat, ont dévoilé la compétition secrète entre les
deux hommes. Le 3 décembre 2015, deux Israéliens ont été blessés dans une
fusillade au point de contrôle Hizma en Cisjordanie. L'assaillant palestinien a
été tué par les forces de l’ordre. L’enquête a dévoilé que l'agresseur était
Mazan Hasan Ariva, 37 ans, officier du renseignement de l'Autorité
palestinienne et résident arabe d'Abu Dis. Il s’avère qu’il était le neveu
d’Erekat, le fils de sa sœur et qu’il était sous les ordres de Faraj.
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Attentat du 3 décembre 2015, l'agresseur tué |
Cet
incident faisait désordre et constituait un revers pour Erekat qui prône une
politique non violente et surtout une coordination entre ses services
sécuritaires et ceux d’Israël. Il met en doute la volonté de l’Autorité de ne
pas s’engager dans la violence. En allant présenter les condoléances à sa sœur,
Erekat avait alors affirmé : «J'ai foiré. J’ai été trompé. Nous avons
tué le rêve d'une solution à deux États. Depuis 22 ans, je dis à mes gens de ne
pas recourir à la violence, seule la négociation». Cette attitude dénotait
le découragement sinon la lassitude. Mais ce n’était pas tout. Un deuxième
incident a eu lieu le 17 janvier 2015 lorsqu’un adjoint de Saeb Erekat a été
arrêté pour «soupçons de trahison en faveur d’Israël», justement par les
services de Faraj ce qui paraît être une coïncidence troublante et
gênante.
Mais
les deux hauts personnages de l’Autorité semblent diverger sur la stratégie. Alors
qu’Erekat semble résigné à renoncer aux bonnes relations avec Israël, le chef
du renseignement palestinien prend le contre-pied de cette attitude. Il se pose
en leader qui fonde l’avenir des Palestiniens sur une coopération totale avec
Israël car un nouveau danger se profile en Cisjordanie. Il souhaite que la
coopération sécuritaire avec Israël se poursuive afin de barrer la route aux
extrémistes de Daesh et d’éviter une aggravation du chaos. Pour lui, les fauteurs de trouble doivent être neutralisés en Cisjordanie. Il a ainsi pris des
mesures drastiques en confisquant des armes et en arrêtant plus de 100
Palestiniens. Faraj a pointé du doigt les groupes religieux extrémistes qui,
selon lui, sont un danger non seulement pour l'Autorité palestinienne elle-même
mais aussi pour la Jordanie et au final pour Israël.
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Police palestinienne |
Il
connaît parfaitement sa population au sein de laquelle il vit et avec laquelle il a combattu. Il
assure que 90% des Palestiniens sont fondamentalement opposés aux organisations
terroristes telles l'État islamique, Al-Qaïda, Jabhat al-Nusra et autres nébuleuses
islamiques. Mais pour lui, il faut maintenir la puissance de l’Autorité et
éviter son effondrement parce que l'alternative est l'anarchie, la violence et
le terrorisme : «Nous, avec nos homologues de l'establishment
sécuritaire israélien et avec les Américains, essayons tous d'éviter l'effondrement.
Daesh est déjà en Irak, en Syrie, au Sinaï et au Liban mais Ramallah, Amman et
Tel-Aviv doivent être préservés». Il n’a pas utilisé de raisonnement
alambiqué pour designer l’ennemi.
Faraj
a analysé l’incident du neveu d’Erekat comme un avertissement. Lorsque des
jeunes officiers prometteurs, bien formés, disciplinés et contrôlés, dévient
vers le désespoir, alors il faut s’attendre à tout de la rue qui peut
facilement virer vers la colère. Mais il affirme qu’il ne sera jamais influencé
par quelques individus qui choisissent d'agir contre la majorité du peuple. Il a
dit croire croit en Netanyahou qui soutient a priori la solution à deux États,
mais il fustige des membres éminents de son gouvernement faisant partie des nationalistes
religieux qui sont contre ce principe.
Contrairement
à Erekat, qui remet en question la coordination avec les organismes
sécuritaires israéliens, Faraj a un autre avis : «Nous nous sommes
battus pendant de nombreuses décennies d'une manière différente; et maintenant
nous nous battons pour la paix. Je vais donc continuer à me battre pour garder
ce pont contre la radicalisation et la violence qui doit nous conduire à notre
indépendance». Un nouveau langage est entendu qui donne l’impression
que Faraj a choisi la voie du dialogue, la seule qui pourra lui ouvrir les
portes de Washington et de Jérusalem. Son passé de guerrier le crédibilise auprès de ses concitoyens mais
il n’a pas de réseau politique au sein de l’intelligentsia palestinienne pour
la convaincre de le désigner comme successeur du vieux Abbas, à moins qu’il n’utilise
la force.
Les
anciens lui sont acquis, ceux qui ont souffert de la guerre, ceux qui aspirent
à vivre en paix aux côtés d’Israël mais la jeunesse ne le suivra pas et déjà elle a condamné ses commentaires. La «coalition
de la jeunesse du soulèvement» a exprimé de la colère et de la déception
envers les déclarations du général Majid Faraj, faites par le site américain Defense
News. Il a avoué que les membres de son service ont déjoué 200 opérations
palestiniennes, et ont contribué à arrêter 100 militants et
à saisir des armes.
La
coalition appelle le mouvement du Fatah
à poursuivre et à condamner Majid Faraj qui devrait s'excuser face au peuple
palestinien. Il reste au chef des renseignements de prouver qu’il est capable de
devenir l’homme fort des Palestiniens, non contesté, pour les sortir de l’impasse où les
précédents leaders les ont conduits.
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