LA
NORMALISATION LABORIEUSE ENTRE ISRAËL ET LE MALI
Par Jacques BENILLOUCHE
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Est-ce
un hasard si le pays d’Afrique qui souffre le plus du terrorisme islamique est
le Mali qui est l'un des quatre, avec le Tchad, la Guinée et le Niger, à ne pas entretenir de relations
diplomatiques avec Israël ? En réaction tardive à la Guerre des Six-Jours de 1967 et au nom de la défense de la cause
palestinienne, il avait rompu ses relations avec Israël le 5 janvier 1973. Arie
Avidor avait été nommé attaché d'ambassade en juin 1972, chef de mission à
titre temporaire en l'absence de l'ambassadeur, jusqu’à la fermeture de
l’ambassade.
Le Mali s’était alors comporté en porte-drapeau palestinien en
Afrique et n'a jamais changé malgré l’évolution de la situation géopolitique dans la région. Son choix
politique et sa rupture avec Israël ont fini par lui causer plus de déconvenues
que d’avantages. À force de vouloir porter haut les intérêts, pourtant lointains, des Palestiniens, il en est venu à sacrifier les siens propres.
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Maliens manifestants contre les djihadistes |
Pourtant
de nombreux pays africains, qui avaient rompu en 1967 et en 1973, avaient fini
par comprendre qu’Israël disposait d’une compétence en Afrique. Ils trouvaient
avec l’État juif le moyen de s’affranchir de l’aide de leur tuteur colonial.
Ils appréciaient chez ce jeune pays son expertise dans les domaines
industriels, ses expériences réussies des cultures dans les zones arides et
surtout sa gestion de l’eau grâce à la haute technicité de son système
d’arrosage automatique. L’assistance militaire sans contrepartie contraignante
permettait la mise à niveau d’armées aux embryons modestes. L’État juif
présentait alors une image moins arrogante que celle des pays coloniaux qui
avaient rechigné à se dégager de leurs intérêts africains.
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Innovation en Afrique |
Les
entreprises israéliennes, concurrentes des européennes, avaient ainsi raflé les
appels d’offres pour la construction d’aéroports, de routes, de ponts et de
bâtiments officiels. Israël peut aujourd’hui doubler le potentiel du
Mali pour le rendre auto-suffisant alors qu’il souffre d’un manque de produits
alimentaires menant à une misère chronique de la population. Les problèmes
sécuritaires empêchent par ailleurs toute évolution malgré la présence
française. Le Mali a plus besoin de conseillers pour mettre en place ses
propres structures sécuritaires nationales plutôt que de dépendre d’un pays
étranger. La crainte que font peser les terroristes islamistes n’est pas
étrangère à ce changement de cap. Le monde a évolué depuis le 11 septembre et
Israël devient un acteur fondamental dans la région.
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Réunion de l'OUA |
Depuis
1980, à l’exception du Mali, les pays africains, soupesant où se situait leur
intérêt personnel, avaient décidé de renouer les liens avec Israël. Des milliers de stagiaires africains sont alors
venus se perfectionner en Israël. Parallèlement, les échanges entre Israël et
l’Afrique Noire évalués à 400 millions en 1988 ont atteint 1,32 milliards de
dollars en 2007 et ont doublé depuis. Le Mali avait été seul avec l’OUA (Organisation
de l’Union Africaine dissoute en 2002), à refuser de normaliser les relations avec l’État
Hébreu. Le soutien actif de pays aussi divers que la Côte d’Ivoire, le Togo, le
Congo et le Cameroun du côté francophone et d’autres anglophones tels que le
Kenya, le Ghana, le Nigéria, l’Angola et le Rwanda n’est pas arrivé à faire sauter
le verrou du boycott décrété par une organisation et un pays soumis au
fanatisme et à l’extrémisme de certains dirigeants.
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Stagiaire du Mashav en Israël |
L
'Agence de coopération pour le développement international au ministère des
Affaires étrangères (Mashav) est responsable de la conception, la coordination
et la mise en œuvre à travers le monde du développement et de la coopération dans les pays en développement. Ses programmes couvrent les domaines de l'agriculture, de l'éducation et de la
médecine et sont financés conjointement avec des organisations multinationales.
En raison du blocage des relations diplomatiques, Mashav ne peut pas proposer
ses programmes d’aide au Mali sauf à choisir des chemins détournés et non
officiels.
Le
Mali a de plus en plus besoin d’une aide militaire qui se justifie à présent avec les attentats
et les prises d’otages qui le laissent sans défense; une aide en armes, une aide en conseillers sécuritaires et une aide financière. Les relations entre Israël
et les pays d’Afrique subsaharienne s’illustrent surtout sur le plan
sécuritaire. Officieuses, aléatoires, elles obéissent en priorité à une logique
d’intérêts politiques et économiques. Comme dans beaucoup d’autres zones
géographiques instables, les Israéliens ont su faire valoir leur expérience
militaire. Aujourd’hui, des dizaines de sociétés de sécurité travaillent sur ce
continent, toutes dirigées par d’anciens officiers de Tsahal. La présence
israélienne y est exclusivement privée, c’est un phénomène qui remonte aux
années 1970.
