Pages

dimanche 24 janvier 2016

Cinq ans après, l'hiver arabe s'installe



CINQ ANS APRÈS, L’HIVER ARABE S’INSTALLE

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps

               
   
Emeutes à Kasserine
         
          Cinq ans après Sidi Bouzid, une nouvelle menace d'un soulèvement plane sur la Tunisie.  Cinq ans après, les Arabes peinent à trouver la voie de la démocratie. Cinq ans après le renversement du régime de Zine El Abidine Ben Ali, des manifestations contre la misère et pour la justice sociale ont  repris dans la région de Kasserine qui, comme d’autres régions, attend toujours  les  grandes mesures choc qui ne sont pas au rendez-vous. Le président de la République tunisienne, Caïd Essebsi,  n’a rien trouvé de mieux que de qualifier de «brigands et de pillards » les manifestants qui s’élèvent contre la recrudescence du chômage affectant plus de 700.000 personnes dont plus de 300.000 jeunes diplômés, gagnés par le désespoir depuis le déclenchement de la révolution.

Emel Mathlouti
            

          Que reste-t-il du printemps arabe, cinq années le soulèvement ? Presque rien sinon des souvenirs qui s’étiolent avec le temps. La révolution tunisienne, ou «révolution du jasmin», révolution non violente, s’est traduite par une suite de manifestations entre décembre 2010 et janvier 2011. Elle a abouti au départ, le 14 janvier 2011, du président de la République de Tunisie Ben Ali. Elle a été symbolisée par la chanson Kelmti Horra (Ma parole est libre), d’Emel Mathlouthi :

«Nous sommes des hommes libres qui n’ont pas peur.
Nous sommes des secrets qui jamais ne meurent.
Et de ceux qui résistent nous sommes la voix.
Dans leur chaos nous sommes l’éclat.
Nous sommes libres et notre parole est libre,
Mais elle n’oublie pas ceux qui sèment les sanglots et trahissent nos fois»

            Cette voix s’était élevée pour donner un espoir à des milliers de Tunisiens soumis à la dictature ; elle a permis l'attribution du Nobel de la paix à quatre groupes de la société civile en 2014. La Tunisie avait contaminé six pays arabes avec cette volonté de liberté à partir de manifestations pacifiques qui ont été toutes stériles. Les soulèvements en Libye et au Yémen ont fait exploser des Etats remplacés à leur tête par les groupes terroristes d’Al Qaeda et de l’Etat islamique ou par des milices soutenues par des puissances étrangères. L’Egypte et le Bahreïn ont retrouvé leur pouvoir autocratique. La Syrie a sombré dans la guerre civile qui la décomposée. 
Syrie, des morts à Douma

          Des centaines de milliers de morts, la destruction d’immenses régions transformées en ruines, la fuite de la population vers un avenir incertain ont été les conséquences improbables d’un éveil des consciences. Le monde arabe est déstabilisé à l’exception de quelques pays qui tiennent encore par la puissance de leur armée ou par le verrouillage démocratique de leur régime, à l’instar de l’Algérie, du Maroc de la Jordanie ou de l’Arabie saoudite. Les Palestiniens, plus faibles et plus isolés, sont les grands perdants d’une situation qu’ils n’ont pas contrôlée.
Caïd Essebsi : "Les instigateurs des émeutes du sud seront poursuivis"

          Mais depuis lors, un nouvel acteur est entré dans le jeu pour attiser les tensions. Daesh a trouvé un nouveau pays arabe, au régime faible, à déstabiliser pour l’islamiser en tirant profit de la crise économique. Les incantations du président  tunisien n’y feront rien mais il craint que des agitateurs  ne cherchent à renverser son régime fragile. D’ailleurs il caresse l’armée dans le sens du poil pour la neutraliser et pour éviter qu’un haut officier n’ait l’idée d’intervenir pour mettre fin au désordre ou pour renvoyer  les politiques à leurs chères études. Il a en effet rendu un hommage appuyé aux forces armées et sécuritaires  en mettant en exergue leurs efforts.