Au
lendemain de la guerre de Kippour de 1973, lorsque la plupart des pays
africains ont rompu leurs liens avec l’État hébreu, le Mossad avait décidé de
se substituer aux diplomates en servant d’interlocuteur auprès des dirigeants
africains et des mouvements d’opposition. Isolé sur la scène internationale,
Israël cherchait avant tout à bénéficier d’appuis au sein de l’ONU. C’est à ce
moment-là que les hommes d’affaires et les marchands d’armes israéliens ont
fait irruption en Afrique. Au Liberia, au Zaïre, au Togo ou encore au Cameroun,
des centaines d’instructeurs israéliens ont alors assuré la formation de gardes
présidentielles et d’unités d’élite.
D’ailleurs
lors de la visite d’Avigdor Lieberman en Afrique, qui visait à renforcer la
coopération sur le plan agricole et proposer des solutions liées à la
purification des eaux, il s’est trouvé contraint de déclarer qu’«il ne fait
aucun doute que le plus important pour l’Afrique, c’est la lutte contre la
pauvreté et la sécheresse, pas les armes». Mais au sein de la délégation
israélienne figuraient une équipe du Mossad, des représentants du Sibat,
l’organisme en charge des exportations d’armes israéliennes, de même que
plusieurs responsables d’industries de défense, comme les sociétés Elbit,
Soltam, Silver Shadow et l’Israel Aerospace Industries (IAI). Tous les pays
visités avaient des préoccupations sécuritaires qui ne pouvaient être
satisfaites que par les experts de Tsahal.
Quelques
anecdotes confirment ces faits. En décembre 2008, lorsque le capitaine Moussa
Dadis Camara s’était auto-proclamé successeur du défunt président Lansana
Conté, il connaissait la méfiance qu’éprouvait à son égard une partie de la
population. N’accordant guère plus de confiance à l’armée guinéenne, dont il était
pourtant issu, le chef de la junte décida de s’attacher les services d’un
expert en sécurité qui assura l’encadrement de sa garde prétorienne, les Bérets
rouges. Autre exemple lorsque le président ivoirien, Laurent Gbagbo, fit face à une offensive
rebelle. Déçu des Français et à la recherche d’un appui militaire, le chef
d’État ivoirien s’était tourné vers son fidèle avocat parisien qui l’avait mis
en contact avec plusieurs spécialistes israéliens. En quelques semaines,
Laurent Gbagbo obtient la livraison d’hélicoptères, de drones tactiques et de
matériel d’écoute. Une cinquantaine d’experts israéliens du renseignement opérèrent
alors à Abidjan pour espionner les communications des rebelles.
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L'ex-président Gbagbo |
Ehud
Olmert en personne s’était rendu à Yamoussoukro, pour une visite restée plus
que discrète. Organisé par l’ancien ambassadeur israélien en Côte d’Ivoire, le déplacement de l’ex-Premier ministre était lié à des affaires
sécuritaires, telles que la mise en place d’un Shin Beth ivoirien pour
renforcer la sécurité autour de Gbagbo et surveiller certains éléments hostiles
de l’armée ivoirienne. Très réactives, habituées aux situations de crise, les
entreprises israéliennes sont souvent les premières à proposer leurs services à
des pays en guerre : conseil militaire, soutien logistique et armement.
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I.B.K |
Aujourd’hui le Mali regrette son
intransigeance vis-à-vis d’Israël et surtout le temps perdu à défendre une
cause qui ne lui a rien rapporté. Le président IBK (Ibrahim Boubacar Keïta) est
inquiet de la situation de son pays et souhaiterait consolider son régime rendu
fragile par les djihadistes. Il est incapable de faire face seul à l'entreprise de déstabilisation islamique dans son pays. Il ne pourra s'en tirer qu'avec une aide extérieure, celle de la
France lui semblant trop astreignante et peut-être peu efficace. Or il lui suffit
de modérer ses exigences et de prouver sa réelle volonté de normaliser les
relations pour qu’Israël ouvre une ambassade à Bamako avec toutes les
conséquences matérielles que cela sous-entend. Encore faut-il que IBK accepte de manger son chapeau.
Dernière nouvelle du Mali
Un éducateur professionnel israélien de haut rang été tué au Mali lors de l’attaque de l’hôtel Radisson de Bamako. Depuis
plus de 20 ans, Shmuel Ben-Hillel conseille les pays africains en tant que membre
du personnel senior à l'école Mandel for Educational Leadership. Une grande perte pour Israël et pour l'Afrique.
1 commentaire:
Les pays d'Afrique subsaharienne qui ont rompu leurs relations avec Israël en 1973 et ne les ont toujours pas renouées sont le Mali, le Tchad et le Niger. La Guinée qui a rompu en 1967 n'a toujours pas renoué elle non plus avec Israël. La République des Comores, indépendante depuis 1975 et membre de l'Union africaine, n'a jamais établi de relations diplomatiques avec Israël.
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