          Les révolutions, au lieu d’apporter un souffle de vie et d’espoir ont généré un avenir sombre. Même les riches pays pétroliers souffrent d’une baisse des revenus due à l’effondrement des prix du pétrole. Dans ces pays les rivalités de clans ont pris le dessus pour laisser émerger l’utopie islamiste. Bref, le printemps arabe n’a apporté que du malheur. Cependant l’échec était dans les tablettes. Alors que les pays arabes avaient des institutions trop faibles pour résister aux troubles, on a peu mesuré la détermination de pays corrompus à se battre pour conserver le pouvoir. L’exemple de la Syrie est éloquent dans cette volonté de garder le pouvoir quitte à détruire le pays. Les dirigeants conservateurs ont organisé la contre-révolution comme au Bahreïn où la famille régnante a appelé les monarques sunnites pour l'aider à écraser un mouvement pro-démocratie défendue par sa majorité chiite.
            La révolution de printemps n’a eu pour effet  que de montrer à la jeunesse arabe  que les dictateurs n’étaient que des tigres de papier pitoyables. À leur chute,  les jeunes ont exigé, en vain, la création d’institutions participatives  pour finaliser des réformes économiques. Ils n’ont obtenu que de nouveaux gouvernements répressifs, même dans la Tunisie laïque pseudo-moderne. Ils ont en revanche découvert que le chemin vers la démocratie était jalonné d’embûches et que les forces politiques existantes, qui s’appuient sur la religion, le sectarisme et même le tribalisme, sont plus fortes et mieux organisées.

            Au Moyen-Orient les monarchies arabes sont devenues inhospitalières à leur propre population. La violence reste la seule loi qui vaille. Le «printemps arabe» est une page de l’histoire qui n’a pas réussi à être tournée, cinq années après. Ceux qui se sont élevés pour imposer la démocratie n'ont eu droit qu'à la répression de nouveaux gouvernements qui tuent dans la rue et les prisons et qui gazent leurs populations sous le regard impuissant des Occidentaux. Les régimes arabes qui ont succédé aux dictatures sont plus brutaux et encore plus autocratiques.  Les oppositions ont été éradiquées pour que le silence règne.
            Les Etats-Unis sont responsables de ce déferlement de violence après l’invasion de l’Irak. Le Moyen-Orient rêvait  d’un autre monde après des décennies de pauvreté et de régimes corrompus et oppressifs.  La jeunesse arabe n’a pas eu le loisir de prouver son talent et son ingéniosité tandis que les acteurs au pouvoir continuaient à s’enrichir. La démocratie peinait à s’installer tandis que les économies à la disposition d’un clan pouvaient difficilement enrichir une population avide de bien-être. 
            Rien n’a été fait pour diversifier les industries afin de parer à la chute des prix du pétrole. Les pays vivaient sur leur acquis et sur la manne pétrolière dont ils pensaient que les revenus étaient illimités.  Mais la source s’est tarie et il y a moins de ressources pour construire de nouvelles villes, de nouvelles routes et de nouveaux aéroports, afin d’élever le niveau de vie dans les pays producteurs de pétrole. Les dividendes ont enrichi la classe dirigeante privilégiée et les membres des familles royales et des chefs tribaux. Aucune économie moderne diversifiée n’a été mise en place. Les pays arabes n’ont pas compris que la prospérité découle de la participation des populations aux institutions démocratiques qui légitiment à la fois le gouvernement et l'opposition. Ils ont volontairement ignoré que la participation des femmes et l'égalité des chances étaient les conditions d’une victoire sur la pauvreté. L'échec était donc prévisible et la situation est à présent irréversible.

6 commentaires:

  1. Pascale CHATELUS24 janvier 2016 à 07:21

    Dans cet article si juste, je vois une lueur d espoir. Aucun mort à déplorer lors des manifestations en Tunisie.
    Autrement j ai toujours dit que bush devait finir ses jours à La Haye.

    RépondreSupprimer
  2. C'est peut être un passage obligé pour ces pays "arabes" qui doivent faire leur expérience à l'instar des autres pays... nous voyons l'issue démocratique de beaucoup de pays d'Amérique latine après avoir connu des régimes "révolutionnaires" et ensuite dictatoriaux, le tout avec une Eglise tapie, tirant par moment les ficelles... c'est à peu près pareil à ces pays islamo-arabophones.... dont l'intégrisme islamique voudrait en tirer profit. Les masses doivent faire leur expérience... disait Lénine. En ce qui concerne mon pays l'Algérie.. l'on a connu en fait deux guerres l'une très meurtrière de 54/62 et l'autre, aussi avec ses 200 000 morts, la décennie noire 92/2000 ... les gens connaissent le prix de la lutte... Oh que ce n'est pas une armée forte ou faible..; mais une certaine sagesse qui a prévalu pour éviter encore des morts et des destructions... d'ailleurs l'on a vu durant la décennie du terrorisme islamique... c'est d'abord grâce à l'Algérie sérieuse, vitale, debout que le pays n' a pas sombré dans le chaos... et ce n'est pas seulement l'armée certes qui détient le fusil, mais pas les consciences... car ce sont ces dernières qui refusèrent l'aventure des islamistes. La société civile s'organise et copie sur ce qui s'est passé chez beaucoup de pays démocratiques... L'opposition démocratique avance et marque de sérieux points face à un pouvoir dépassé et désuet .. ce n'est pas l'armée qui le secouerait en cas de fronde globale car elle même serait engloutie... et l'on a vu ailleurs.. D'autant qu'en Algérie c'est encore plus ferme, car l'on a quelque part une certaine "expérience" de luttes assez chèrement payées certes. S'agissant de l'intervention des USA en Irak, historiquement elle est positive... par son impact elle a permis de "dégivrer" les situations mi figue mi raisin de beaucoup de pays islamo-arabophones . Toutes les dictatures de ces pays furent ébranlées... et sur le qui-vive...

    RépondreSupprimer
  3. Maher BEN GHACHEM24 janvier 2016 à 08:15

    Juste 5 ans..... la Pologne à mis 15A pour se stabiliser..... vous oubliez La Liberté gagnée en Tunisie. Je veux rester optimiste même si je suis inquiet. Bonne journée

    RépondreSupprimer
  4. Il me semble que vous oubliez un facteur essentiel: l'Islam, frein à toute progression et à a toute évolution de la société arabe. Le système d'éducation tout entier basé sur le Coran, les structures familiales et ou tribales contraignantes sont encore tous puissants. D'ailleurs à la chute des dictatures les populations se sont tournées vers la religion. Le printemps arabe a fait bouger quelque chose. Il y a eu l'échec des gouvernements basés sur la religion; les peuples se sont aussi affranchis de la peur et n'hésitent plus à manifester. Enfin en Egypte Sissi a commencé une difficile mais nécessaire réforme des livres de classe et de l'éducation en général. De façon générale on constate que les pays qui ont éclaté sont ceux qui n'avaient pas de narratif national commun; le dictateur cimentait leur unité et à sa chute ils se sont scindés ou divisés suivant des lignes tribales ou religieuses. C'est la conséquence à retardement des unités artificielles créées par les grandes puissances à la chute de l'empire ottoman. Bref, il me semble qu'à plus ou moins long terme votre chère Tunisie, qui elle n'a rien d'artificiel, s'en sortira.

    RépondreSupprimer
  5. Excellente analyse,et pour les optimistes (utopistes??)pourquoi faut il passer par le Mal, dévastateur, pour obtenir le Bien,fragile et aléatoire .?

    RépondreSupprimer
  6. L’expérience algérienne a montré que les algériens, pour vivre, avaient choisi la France après l’indépendance. Les nouvelles générations choisissent le Daech.

    RépondreSupprimer